Procès des attentats de janvier 2015: une réponse pénale

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Procès des attentats de janvier 2015: une réponse pénale

Le mercredi 2 septembre 2020 s’est ouvert le procès pénal des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015. Cinq ans après, que peut-on attendre de ce procès?

Le journal Charlie Hebdo est aujourd’hui plus qu’une publication hebdomadaire satirique. Il est plusieurs symboles. Le symbole de la violence absurde des attentats terroristes, le symbole de la liberté d’expression et probablement plein d’autres. De journal bête et méchant, à l’audience limitée de quelques milliers de Français, il est devenu un autre chose qu’il est difficile de qualifier. 

Devenu — malgré lui ? — un journal mondial, ses dessins peuvent faire l’objet de manifestation à l’autre bout de la planète. Politiquement plutôt classé à gauche, il trouve aujourd’hui des soutiens dans une extrême droite qu’il n’a jamais manqué de conspuer. Plus qu’un journal satirique, il est un objet politique, un élément du débat public. Pour ou contre Charlie Hebdo ? C’est presque le sens des questions posées dans un sondage réalisé par l’IFOP pour le journal plus de cinq ans après l’attaque terroriste qui l’a frappé. 

Le procès qui s’est ouvert mercredi dernier sur les attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015 promet déjà de dépasser le seul champ du droit pénal. 

Janvier 2015

Le 7 janvier 2015, l’expédition meurtrière contre la rédaction de Charlie Hebdo marque la France et plus largement le monde. Pendant trois jours, la vie est rythmée par la poursuite des assaillants du journal satirique, mais également par les attentats perpétrés par un troisième homme. 

Les parcours meurtriers et suicidaires de ces trois hommes, dont l’enquête révélera leur complicité, seront au cœur du procès qui s’est ouvert mercredi dernier après plusieurs années d’instruction. Le temps de la justice est long.

Au début du mois de janvier 2015, les militaires ne patrouillaient pas dans les rues. François Hollande était alors président de la République. Manuel Valls était Premier ministre. Ce dernier n’avait pas encore exprimé sa théorie des deux gauches irréconciliables. 

Le terrorisme djihadiste était une réalité lointaine. Les attentats — déjà antisémites — commis par Mohammed Merah en 2012 apparaissaient comme une terrible parenthèse désormais refermée. L’État islamique exerçait son règne de massacres et de terreur, mais n’avait pas réussi à exporter en France ses attaques. Pourtant, la France est engagée militairement au Mali depuis 2012 et depuis octobre 2014 fait partie de la coalition internationale qui mène une campagne de bombardement contre le prétendu « état islamique » principalement en Irak. 

Le journal satirique Charlie Hebdo faisait l’objet de menaces depuis plusieurs années pour des caricatures ciblant la figure du prophète de la religion musulmane. Le rédacteur en chef, Charb, était sous protection policière, leurs locaux sécurisés par un code d’accès et des patrouilles de polices faisaient des rondes autour de leurs locaux. Le journal avait déjà été victime d’un incendie criminel quelques années auparavant. 

Les faits

Pendant trois jours, la France vit au rythme des avancés de la traque des deux frères Kouachi, qui ont pris la fuite après le massacre commis contre la rédaction de Charlie Hebdo, mais aussi des fusillades commises par leur complice Amedy Coulibaly. 

Les deux frères y tuent 11 personnes dans l’immeuble qui hébergeait Charlie Hebdo. Le premier est Frédéric Boisseau, agent de maintenance croisé par hasard dans le hall de l’immeuble. Les dessinateurs Cabu, Charb, Tignous, Honoré, Wolinski, l’économiste et chroniqueur Bernard Maris, le correcteur Mustapha Ourrad et la psychanalyste et chroniqueuse Elsa Cayat sont tués l’un après l’autre. Il faut ajouter à cette liste Franck Brinsolaro, policier chargé de la protection de Charb qui avait été menacé de mort plusieurs fois et Michel Renaud invité à la rédaction ce jour-là. Onze autres personnes sont blessées parfois très grièvement. 

