Olivier Munoz (PCF RATP) : “La mentalité de nos dirigeants : payer des entreprises privées plutôt que de conserver l’emploi et les compétences en interne”

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Olivier Munoz (PCF RATP) : “La mentalité de nos dirigeants : payer des entreprises privées plutôt que de conserver l’emploi et les compétences en interne”

Le transport en commun public est un besoin indispensable pour le monde du travail et une des solutions contre le réchauffement climatique. Ces dernières années, des investissements massifs ont été obtenus dans le réseau de transport francilien, notamment pour mettre en service 200 kilomètres de lignes supplémentaires. Mais la direction de la RATP, d’Ile de France Mobilités et le gouvernement semblent aller dans la direction opposée au niveau de l’emploi, en ouvrant le secteur à la concurrence et en attaquant les droits des salariés. Avant-Garde en a parlé avec Olivier Munoz, secrétaire de la section RATP du parti communiste français.

Vous avez dénoncé la tentative de faire payer la crise aux salariés de la RATP. Quelles sont les mesures préparées contre les salariés ?

Elles sont de plusieurs ordres. Depuis plusieurs années la direction met en place ce qu’elle appelle la « productivité », c’est-à-dire des plans d‘économie. Chaque année, l’objectif est de faire mieux avec moins de moyens. La taille du réseau RATP et les exigences d’IdFM (Île-de-France Mobilités) ne cessent d’augmenter alors que les effectifs stagnent, voire baissent…

En parallèle, elle a lancé le plan « Diapason » dont l’objectif est de faire des économies en réduisant drastiquement les fonctions support de l’entreprise.

Et en septembre, elle a proposé 2 plans de suppressions d’emplois dans le cadre de Diapason : un plan de 100 départs volontaires et un plan de 100 départs en fin de carrière anticipés. Dans les 2 cas, les salariés partants ne seront pas remplacés, leurs postes seront purement et simplement supprimés ! C’est donc ni plus ni moins qu’un plan de suppression d’emploi déguisé.

Alors qu’il appelle les entreprises à être exemplaire et maintenir l’emploi, le gouvernement lorsqu’il est actionnaire fait le contraire de ce qu’il dit et supprime des emplois (nécessaires !) dès qu’il le peut.

Et au-delà de la RATP, l’ouverture à la concurrence du secteur menace également les salariés…

D’après vous l’ouverture à la concurrence est une grande menace pour les salariés et pour l’emploi dans le secteur ?

Oui. Pour le comprendre, il faut savoir que 70% du coût du transport public correspond à la main-d’œuvre. Cela veut dire que chaque entreprise essaiera, pour être moins chère que ses concurrentes, de raboter au maximum les salaires et les conditions de travail… On assistera à un énorme dumping et une course au moins disant social pour dégager des marges qui permettent de gagner les appels d’offre et rémunérer les actionnaires.

D’autre part, le concept même d’appel d’offre implique qu’une entreprise aura le marché pour quelques années mais finira par augmenter les salaires et donc être plus chère que n’importe lequel de ses concurrents qui reprendrait des salariés au SMIC. 

De cette manière, il se crée de fait une perpétuelle stagnation des salaires, avec des employés (parfois les mêmes !) qui tous les 5 ans repartent de 0 dans la nouvelle entreprise ayant remporté le marché… C’est une menace gravissime pour les salariés puisqu’en plus de renforcer la précarité, il n’y a plus d’évolution de carrière possible.

Nous assistons déjà à ça parmi les sous-traitants en charge du nettoyage des stations RATP.

Quelle politique faudrait-il mener plutôt dans l’intérêt des salariés, des usagers et de l’environnement, dans les grandes lignes ?

Les transports sont payés principalement par la puissance publique (Etat, région) et les entreprises (versement transport et remboursement Navigo), mais également par les usagers.

Il faut garantir que 100% de cet argent engagé serve effectivement au transport. Or les entreprises privées sont là pour gagner de l’argent et verser des dividendes. Il faut donc un monopole public pour garantir qu’il n’y ait pas de détournement de cet argent vers d’autres buts, comme par exemple les bénéfices de leurs actionnaires.

Cela passera par la constitution d’un pôle public réunissant la RATP, la SNCF et les diverses autres entreprises publiques du transport et la nationalisation ou régionalisation des opérateurs privés. Nous travaillons d’ailleurs en ce moment sur une proposition de Régie Régionale du transport qui pourrait avoir vocation à absorber les entreprises du réseau privé Optile.

