Parcoursup, entretien avec Pierre Ouzoulias sénateur communiste

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Parcoursup, entretien avec Pierre Ouzoulias sénateur communiste

Alors que 60 000 candidats sont toujours sans aucune affectation, P. Ouzoulias, sénateur communiste, vice-président de la commission culture, éducation et communication nous fait part de son analyse et de ses différentes inquiétudes concernant la nouvelle plateforme.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis chercheur au CNRS, archéologue et historien. J’ai travaillé au ministère de la Culture, au CNRS, j’ai également enseigné à la fac, à Nanterre et Paris I, l’histoire et l’archéologie. J’ai été élu conseiller départemental sur le canton de Bagneux en 2015 et sénateur des Hauts-de-Seine, en septembre 2017. Je siège au Sénat dans le groupe communistes, républicains, citoyens et écologiste, fort de quinze membres. Je suis vice-président de la commission Culture, ainsi que de la commission sur les affaires européennes.

Malgré les dénégations de la ministre de l’enseignement supérieur, l’échec de Parcoursup est là. Vous attendiez-vous à ce résultat et à ces chiffres ?

Oui je m’attendais à ce résultat mais la ministre aussi. C’était son objectif !  L’objectif de Parcoursup c’est d’éliminer un trop plein d’étudiants pour lesquels il n’y a pas le budget., La ministre savait très bien qu’avec cette réforme il y aurait une partie des jeunes, qui jusqu’à présent allaient à l’université, qui ne pourront plus y aller. Nous pouvons discuter de savoir quels étaient les étudiants qui allaient à l’université pour échouer, le taux d’échec est une réalité. Mais pourquoi ces jeunes arrivait dans ces filières pour y échouer ?

Essentiellement parce qu’il y a eu le report sur les dernières filières accessibles à tout le monde, d’une bonne partie des bacheliers de l’enseignement technologique qui aujourd’hui ne peuvent plus aller en IUT, car les IUT à 70 % deviennent un circuit universitaire pour les bac S, qui leur permettent après 2 ans très souvent de réintégrer ainsi un cycle long universitaire. Donc les IUT qui étaient destinés pour les bac techno, aujourd’hui ne le sont plus.  

Je l’ai vu quand j’enseignais à Paris I en archéologie. Des élèves n’y étaient pas à leur place, mais c’était la seule filière qui leur était ouverte, tout le reste leur était fermé. On peut aussi ajouter qu’aujourd’hui un diplôme d’enseignement supérieur c’est une garantie d’emploi, donc tout le monde tente sa chance à l’université.  Même avec des chances de réussite qui sont infimes. Chez les élèves issus de certaines filières il y a jusqu’à 60 %, 80 % d’échec. Le taux invoqué par la ministre varie. Il aurait fallu comprendre qualitativement qui ça concerne et pourquoi. La ministre en a tiré argument pour mettre en place un système beaucoup plus restrictif qui va mettre des milliers de bacheliers sur le carreau.  On verra les résultats, mais ce sera difficile de savoir exactement qui va rester sur le carreau.

Je sais que dans les Hauts-de-Seine par exemple il y a beaucoup de familles qui ont intégré que finalement l’université c’était pas pour eux. Ces familles ne feront pas appel aux commissions rectorales, elles ne feront pas de recours et vont sortir de Parcoursup en se disant que la fac ce n’est pas pour eux.  La ministre pourra dire qu’ils ne se sont pas manifestés. Il y a une autocensure qui est forte.

Ces élèves qui ne trouvent pas leur place dans l’enseignement supérieur est-ce lié à un mauvais système d’orientation ? Comment améliorer l’orientation ? Qu’est-ce qui peut être créé ?

C’est essentiellement dû au fait qu’il y a un certain nombre de filières dites “en tension” que moi j’appelle sous-dotées, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Ces filières concentrent beaucoup de demandes, je pense notamment aux STAPS qui sont d’excellentes filières et victimes de leur succès. Le taux d’emploi à la sortie y est élevé entre  80 et 90 pourcents, et pas uniquement dans le sport, donc entrer dans cette filière c’est sortir avec un travail. Cependant, une bonne partie des bac techno, qui allaient essentiellement vers les IUT et qui aujourd’hui ne peuvent plus y aller, se sont reportés vers les universités et ces jeunes ne tiennent souvent pas plus d’un trimestre en général. A la fois par la  différence de niveau mais également l’encadrement qui n’est pas le même à la fac.

