Au procès en appel de Lula, les juges condamnent la démocratie

publié le dans
Au procès en appel de Lula, les juges condamnent la démocratie

L’ancien président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva a été condamné en appel mercredi dernier par un tribunal de la ville de Porto Alegre. Accusé de corruption passive et de blanchiment d’argent, l’ancien ouvrier métallurgiste avait été condamné en première instance à 9 ans et demi de prison, une peine alourdie à 12 ans et trois mois en appel.

Ce procès s’inscrit dans l’immense affaire du Lava Jato (lavage à haute pression), gigantesque affaire de corruption menée par le juge de droite Sérgio Moro et largement instrumentalisée afin de nuire à la gauche, à travers ses principaux dirigeants. De fait, si le problème de la corruption est bien réel au Brésil, les motivations politiques sont évidentes dans le cas du procès contre Lula.

Un procès politique dépourvu de garanties légales

L’ancien dirigeant syndical est accusé d’avoir reçu de la part d’OAS, une entreprise du bâtiment, un triplex avec vue sur la mer, en échange de l’obtention de contrats de la part de compagnies publiques. Néanmoins, malgré la lourdeur de la condamnation, Mark Weisbrot,  président de l’organisation états-unienne Just Foreign Policy, souligne que :

« il n’y a aucune preuve documentaire que M. da Silva ou sa femme aient jamais reçu un titre de propriété, loué ou même dormi dans l’appartement, ni qu’ils aient essayé d’accepter ce cadeau »

Comme souvent dans les affaires de Lava Jato, les « preuves » reposent presque entièrement sur les « dénonciations récompensées », qui assurent des réductions de peine aux personnes impliquées dans des affaires judiciaires, en échange de leur coopération. C’est ici le cas de José Aldemário Pinheiro Filho, ancien dirigeant d’OAS, qui a bénéficié des largesses de la justice en échange de sa mise en cause de Lula. Une possibilité qui lui avait niée dans un premier temps : il est vrai qu’à l’époque sa version des faits était la même que celle de Lula.

C’est qu’il est clair que pour les magistrats en charge du procès, l’objectif n’était pas d’établir la véracité des faits, mais de répondre à une stratégie politique de revanche de classe, en condamnant le principal leader de la gauche brésilienne. Comme l’écrit le juriste italien Luigi Ferrajoli,

« l’impression que provoque ce procès […] est celle d’une absence impressionnante d’impartialité de la part des juges et des procureurs l’ayant promu »

citant notamment

« la campagne médiatique orchestrée depuis le début […] contre la figure de Lula et alimentée par un inacceptable rôle des juges ».

Pour Ferrajoli la conclusion est sans équivoque : cette absence d’impartialité ne peut se comprendre qu’en prenant en compte :

«  la finalité politique de mettre fin au processus de réformes réalisées au Brésil au cours des années des gouvernements de Lula et Dilma Rousseff, qui ont tiré de la pauvreté 40 millions de Brésiliens »

Poursuivre le coup d’État

S’exprimant peu après la sentence, Lula ne dit pas autre chose :

« Je n’ai jamais eu d’illusions sur la décision du tribunal. Je n’ai jamais eu aucune illusion quant au comportement des juges dans la question du Lava Jato. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu un pacte entre le secteur judiciaire et la presse, et ceux-ci ont décidé qu’il était temps d’en finir avec le PT et notre gouvernance du pays […] [les élites n’acceptant plus] l’ascension sociale des plus pauvres et des travailleurs. »

En août 2016, la première grande victoire de ce pacte avait été la destitution de la présidente Dilma Rousseff – successeure de Lula et elle aussi membre du Parti des travailleurs (PT) – lors d’un véritable coup d’État parlementaire. Véritable revanche de classe de la bourgeoisie, le coup d’État a ouvert la voie à une offensive brutale contre les travailleurs.

Pour le Parti communiste du Brésil (PCdoB), la sentence du 24 janvier est « une nouvelle phase » d’un coup d’État qui combine de façon indissociables attaques contre les droits sociaux et démocratiques, ne pouvant être mené à terme qu’en « faisant taire le peuple, lui niant le droit au vote, persécutant ses luttes et ses dirigeants ».

En effet, des élections générales doivent se tenir en octobre prochain, lors desquels seront renouvelés le Congrès, un tiers du Sénat, les gouverneurs et assemblées législatives des États, ainsi que le président et le vice-président. Autant dire que l’enjeu est de taille et que des résultats de ces élections dépendra en grande partie l’avenir du pays.

Or, bénéficiant encore aujourd’hui d’une grande popularité, Lula est largement favori pour les élections présidentielles avec au moins 34 % des intentions de vote, loin devant l’ancien militaire et candidat d’extrême-droite Jair Bolsonaro (17%). Dans toutes les configurations de second tour, Lula est donné vainqueur.

En faisant condamner définitivement Lula, les secteurs qui ont fomenté le coup d’État cherchent donc à écarter celui-ci de la course présidentielle, une loi votée en 2010 rendant inéligibles pour une durée de huit ans les personnes condamnées par un organe collégial (de plus d’un juge). Une loi qui pourrait donc s’appliquer à l’ex-président suite à sa condamnation en appel mais qui devrait être – pour l’instant du moins – suspendue, ses avocats ayant déposé des recours devant les juridictions supérieures.

« Tant que ce vieux coeur vivra, les luttes pour les conquêtes du peuple brésilien continueront »

« J’avais déjà abandonné la politique, j’avais déjà été président. Mais aujourd’hui je vois que tout ce qui a été fait l’a été dans le but d’éviter que je sois candidat. Mais cette provocation est d’une telle envergure que ça me démange, et que maintenant je veux être candidat aux présidentielles ».

Ces mots de Lula, s’exprimant devant ses soutiens réunis à São Paulo le soir du 24, témoignent de son refus d’abandonner la lutte face aux machinations des putschistes.

Une attitude qui est également celle du PT. Répondant à la décision du tribunal, il a désigné officiellement jeudi l’ancien président candidat aux élections d’octobre, lors d’un meeting organisé au siège du syndicat CUT. Les orateurs y ont réaffirmé la consigne « Les élections sans Lula sont une fraude » et l’importance des différentes formes de lutte, comme le dirigeant du Mouvement des paysans sans terre João Pedro Stédile pour qui « pour vaincre le coup d’État il faut un affrontement social, il faut une rébellion citoyenne pour que Lula soit candidat ».

Acceptant la proposition, Lula a à son tour réaffirmé le cap :

« Ils veulent condamner une idée, mais une idée ne tient pas dans une cellule, elle ne tient pas dans une fosse, et l’idée que le peuple brésilien sait mieux prendre soin du pays que l’élite a déjà pris corps. Je veux être candidat pour gagner les élections et gouverner ce pays. En aucun cas je ne baisserai la tête. »


Édition hebdomadaire

Mêmes rubriques