Est-ce que la RATP recrute suffisamment ?

Non, elle recrute bien en-dessous de ce qu’elle devrait.

Pour avoir un exemple très concret : en 2016 la RATP a reçu 63 millions d’euros de CICE, ce qui correspond à 1050 emplois sur l’année au salaire moyen RATP (sachant que les nouveaux entrants sont en général en dessous de cette moyenne). Cette année là, seulement 481 postes ont été  créés (et encore, moins de la moitié était prévue s’il n’y avait pas eu de lutte syndicale !). Cela veut dire que de l’argent équivalent à 600 emplois a été reçu par la RATP mais n’a pas servi à créer de l’emploi cette année-là. Et c’est malheureusement loin d’être une année isolée.

D’autre part, on assiste depuis plusieurs décennies à un mouvement qui consiste à supprimer de plus en plus de métiers. Le A de RATP signifiait « autonome » car la RATP avait tous les corps de métier et était réellement autonome puisqu’elle pouvait elle-même assurer tous les travaux : menuiserie, serrurerie, entretien des escaliers mécaniques/ascenseurs, maquettisme, réalisation des travaux, entretiens d’aiguillages, etc…

Il était rare de trouver un travail qui ne pouvait pas être réalisé par des agents RATP et doive passer par la sous-traitance. Aujourd’hui la dynamique est inverse, les sous-traitants deviennent la norme et la RATP ne conserve que le suivi et le contrôle de ces travaux. Cela pourrait paraître anecdotique (quelques centaines d’emplois sur les 45000 RATP) mais c’est très représentatif de la mentalité de nos dirigeants : payer des entreprises privées plutôt que de conserver l’emploi et les compétences en interne.

Les jeunes sont particulièrement touchés par le chômage et la précarité sur le marché du travail. Est-ce que c’est de la responsabilité de l’entreprise RATP d’embaucher des jeunes ?

La RATP ne recrute pas au niveau de ce qu’elle devrait dans tous les secteurs de l’entreprise. Cela entraîne en effet que des jeunes restent sans emploi alors qu’il y aurait du travail à effectuer, et donc des postes de travail à créer.

Ne serait-ce que sur la maintenance (qui est fondamental pour éviter les accidents), par manque de moyens, la stratégie de l’entreprise est passée d’une maintenance majoritairement préventive (entretenir le matériel et remplacer les pièces vieillissantes avant qu’elles ne cassent) à une maintenance de plus en plus corrective (attendre l’avarie pour remplacer les pièces). Cela se traduit par de plus en plus de problèmes d’exploitation qui impactent le trafic en journée et pénalise au final les usagers.

Ce n’est pas le seul secteur mais c’est en tout cas le plus emblématique à mon sens : par dogme on préfère prendre des risques et en faire prendre aux usagers/salariés plutôt que de recruter suffisamment pour assurer une maintenance au niveau…

En termes de formation, que faudrait-il mettre en place pour former et recruter des jeunes à la RATP ?

Beaucoup de choses pourraient être faites.

Avec les métiers « disparus » dont je parlais, la RATP avait un CFA interne réputé et qui formait exclusivement pour l’entreprise. L’embauche était conditionnée à l’obtention du diplôme mais beaucoup de jeunes ont été recrutés à la RATP de cette manière.

Lorsque le nombre de postes était trop faible, la RATP faisait appel à des CFA de la région. Là encore l’embauche était conditionnée à l’obtention du diplôme mais elle était possible et d’autres jeunes ont été recrutés de cette manière.

Ces dispositifs ont de plus en plus disparu ou ont été marginalisés dans l’entreprise. Dans mon département par exemple, une consigne a été passée pour ne plus prendre d’apprentis (que nous étions obligés de recruter) mais des contrats de professionnalisation (que nous n’étions pas obligés de recruter s’ils obtenaient leur diplôme). La politique RH est donc calculée pour ne surtout pas recruter !

D’autres départements comme le département BUS ont du mal à recruter des jeunes alors que beaucoup veulent entrer à la RATP. S’il y a un problème d’attractivité (bas salaires, horaires en roulements, etc…) qui en dissuade finalement certains, il y a aussi des processus de recrutement longs et l’absence de structure interne de formation ou de partenariats suffisants avec les CFA et lycées de la région pour pourvoir les postes vacants. Il est évident que des formations avec promesse d’embauche seraient un bon moyen d’assurer à la fois une formation de qualité et un emploi à des jeunes qui risquent sinon de se retrouver au chômage.


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