Mobilier national : Brigitte Macron vend des biens nationaux

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Mobilier national : Brigitte Macron vend des biens nationaux

Tout le monde de la culture le dit : le gouvernement est inactif pour sauver la culture pendant la crise. Pas si inactif, le ministère aurait donné son accord au directeur du Mobilier national pour vendre aux enchères une partie de ses collections publiques au profit de la fondation privée de Brigitte Macron. Une initiative philanthropique qui accompagne opportunément la privatisation rampante de l’institution…

Une vente aux enchères « coup de com » dans l’intérêt de l’Élyséee

La communication est bien rodée : Brigitte Macron est engagée dans la présidence de la Fondation Hôpitaux de Paris — Hôpitaux de France. « Paris Match » lui accorde la une et les honneurs la semaine dernière : « à l’Élysée, elle se bat pour les hôpitaux ». Cette mise en scène sert un projet : la privatisation de meubles appartenant à la nation pour aider des hôpitaux que le chef de l’État n’a pas voulu financer.

Que l’épouse du président de la République ait un rôle public, même charitable, est peu républicain, mais la vente, réalisée avec l’accord de son ami directeur du Mobilier national, pose en plus un problème de légalité. 

Le directeur du Mobilier national s’est exprimé dans Le Figaro

« “Nous choisirons du mobilier qui n’a ni valeur patrimoniale ni valeur d’usage”, explique Hervé Lemoine, directeur du Mobilier. La liste sera établie à l’unanimité des conservateurs, afin d’éviter le procès en “dilapidation des bijoux de famille”. Les collections publiques sont réputées inaliénables — sauf en cas de déclassement — et le Mobilier national ne tient pas à apparaître comme celui qui braderait un héritage. Même pour la bonne cause. »

L’institution permet de meubler hors du cadre Marchand, les ambassades, les ministères, la présidence, etc. Les agents du Mobilier national ont la mission de meubler 650 dépositaires, de restaurer et créer des meubles, objets, dentelles, tapis et tapisseries, de transmettre leurs savoir-faire.

Une vente aux enchères des collections publiques constitue une privatisation de celles-ci. Ce n’est légal que dans le cas de meubles déclassés. Si le directeur respecte la loi là-dessus, la vente ne devrait pas faire beaucoup de recettes.

Dans son communiqué du 5 mai, le syndicat des établissements du Mobilier national et des Manufactures (SEMM CGT), qui est majoritaire dans l’institution, déclare :

« La vente aux domaines de pièces des collections du Mobilier national n’est pas scandaleuse en soi et ces ventes sont régulièrement organisées (…) Les meubles qui seront vendus, de par leur nature, auront une très faible valeur marchande (…) D’un point de vue éthique, ce ne sont pas ces quelques milliers d’euros qui pourront combler le trou béant de budget dont souffrent l’hôpital public et les personnels soignants. (…) D’un point de vue des missions qui sont celles du Mobilier national et des Manufactures, la communication autour de cette vente est dans la continuité de la politique engagée contre notre établissement. C’est de la pub ! (…) Nous ne sommes pas des marchands (…) La gestion de cette vente aux enchères en cette période apparaît comme une provocation (…) Le SEMM CGT demande que les émoluments de cette vente soient donc versés à la fonction publique hospitalière, mais pas par le biais d’une fondation privée ».

Cette marchandisation de la culture était déjà le motif d’un conflit social et d’une mobilisation des agents du Mobilier national ces derniers mois… La vente aux enchères passe d’autant plus mal qu’elle intervient dans une période de désorganisation du travail liée à une évolution des missions portée par la direction. Cette évolution des missions semble être un préalable à un changement de statuts. La vente s’inscrit dans la continuité de cette logique.

Une vente aux enchères sur fond de conflit social

Revenons quelques semaines plus tôt. L’action avait été médiatisée le 14 janvier dernier en plein conflit sur les retraites : lors des vœux du directeur du Mobilier national, les agents ont déposé les outils à ses pieds, en signe de défiance. La CGT SEMM dénonçait l’orientation programmée de l’institution vers des activités commerciales menaçant les savoir-faire au profit de la rentabilité :

« Le seul constat réel est la multiplication des manifestations extérieures, étrangères à nos missions (la FIAC, les défilés Hermès, le festival “Futur”, Lanvin…), qui ont eu comme principal effet de désorganiser les services, les ateliers et de mettre les collections en danger. Au-delà de nos savoir-faire et de la transmission, ce sont les collections qui sont en péril. La réserve “Perret” est devenue un SHOW ROOM où les pièces patrimoniales côtoient les manipulations diverses et variées des installations pour de tels événements. »

Cette orientation marchande met en cause le statut de fonctionnaires et la mission des agents. La volonté de la direction est de transformer le service en EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial). Cela conduirait à subordonner les missions de l’établissement à la recherche de la rentabilité et cela paverait la voie à une privatisation.

Au-delà de l’orientation de la direction, la gestion est également mise en cause par les agents. La CGT SEMM alertait fin janvier en quittant le CHSCT (comité d’hygiène, sécurité et conditions de travail) : 

« peu de réunions de travail, peu de communication, manque flagrant de planification de travail, désorganisation de la mission, externalisation de la mission en masse, placardisation de certains agents ». 

De plus, la recherche de visibilité du Mobilier, par l’accueil de défilés dans les bâtiments, ne respecte pas le règlement et la sécurité. La publicité promue par la direction met en danger aussi la fragilité des collections, à l’encontre de la nécessaire discrétion du service. S’ajoutent à cela des pratiques de discrimination syndicale, en particulier contre le syndicat majoritaire.

Cette orientation et cette gestion auxquelles s’opposent les agents sont portées au plus au sommet de l’État. La Cour des comptes a produit récemment un rapport à charges proposant la transformation du service en EPIC et l’ouverture à des activités commerciales.

Un conflit d’intérêts illégal ?

Par ailleurs, le directeur du Mobilier national peut-il décider à qui il affecte les recettes de la vente aux enchères, qui seront de l’argent public ? Peut-il affecter de l’argent public à une fondation de charité privée, même si elle est d’utilité publique ? Il n’est pas certain du tout que le service de l’État ait le droit d’être donateur d’une fondation présidée par l’amie du directeur et la femme du président de la République qui co-organise la vente aux enchères. Des biens nationaux sont vendus comme si Emmanuel et Brigitte Macron en étaient les propriétaires, et de l’argent public est détourné pour la communication de Brigitte. Le pouvoir personnel de Macron génère là un énième conflit d’intérêts.

Certes, la transformation du service de l’État en une entreprise publique commerciale poserait moins de contraintes sur l’utilisation de l’argent de l’établissement….

Le SEMM CGT a réagi avec clarté : 

« Nous déplorons l’effet de COM et d’annonce. Nous dénonçons le fait que les bénéfices seraient attribués à une fondation privée et non au service public ! Le SEMM CGT lutte contre la marchandisation de la culture et du patrimoine ». 

La vente aux enchères de Brigitte Macron, avec l’accord du directeur du Mobilier et du ministère de la Culture, arrive opportunément pour privatiser une partie des collections dans l’intérêt du couple présidentiel. Certains savent profiter des crises pour leur intérêt personnel et pour accélérer leurs projets. Pas sûr que les hôpitaux y gagnent alors que l’État pratique envers eux un désinvestissement chronique…


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