La fac est un endroit où on trouve un espace de liberté, où on organise son travail comme on veut. C’est pour ça qu’une convergence totale n’est pas souhaitée parce qu’il y a des pédagogies différentes et qu’on ne peut pas faire rentrer tout le monde dans le même moule.

Quelles alternatives peut-on créer ?

J’avais trouvé une solution je l’ai donnée à la ministre qui l’a refusée. Il s’agissait de prendre le crédit impôt-recherche, qui est l’argent que les entreprises investissent soi-disant dans la recherche. L’utilité de cette mesure, même les députés de la République en marche le reconnaissent, est invérifiable ou très très faible c’est une niche fiscale.  Du moins pour les grands groupes, pour les PME ce crédit peut leur être profitable mais pour le grands groupes c’est un outil d’optimisation fiscale. La suppression de ce crédit d’impôt aurait permis de donner de l’argent aux universités. De l’argent il y en avait donc, mais la ministre a fait le choix politique de ne pas le donner aux universités. Ce choix n’est pas nouveau, le dernier à avoir largement abonder le budget de l’université c’était Lionel Jospin !

Derrière le manque de places se trouve le manque de moyens ?

Et M. Blanquer [NdlR le ministre de l’éducation] le montre très bien, dans l’éducation l’équation est simple : un prof c’est une classe et quand on diminue le nombre de gamins par classe le prof y arrive mieux c’est aussi simple que ça. Et c’est pour ça que M. Blanquer divise par deux les classes de CP en REP + et maintenant en REP. Les résultats sont impressionnants, ça marche très bien. Cependant,  il pique les postes ailleurs et tous les enfants en difficulté ne sont pas en Rép +.

Comment se sont passés les débats au Sénat sur cette loi ?

Au Sénat, la majorité sénatoriale de droite a considéré que c’était une bonne loi et que enfin on parlait de sélection qui était une nécessité. Pour la droite cette loi a été vécue comme une sorte de revanche. Ils ont pris leur revanche. Devaquet avait eu raison avant tout le monde et maintenant c’est une évidence.

A cela s’est ajouté un couplet utilitariste : “ça ne sert à rien de mettre de l’argent dans les universités il faut mettre de l’argent là où ça rapporte pour telle filière ou tel métier”. Le groupe socialiste s’est abstenu en commission autour de la loi et en privé sont venus me dire qu’ils étaient assez emmerdés vis-à-vis de cette loi parce que ce sont eux qui ont amorcé ce processus.

Le tirage au sort était une catastrophe parce que même si ça concernait très peu d’étudiants le message politique envoyé a été détestable. Vidal a sauté dessus tout de suite.

En séance les socialistes et les communistes se sont retrouvés ensemble pour combattre  la loi mais pour la majorité sénatoriale c’était une très bonne loi : “tout le monde ne peux pas aller à l’Université” ; “il faut de la sélection” ; “c’est absolument nécessaire”.

Cependant  un constat est partagé par tout le monde, Jacques Grosperrin [NdlR : sénateur LR] le rapporteur de la loi disait : “il faut un milliard par an et une nouvelle fac par an”.  Puis ajoutait : “mais les contraintes budgétaires pour respecter les engagements européens nous obligent faire autrement”. “Les moyens actuels doivent être ciblés sur ce qu’il y a de plus intéressant de plus rentable”. 80 % d’échec pour la majorité sénatoriale ça veut dire qu’il y a des jeunes étudiants qui “rentrent dans les amphis parce qu’il y a de la lumière il de quoi se chauffer” comme disait Sarkozy, et ceux là il faut les mettre dehors car ils coûtent trop cher.

Par rapport à cette sélection automatique que les universités font est-ce qu’on peut parler de discrimination qu’elle soit territoriale, sociale, ou même raciste ? Comment fonctionne ces algorithmes locaux ?

Les algorithmes sont vraiment effectifs dans les universités où il y a beaucoup de dossiers, ce n’est pas le cas partout.  

Dans ces universités, les fonctionnement est grosso modo similaire. Trois tas sont faits. Le premier tas est celui des étudiants qui sont automatiquement pris, selon un ou deux critères sans examen du dossier, ça peut être les mentions au bac, mais aussi le lycée d’origine.

Un autre tas, fait sur le même principe, écarte à l’inverse certains profils selon quelques critères, le lycée d’origine, la filière, etc.

Un troisième tas, plus ou moins important, fera l’objet d’un examen réel des dossiers.

Pour les deux premiers tas, le traitement est fait par un algorithme qui note les dossiers, en attribuant des points en fonction de critères. Telle mention vaut tant de points, etc. Les bulletins de notes peuvent également être revalorisés en fonction du lycée, il y a une pondération selon le niveau supposé des lycées.

