Pesticides, l’impératif économique avant le principe de précaution

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Pesticides, l’impératif économique avant le principe de précaution

Le 9 septembre dernier le gouvernement a lancé une consultation pour déterminer quelle distance serait optimale pour protéger les lieux de travail et d’habitation des zones d’épandage de produits phytosanitaires.

Une mobilisation des élus locaux

A l’origine de cette décision, Daniel Cueff, maire de Langouët, qui le 18 mai 2019 prit un arrêté interdisant l’utilisation de pesticides à moins de 150 mètres des habitations et lieux de travail sur sa Commune. « Dix ans que l’Etat doit transcrire en droit français la directive européenne qui demande la protection des habitants proches des champs traités ! L’utilisation des pesticides a augmenté de 17 % au lieu d’être réduite de 50 %. Il fallait que je protège mes administrés » justifie-t-il. Toutefois, l’arrêté fut retoqué devant le tribunal administratif le 27 août 2019 car considéré comme illégal.

En réaction à ce verdict, plusieurs maires sur tout le territoire prirent à leur tour des arrêtés anti-pesticides pour soutenir leur collègue et alerter l’opinion publique sur les dangers des intrants chimiques pour la santé de tous et toutes. Dans ce mouvement, le Président du Département du Val-de-Marne (PCF) prit la décision historique, mais symbolique, d’interdire l’utilisation de pesticides à l’échelle de son territoire.

Une décision gouvernementale contestée

La mobilisation de ces élus porta ses fruits puisqu’elle obligea le gouvernement à prendre position. Ce dernier déclara le samedi 7 septembre défendre une distance de 3 à 10 mètres, celle préconisée par une étude de l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (Anses).

Cependant cette annonce ne semble pas faire consensus. Les maires mobilisés sont scandalisés et les écologistes d’EELV dénoncent dans un communiqué « l’entêtement de ce gouvernement à défendre les positions de la FNSEA et des lobbies ». Quant à la FNSEA, syndicat pro-agriculture intensive et majoritaire chez les agriculteurs, elle se déclare satisfaite et pointe du doigt le délire et le mépris des écologistes pour les agriculteurs.

Dans un débat où, d’une part, les écologistes et autres associations ne se basent sur aucune étude scientifique pour appuyer leurs propositions, et où d’autre part, le gouvernement et la FNSEA font preuve d’une hypocrisie sans nom au vu des blocages ou reculs lorsqu’il s’agit d’interdire ou de limiter l’utilisation des pesticides, il est nécessaire de revenir sur certains points.

Un débat compliqué

Tout d’abord, les résultats de l’étude de l’ANSES sont à prendre avec des pincettes. La méthodologie utilisée peut remettre en cause leur fiabilité. D’ailleurs l’Agence ne s’en cache pas dans son avis. Le document guide de l’EFSA de 2014 sur lequel elle s’appuie précise que « l’évaluation de l’exposition des personnes présentes et des résidents repose sur des données limitées issues d’études effectuées dans les années 1980 et sur les données de l’USEPA ». « La méthodologie présentée dans le document guide de l’EFSA permet une estimation de l’exposition des personnes présentes et des résidents uniquement à des distances de 2-3, 5 et 10 m pour les applications avec un pulvérisateur à rampe ». C’est donc sur des données vieilles de plus de 30 ans que l’évaluation de l’exposition a été faite et avec uniquement des distances testées de 2-3,5 et 10 mètres. Une réactualisation de la méthodologie est prévue par l’EFSA pour 2021. Il faudra donc attendre pour pouvoir bénéficier d’une étude fiable.

Ensuite, l’exposition aux pesticides ne se fait pas majoritairement par voie respiratoire. Selon l’OMS et un rapport de l’Observatoire des Résidus de Pesticides (ORP) l’alimentation est la principale source d’exposition pour les populations. La mise en place de distances de sécurité n’est donc pas à même d’empêcher les français d’être exposés mais peut réduire, de façon peu significative, cette exposition.

Que sait-on des effets des pesticides sur la santé humaine ? Dans son expertise collective Pesticides, effets sur la santé, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) fait l’état des lieux des différentes études traitant des pesticides et de leurs effets sur l’être humain. Bilan : aucune certitude sur la nocivité des pesticides mais une forte présomption existe parmi les chercheurs. Selon l’Institut, « il semble exister une association positive entre exposition professionnelle à des pesticides et certaines pathologies chez l’adulte : la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate et certains cancers hématopoïétiques » et « les expositions aux pesticides intervenant au cours de la période prénatale et périnatale ainsi que la petite enfance semblent être particulièrement à risque pour le développement de l’enfant ». De même il faudra attendre des recherches plus approfondies pour être certain de la nocivité de ces produits. 

Les autres problèmes posés par les pesticides

Cependant, la nocivité pour la santé humaine n’est pas la plus grande source d’inquiétude quand il s’agit de pesticides.

En agriculture conventionnelle ils sont utilisés afin de tuer insectes, mauvaises herbes, champignons etc qui sont considérés comme nuisibles pour le développement des cultures. En cela ils s’attaquent à tout ce qui entretient la fertilité des sols, à tout ce qui permet à l’humus de se renouveler. Selon l’ONU, à cause de l’épandage massif de pesticides et aussi du labourage intensif, les couches supérieures des sols cultivés peuvent devenir stériles d’ici 60 ans. Pas de fertilité, pas de plante. Pas de plante, pas de nourriture…

Comme écrit ci-dessus les insectes sont touchés, au premier rang desquels les abeilles. Elles sont à l’origine de la pollinisation d’une quantité conséquente de plantes et jouent à ce titre un rôle indispensable et irremplaçable. Selon Bernard Vaissière, chargé de recherche à l’unité abeille et environnement à l’INRA d’Avignon, les abeilles interviennent dans quatre grands domaines de l’agriculture, « ce qui représente 30% de notre tonnage d’alimentation, elles sont donc essentielles à notre alimentation ». Pas d’abeille, pas de plante. Pas de plante, pas de nourriture…

Derrière les pesticides, le modèle agricole en question 

Ainsi la question n’est pas tant de déterminer la meilleure distance qui pourrait nous éviter de voir le problème et de le respirer mais de mettre en place une alternative à l’agriculture conventionnelle à l’échelle nationale. Seulement, est-ce possible dans une économie de marché où l’agriculture est dominée par le monopole de l’agroalimentaire ?

Le passage à des méthodes agricoles respectueuses de l’environnement suppose l’apport de nombreux investissements dans la recherche agronomique, dans la formation de nouveaux ouvriers agricoles, dans la production de matériels adaptés aux nouvelles techniques et dans le réaménagement de nos territoires agricoles. Ce sont des investissements que seul un Etat peut mobiliser et mettre en cohérence et qui n’auront des effets que sur le long terme. Or, dans une économie de marché où le Capital investit seulement dans les productions apportant un profit immédiat, cette transition est impossible.


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