Nucléaire iranien : quel passé, quel avenir ?

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Nucléaire iranien : quel passé, quel avenir ?

L’accession de Joe Biden à la présidence des Etats-Unis remet sur le devant de la scène l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien du 14 juillet 2015 que les États-Unis d’Amérique ont quitté avec fracas durant l’été 2018. 

Ces dernières semaines, on a pu entendre Washington comme Téhéran vouloir tendre la main à l’autre côté tout en attendant des gestes bienveillants réciproques, tandis que les signataires ouest-européens de l’accord (la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne) ont rouvert le 18 février des discussions avec l’Oncle Sam en vue de rétablir des pourparlers entre celui-ci et l’Iran, et ce alors que les accusations sur le non-respect de l’accord par ces deux derniers vont bon train. Comment en est-on arrivé là ?

La politique de sanctions américaine

En réponse au développement du programme nucléaire militaire de la République islamique d’Iran et à son soutien au Hamas et au Hezbollah, le Congrès états-unien vote en 1996 la loi dite “D’Amato-Kennedy”. Celle-ci impose des sanctions économiques contre quiconque voudrait agir sur le marché iranien : en bref, n’importe quelle entité ou personne de n’importe quel pays qui voudrait échanger des biens ou des services avec une autre entité ou personne basée en Iran se verrait trainée devant les tribunaux américains et pourrait voir ses capitaux hébergés sur le territoire états-unien confisqués et son accès au marché américain fermé.

Ces sanctions dites extraterritoriales (car concernant le monde entier) sont depuis plusieurs décennies l’une des armes privilégiées de l’impérialisme américain. Or, au-delà de la volonté affichée d’exporter la démocratie libérale dans les pays ciblés, les sanctions américaines sont en réalité inefficaces pour  provoquer des “changements de régime” et servent surtout à faire perdurer l’ordre international américain au détriment des populations ciblées et même parfois au détriment des impérialismes alliés de Washington tels que celui de la France.

Des origines et du contexte de l’accord de Vienne

L’accord de Vienne de 2015 (ou JCPOA pour Joint Comprehensive Plan Of Action), signé par les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU (Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie et Chine), l’Allemagne et l’Iran est issu d’un long processus de négociations qui a été initié par la France en 2003. 

Cette initiative française peut s’expliquer par l’implication historique de l’impérialisme français en Iran : deuxième marché historique de Peugeot après la France, le pays est aussi le siège de succursales des principales banques françaises, a concédé des champs offshore de gaz naturel à Total et a bénéficié d’une coopération nucléaire civile avec la France avant la Révolution islamique de 1979. A cela, on peut rajouter une influence culturelle française de longue date qui s’en ressent jusque dans le vocabulaire persan.

Le JCPOA cependant n’aura pu voir le jour que grâce à la détente américano-iranienne au tournant des années 2010. Cette dernière est issue d’une part, d’un changement de majorité à Téhéran où les mollahs “centristes” emmenés par le président de la République Hassan Rohani défendent une ouverture économique tout en gardant le régime politique, en décalquant schématiquement ce qu’a fait la Chine depuis les année 1980 ; d’autre part, du constat états-unien que la politique de sanctions et d’isolement à l’encontre de l’Iran de l’administration Bush était un échec cuisant et qu’il fallait empêcher la prolifération nucléaire en Iran par d’autres moyens.

L’Iran a signé le JCPOA dans un contexte régional troublé et qui lui était plutôt difficile : tandis que ses alliés “de l’archipel chiite” du Hezbollah, du régime au pouvoir à Damas et des milices chiites irakiennes étaient aux prises avec Daesh, il avait notamment pour autre voisinage oriental un Afghanistan en guerre civile alors que des troupes américaines l’occupaient toujours, tandis que les alliés américains au Moyen-Orient lui menaient la vie dure diplomatiquement parlant.

Sur quoi porte l’accord ?