L’université de Pau a publié officiellement ses algorithmes, par exemple pour les STAPS le BAFA ça vaut 15 points sur 110 et ainsi de suite… Donc nous on a demandé d’avoir officiellement ces algorithmes.  La ministre est dans le déni et elle m’a répondu que ces algorithmes n’existaient pas. Je l’ai interrogée au Sénat là-dessus et elle a continué son discours et donc je lui ai présenté les algorithmes de Pau et elle a répondu qu’elle ne les connaissait pas. A la fin de la séance elle m’a demandé de les lui fournir !  (rire)

Il est important d’obtenir et donc de demander ces algorithmes. Lors de l’examen de la loi au Sénat elle a ajouté en séance publique un amendement pour protéger les comités de sélection de ce type de demande extérieure.

On commence également à recenser des témoignages d’une baisse importante du nombre d’élèves issus de banlieue dans les formations dispensées à Paris…

Oui. On a des éléments concrets qui l’attestent. Les taux de boursiers ont énormément variés, par exemple à Paris I le taux devait être à 10 ou 12 % et maintenant il est à 3%  ou 4% !

Il y a deux phénomènes dans l’algorithme national qui se combinent. Il faut qu’il y ait un minimum de boursiers, qui est calculé en fonction du nombre de candidats boursiers. Il faut que le nombre de candidats boursiers admis soit au moins égal au pourcentage de candidats boursiers postulant.

Le deuxième élément est la limitation de candidatures dans une autre académie que celle de son lycée ou de sa résidence or c’est cet élément qui est limitant. Cette limitation géographique n’existait pas, il n’y avait pas de sélection, donc les dossiers étaient acceptés peu importe l’origine géographique des candidats. La limitation à 5% des inscrits d’hors académie a conduit à cette situation. En voulant quelque part protéger la fuite des cerveaux on fait de l’entre-soi. C’est une demande de la CPU [NdlR : la conférence des présidents d’université] notamment de M. Roussel président de l’Université de Marne-la-Vallée qui le disait très clairement. Le cabinet de la ministre le justifiait également comme garde fou pour limiter les mouvements entre académies à la mise en place du nouveau système.

Est-ce qu’on connaît le profil des élèves qui n’ont pas d’affectation ?

On a su par des indiscrétions que dans les 2 académies de Versailles et Créteil il y avait 10 000 candidats qui avaient demandé le recours aux commissions rectorat, c’est-à-dire des gens qui n’ont reçu que des refus. Nous avons interrogé la ministre au Sénat concernant ces chiffres et elle n’a pas répondu. Nous avons également demandé à la ministre les résultats de parcoursup par filière du bac. On n’a pas voulu non plus nous fournir ces éléments. On nous répond que la ministre fera le bilan le 21 septembre et qu’elle ne dirait rien avant .       

Est-ce un problème de réduire l’accès pour réduire le taux d’échec ?

Je vais citer Hervé Christofol [NdlR : le secrétaire général du SneSupFSU].Dans le taux d’échec ce qui n’est pas vu c’est le changement de filière. Par exemple une personne qui arrive à la fac dans une filière quelconque et qui souhaite se réorienter, même s’il réussit dans sa nouvelle filière, aura sa première année comptabilisée dans le taux d’échec. Il a échoué dans la filière et on ne voit pas ensuite qu’il a réussi dans un autre parcours qui le satisfait mieux. Sur les chiffres il y aurait beaucoup à dire, déjà : Qu’est-ce que c’est que l’échec ?

Est-ce qu’on connaît ces chiffres ?

Non pas précisément, on a pas de qualitatif, même si on connaît à peu près le nombre de réorientation, de succès de redoublement, de succès en 3 ans, etc. Mais par exemple dans le cas de CentralSupÉlec on totalise le taux d’échec à 96%. Et pourtant, on ne va heureusement pas fermer les classes préparatoires. On peut aussi prendre pour exemple la première année de PACES, le taux d’échec est alors de 80%. Ils sont 1700 et ils finissent à 300. Alors qu’en PACES, on comptabilise 80% de mentions en bac scientifique.

Concernant la réorientation, est-ce que Parcoursup va compliquer ces procédures de changement de filières ?

