Multinationales et dictatures : une amitié de longue date.

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Multinationales et dictatures : une amitié de longue date.

Dans les dernières semaines, les grands médias se sont offusqués de la collaboration de Lafarge avec Daech au nom d’une prétendue moralité du capitalisme. Les accords entre l’entreprise française et les islamistes ont été présentés comme une pratique ponctuelle, qui ne dénoterait que le manque de scrupules de certaines compagnies et pas une faille générale dans le système capitaliste.

Pourtant, la récurrence des coopérations entre multinationales et dictatures démontre un lien bien plus profond que la collaboration passagère. Malgré la propagande dont elles nous abreuvent à coups de spots publicitaires, les grandes entreprises ne peuvent jeter le voile sur toutes leurs activités et prouvent depuis des années qu’il est difficile d’avoir les poches pleines et les mains propres.

Un flou entretenu par la bourgeoisie française autour de la Seconde Guerre mondiale.

En France, tout le monde a au moins vaguement entendu parler de Louis Renault mettant son usine de Boulogne-Billancourt –et les travailleurs qui vont avec- à disposition de l’occupant nazi. Si Louis Renault est mort en détention en 1944 et si son entreprise a été nationalisée, nul doute que de nombreux autres sont passés entre les mailles du filet en France, en Europe et dans le monde. Les archives s’ouvrent peu à peu, mais avec de nombreuses réticences. Renault, comme la majorité des grands groupes français, a longtemps refusé d’ouvrir ses archives sur la période 1939-45 et même celles datées de 1936 ! La répression des grèves du Front Populaire ne collant pas à l’image que voulait se donner la marque automobile.

Les keiretsus japonaises adoubées par les États-Unis après guerre.

Dans l’immédiat après-guerre, les États-Unis, réécrivent la constitution de Japonais décidément pas rancuniers après Hiroshima et Nagasaki. Heureusement, du côté yankee aussi on pardonne vite : les dirigeants des keiretsus, ces grandes entreprises industrielles structurées autour d’une banque et complices de l’impérialisme japonais pendant la Seconde Guerre Mondiale, sont tous exemptés de poursuites judiciaires par le général MacArthur. Seuls quelques dirigeants politiques seront condamnés pour crime de guerre. Certains auront des punitions exemplaires, comme Nobusuke Kishi, criminel de guerre de classe A qui devra tout de même attendre 1957 pour devenir premier ministre. Pour un politicien, 12 ans éloigné du pouvoir, c’est long ! La justice n’a pas été tendre, qui osera dire après ça que les bourgeoisies américaines et japonaises sont cul et chemise ?

Cette clémence envers les dirigeants des grands groupes japonais ne s’explique pas seulement par une solidarité de classe face au péril de l’avancée du communisme en Asie. Le principal moteur de l’action de la bourgeoisie américaine reste son intérêt propre. Le reste, la justice, les droits de l’homme, le droit international et le capitalisme moral, c’est de la poudre aux yeux.

L’Amérique du Sud, chasse gardée de l’Oncle Sam.

Un continent, plus que tous les autres, est soumis à l’impérialisme états-unien. L’Amérique du Sud. Il est aux États-Unis ce que le pré carré africain est à la France. Dans les années 1990, sur les conseils du FMI, le Panama et le Salvador adopteront le dollar comme le Sénégal ou le Bénin ont adopté le franc CFA. L’impérialisme, français ou états-unien, a ses méthodes bien rodées.

Dans son livre Les enfants cachés du général Pinochet, Maurice Lemoine, ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique retrace presqu’un siècle de golpe (coups d’Etat militaires) organisés en sous-main par la CIA en Amérique du Sud au profit des intérêts du Nord. Les grandes entreprises sous pavillon US pouvant compter sur le soutien indéfectible de leur gouvernement. De là à dire que ce sont elles qui gouvernent…

Exemple typique de ces multinationales qui font la loi en Amérique du Sud, la United Fruit, devenue Chiquita Brands a un sacré palmarès. En 1928, elle pousse l’armée colombienne à ouvrir le feu sur ses compatriotes en grève à Ciénaga. Plusieurs centaines de vies humaines –pardon, ouvrières- sont sacrifiées. En 1954, alors que le président du Guatemala, Jacobo Arbenz menace de mettre en place une réforme agraire, elle fait renverser le gouvernement et place au pouvoir une junte militaire qui interdit les syndicats et prive 75% des citoyens du droit de vote. En 1961, elle finance l’attaque de la Baie des Cochons. Il faut dire que quand l’un de vos principaux actionnaires n’est autre que John Foster Dulles, secrétaire d’Etat et frère du directeur de la CIA, vous êtes plutôt en bons termes avec l’Oncle Sam.

Pour ceux qui voudraient multiplier les exemples, le livre de Maurice Lemoine est assez  exhaustif. Citons un cas assez pittoresque : En 2009 au Honduras, le président Zelaya est renversé pour avoir voulu déplacer l’aéroport de la capitale ! Plusieurs représentants du gouvernement américain dont Negroponte, ex-dirigeant de la répression de la guérilla sandiniste au Nicaragua, lui avaient pourtant fait savoir que les compagnies aériennes nord-américaines n’appréciaient pas le projet de nouvel aéroport financé par le Venezuela. Évidemment, adhérer à l’ALBA n’avait pas non plus amélioré l’image du président hondurien auprès des grandes compagnies américaines.

Ces scandales ne sont que la partie émergée de l’iceberg.

La dimension de l’article ne permet pas de traiter tous les exemples. On pourrait parler de l’implantation du groupe Bolloré en Afrique et de son influence évidente sur le gouvernement guinéen. Comment pourrait-il en être autrement quand on sait qu’il est le détenteur de la concession du port de Conakry par où transitent la majeure partie des exportations de bauxite ? Concession qu’il s’est d’ailleurs approprié les armes à la main en envahissant les locaux de l’exploitant précédent.

Ce qui transparait ici, c’est qu’à tous les niveaux, du local à l’international, les grandes entreprises œuvrent main dans la main avec tous les réactionnaires, du contremaître nazillon au vrai fasciste de gouvernement. Le phénomène est tout à fait général. Pourtant, les grands médias s’étonnent en découvrant que Lafarge aurait collaboré avec Daech. Cela ne peut résulter, au mieux, que d’une croyance persistante et illusoire dans la moralité du capitalisme, au pire dans un aveuglement volontaire face à ce système. Un esprit mal tourné parlerait de complicité. Le même esprit tortueux pourrait aller jusqu’à signaler que les dirigeants des grands groupes industriels sont aussi les principaux actionnaires de la presse. Il conclurait enfin que les scandales dont nous sommes informés ne concernent certainement qu’une infime partie des exactions des multinationales.

Il est donc d’autant plus important de signaler toutes les pratiques collaborationnistes des grandes entreprises. De rappeler, jour après jour, qu’en ce moment même Facebook aide le gouvernement pakistanais à traquer les blasphémateurs ; que les banques françaises continuent d’investir en Israël malgré la colonisation ; que Lafarge a collaboré avec Daech ; que les milices privées de Bolloré sillonnent l’Afrique et y font la loi. La liste est longue. Elle fournit autant de raisons de lutter.

 


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