Les limitations sur l’enrichissement d’uranium par l’Iran imposées par le JCPOA portent, en substance, sur la quantité et le modèle des centrifugeuses, la limitation des stocks d’uranium iranien et la limite de leur enrichissement à 3.67%, la limitation de production de plutonium et un accès facilité des inspecteurs de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) aux installations nucléaires iraniennes pour vérifier qu’elles sont bien incapables de produire en un temps réduit la quantité de combustible nucléaire qui pourrait donner un arsenal nucléaire à l’Iran : en effet, l’accord de Vienne n’a jamais eu pour but d’arrêter complètement le programme nucléaire iranien mais bien repousser l’accès de l’Iran à la bombe atomique d’une quinzaine d’années, le temps qu’un changement de génération à Téhéran entraîne un changement de régime et que le suivant soit plus proche de l’Occident et moins enclin à développer un arsenal nucléaire.

L’accord, prévu initialement pour une durée de quinze ans, prévoit des levées partielles des limitations du programme nucléaire (ou sunsets) tous les cinq ans en échange de la levée dans le même temps des sanctions américaines mais aussi des Nations Unies si l’Iran respecte ses obligations.  Du côté du gouvernement iranien, l’accord est vu comme un moyen de donner une bouffée d’air à l’économie et donc au régime des mollahs alors que la population est la première victime des sanctions, tout en permettant un désenclavement diplomatique et économique du pays.

Le retrait américain

Ce compromis diplomatique historique qui avait fini par convaincre les puissances impérialistes comme le reste du Moyen-Orient vole en éclats à l’été 2018 lorsque Donald Trump décide de sortir les Etats-Unis d’Amérique de l’accord, le rendant de fait caduc.

L’accord, malgré la signature de tous les pays membres du Conseil de sécurité et de l’Allemagne, était avant tout américano-iranien. Parmi les raisons de la rupture trumpienne, on retrouve pêle-mêle l’influence de certains de ses conseillers, celle d’Israël (puissance nucléaire), de l’Arabie saoudite (qui a menacé de s’équiper d’armes nucléaires si l’Iran en produisait) et des Emirats Arabes Unis qui ont influencé le candidat Trump et son équipe de campagne en 2016, ainsi que le rejet viscéral du multilatéralisme chez l’ancien locataire de la Maison-Blanche dont le JCPOA était emblématique au même titre que l’accord de Paris de 2016 sur le climat.

Depuis 2018, un chemin tortueux finalement vertueux ?

La première conséquence de ce retrait a été le retrait brutal des intérêts européens dans le pays, sous peine de sanctions américaines sévères. Cela a entraîné en parallèle le retour d’une économie d’autarcie en Iran avec un succès très mitigé sur fond d’une montée des intérêts chinois au pays des mollahs.

Ce dernier point n’est pas à négliger dans les motivations qui poussent le candidat puis le président Biden à vouloir faire revenir son pays dans l’accord. Cette volonté s’inscrit d’ailleurs dans son projet global de revenir au statu quo ante pré-Trump. Quant à l’Iran, il veut revenir dans l’article en gardant les dates-butoir initialement prévues, et ce alors qu’il dépasse à nouveau les limites d’enrichissement du traité de 2015.

Nonobstant cette dernière difficulté et les différentes piques envoyées de chaque côté lors de la période de transition qui vient de s’achever à Washington, les signes de bonne volonté prennent le dessus et les négociations reprennent peu à peu ces dernières semaines. Ainsi il y a bon espoir pour que l’accord de Vienne revienne en vigueur d’une manière ou d’une autre dans un avenir proche, et que par conséquent ce symbole de la diplomatie de la non-prolifération nucléaire redevienne une garantie pour la paix autour du Golfe Persique, et au-delà. Les avancées dans le sens de la non-prolifération pourront être renforcées par l’application du traité d’abolition des armes nucléaires (TIAN) qui permettra réellement d’éteindre cette menace mondiale.


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