Non, Parcoursup c’est simplement ce qui fait la sélection vers l’enseignement supérieur. Après je pense qu’on pourrait élargir le débat à la loi ORE qui va très certainement compliquer les procédures mais nous n’avons que peu aborder le sujet dans la conférence d’aujourd’hui. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la ministre a une équation à régler : Il y a une progression démographique alors que le Premier ministre lui rétorque qu’il n’y aura aucune augmentation de budget. La solution qu’elle a trouvé, même si c’est caricatural, c’est de se dire qu’elle peut absorber cette progression démographique en évitant les redoublements et les réorientations qui coûtent un “pognon de dingue” pour utiliser la formule consacrée. Comme c’est appliqué au lycée, où le redoublement devient de plus en plus rare.

Parcoursup range alors les lycéens dans les cases où il y a de la place, on force l’orientation. En second temps, loi ORE sera l’accompagnement mis en place pour limiter le redoublement en licence.

Sur le plan financier, ces différentes mesures feraient économiser environ 800 millions d’euros, en effet on “économise” 100 000 étudiants à 8 000 euros l’année. L’arrêté licence aura lui vocation de faciliter l’adaptation aux étudiants en difficulté. Sans les faire redoubler, on va alors valider plus facilement leurs UE, au détriment de la qualité des formations. L’autonomisation des universités n’arrange pas non plus cette situation. Même si plus d’étudiants réussiront leurs licences, celles-ci seront plus ou moins valorisées en fonction de l’université.  

Pourquoi aujourd’hui le mouvement communiste est radicalement opposé à ces différentes réformes et à la sélection à l’université ?

J’irai bien plus loin que ça, je pense que le combat qu’on mène actuellement dans le monde universitaire, et simplement l’idée de permettre à chacun de s’épanouir et de choisir son parcours personnel : c’est un combat républicain. Je trouve que les communistes sont, au parlement aujourd’hui, les derniers à défendre une école et une éducation républicaine telle que l’avait envisagé Condorcet. Il faut reprendre le texte déposé devant la convention par Condorcet en 1794, stipulant que l’ambition républicaine en matière d’éducation est la promotion de la personnalité, d’un parcours de recherche et surtout de former les citoyens pour la démocratie, de former au métier de citoyen et citoyenne.

Et quand nous, communiste on défend aujourd’hui cette vision de l’université, on reprend et perpétue un projet républicain qui est celui de 1789. Ce qui est triste c’est qu’on est quasiment seul à le défendre. Il y avait avant pourtant des bancs entiers, y compris à droite, de politiques qui défendent ce projet. J’ai d’ailleurs repris les discours d’Edgar Faure en 1968, et au vue de ses positions, il serait certainement catégorisé par Frédérique Vidal comme d’extrême gauche. Il y avait à droite, encore, une vision républicaine de l’éducation qui a permis la loi Faure. Alors qu’aujourd’hui, on assiste à un mouvement de fond du libéralisme qui a métamorphosé cette idée de l’éducation.

On finit malheureusement par être les seuls à défendre une idée républicaine de l’éducation et de la formation. Après je considère que les communistes sont des républicains d’abord, donc ça reste cohérent. Mais on voit très bien l’objectif, alors que celui-ci devrait être de former des esprits, de former la population au métier de citoyen et surtout de donner en tant que service public les moyens aux gens de leur réalisation intellectuelle et de leur parcours intellectuel, en toute liberté. Quand on commence à imposer des parcours intellectuels, que ce soit pour les enseignants ou les étudiants, je ne cautionne pas.

Il faut aussi prendre en compte qu’en 1968, le pourcentage de la population qui rentrait à l’université était très faible. Alors que toute la population, ainsi que les forces économiques, avait besoin d’une élévation des qualifications et du niveau de connaissance. Ainsi l’objectif des 80% d’une classe d’âge au baccalauréat est atteint en 81, disons les choses, à la première victoire de la gauche. Le tout appuyé par une augmentation constante du nombre d’étudiants. Je veux dire que la droite avait peut-être des idées plus « franches », mais que pour être vue comme plus “démocratique”, elle soutenait l’idée d’une éducation et d’une université républicaine.

On peut aussi reprendre d’Edgar Faure, le livre passionnant qu’il a écrit pour accompagner sa réforme. Il montre que De Gaulle lui a donné carte blanche et que sur ces aspects de démocratisation de l’université, à la fois par son accès et par sa gestion, la droite était vent-debout, n’en voulait absolument pas, De Gaulle lui a alors dit « Je vous fais confiance, ce que je veux c’est que les mobilisations se terminent et que les étudiants soient dans les facs, point. ». Celui-ci accepte alors une vision de l’éducation qu’il ne partageait pas jusqu’à présent. E.Faure avait même envisagé de supprimer les classes préparatoires. Pompidou, qui était normalien, a fait rempart de son corps en lui rétorquant que ce n’est pas possible et que jamais elles ne seraient supprimées. Et dessus E.Faure a écrit que si De Gaulle ne lui avait pas donné un soutien fort, il n’y serait jamais arrivé. Mais c’est aussi parce qu’on est dans un contexte très particulier.

Ce qui est aussi amusant sur la politique universitaire du gouvernement de cette époque, c’est par exemple le numerus clausus pour l’accès aux études de médecines. Celui-ci est introduit en 1968, mais E.Faure l’augmente tellement, que très vite, il n’a plus aucune valeur. Alors que pourtant les professionnels de la santé avaient obligé un numerus clausus, jugé selon eux comme essentiel.

E.Faure juge aussi dans ses textes que l’université doit avoir un regard critique sur la société et que c’est sa nature, contrairement aux écoles etc. Elle doit être un instrument de la pensée critique. Aujourd’hui on ne se pose seulement que la question de la professionnalisation et du taux d’insertion même si ceux-ci sont importants. D’autant plus qu’il n’y a pas forcément d’adéquation entre la formation et le premier emploi.

C’est alors intéressant de voir, comment en 50 ans, ces idées émancipatrices de gauche ont pu reculer au profit d’une vision libérale de la société qui a vraiment tout emporté. Et on souffre de ça.

Pour conclure, quelle analyse fais-tu de la mobilisation contre la sélection et des quelques problèmes qu’elle a pu rencontrer, souvent qualifiée comme « segmentée ».

Je trouve que les relations que l’on a pu avoir au sein du parlement avec toutes les organisations, ça a été passionnant et constructif. Dans un respect mutuel, nous avons pu avancer et travailler ensemble. J’ai aussi fait un tour de France d’une douzaine de facs avec à chaque fois des situations bien des distinctes et 12 contextes de mobilisations différents.

Parce que les équipes universitaires ne sont pas les mêmes, la composition politique des mobilisateurs n’est pas la même et les problématiques ne sont pas les mêmes non plus, par exemple à Pau le problème n’est pas d’avoir trop d’étudiants mais d’en avoir pas assez, donc ils n’ont pas appliqué parcoursup. Ils ont un taux de surbooking tellement élevé, qu’ils ont accepté l’entièreté des étudiants. Pareil à Bordeaux.

Ensuite, quand on regarde le champ syndical et le champ de revendications, c’était très diversifié. Je suis allé à Marseille et des collègues m’ont dit que pour 80% des étudiants qui occupaient l’amphi bloqué, c’était leur premier contact avec la politique. Dans d’autres universités, l’UNEF était présente, parfois l’UEC, parfois le SneSup. J’ai retrouvé dans chacune des universités visitée des configurations très différentes, le paysage syndical étant comme le paysage politique : complètement éclaté, avec ses forces et ses faiblesses et dans lequel on retrouve une difficulté de cohérence nationale.

En effet les situations locales ont tellement divergé, qu’aujourd’hui, avoir une réponse nationale qui s’applique à l’extrême variété des situations, ce n’est plus possible. Il faut donc s’adapter à chaque fac. Même si on retrouve une uniformité des revendications, concernant la dégradation des conditions de travail et d’exercice. Il y a une crise des formes classiques de mobilisations, le revers de nombreuses mobilisations précédentes, dans lesquelles nous n’avions rien gagné, pèse alors dans l’inconscient collectif. On assiste à une crise des formes de mobilisations et il faut se questionner par rapport à ça, qui peut amener certains à se radicaliser, par des blacks blocs ou autres…

Les étudiants étant souvent en phase de construction politique, peuvent se laisser tenter par une certaine radicalité, ce qui ne sert pas l’efficacité des mobilisations. Le tout appuyé par une forte tension des forces de l’ordre dans les facs cette année. Les lycéens de la région parisienne, à chaque tentative de blocage, se retrouvaient avec une arrivée de la BAC dans la demi-heure. Il y a eu une volonté de ne rien céder aux lycéens, étudiants et enseignants mobilisés contre Parcoursup et de laisser pourrir le mouvement par ces différentes radicalités.

Cette situation est valable bien plus largement qu’au simple monde de l’enseignement supérieur. On retrouve aujourd’hui un arsenal législatif, qui bataille contre les mobilisations et même les tentatives de mobilisation. Sous prétexte par exemple de « lutte contre le terrorisme », on est dans un recul démocratique.


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