Dans leur fuite, les deux terroristes abattent un policier, Ahmed Merabet, à bout portant d’une balle dans la tête alors qu’il est blessé au sol.

Le lendemain matin, une jeune stagiaire de la police municipale de Montrouge, Clarissa Jean-Philippe est abattue par Amedy Coulibaly. Il est possible que ce dernier visait l’école juive à proximité de laquelle se trouvait l’agente. La veille au soir, il avait blessé un joggeur par balles bien qu’il ait été impossible au moment des faits de comprendre l’implication terroriste de la fusillade. 

Le 9 janvier, les frères Kouachi sont retranchés dans une imprimerie et cernés par le GIGN. Peu après, Amedy Coulibaly est pris en chasse à Paris, il parvient à s’enfuir et prend d’assaut un supermarché cacher. Il y tue immédiatement trois personnes, Yohan Cohen, Philippe Braham et François Michel Saada. Il abat par la suite Yoav Attab qui tente de s’emparer d’une de ses armes. Il revendique alors son antisémitisme comme mobile de ses meurtres et se retranche avec 17 otages. Peu après 17 h, la tentative de fuite des frères Kouachi précipite l’assaut des forces de l’ordre contre le supermarché. Les trois terroristes sont tués.

Le choc

Les chaînes d’informations continues avaient déjà montré leur capacité à théâtraliser même le plus horrible en 2012, lors du siège de l’appartement de Mohamed Merah. En 2015, BFM s’est particulièrement surpassé, allant jusqu’à s’entretenir avec les frères Kouachi puis Amédy Coulibaly. La vidéo du meurtre du policier exécuté dans leur fuite par les frères terroristes est diffusée en boucle ad nauseam. 

Le choc généré par l’enchaînement d’attentats en plein Paris est immense. L’attaque contre Charlie Hebdo retient la majorité de l’attention médiatique. Le journal satirique était régulièrement dénoncé et ciblé par les médias des nébuleuses djihadistes à travers toute la planète. La tuerie y est largement célébrée et perçue comme une grande victoire. L’attentat est revendiqué par la branche yéménite d’Al-Quaeda, Al-Quaeda dans la Péninsule Arabique (AQPA) tandis que le massacre antisémite de l’Hypercacher ne sera jamais réellement reconnu par une organisation terroriste malgré la déclaration d’allégeance au soi-disant « état islamique » faite par Coulibaly. 

Des rassemblements d’hommages et de soutiens aux victimes, principalement sous le mot d’ordre « Je suis Charlie » ont lieu partout en France pendant les jours qui suivent la boucherie. Le point culminant sera le dimanche 11 janvier où la manifestation parisienne réunit plus de 2 millions de personnes tandis que près de 4 millions de personnes défilent dans toute la France. La veille déjà, le ministère de l’Intérieur avait recensé 700 000 participants aux différentes initiatives de solidarités aux victimes. Le journal satirique qui cultivait son irrévérence, multipliait les provocations, est alors devenu un symbole qui échappe encore aujourd’hui en partie à sa rédaction. 

Le procès

Le procès s’ouvre en l’absence des meurtriers qui sont tous morts. Pourtant pas moins de 11 prévenus sont sur les bancs des accusés. Ils sont accusés d’avoir participé à la chaîne logistique nécessaire à la perpétration des attentats. Les commanditaires n’ont jamais été formellement identifiés s’ils existent. Il faut toutefois noter que les deux chefs des organisations djihadistes dont se réclamaient les auteurs ont été tués lors d’opérations de l’armée des États-Unis. L’arrestation en 2018 de Peter Cherif, un cadre d’AQPA soupçonné d’avoir recruté les frères Kouachi pourrait fournir d’autres informations. Si le temps de la justice est long, il est aussi contraint et la phase d’instruction était déjà terminée lorsqu’il a été interpellé. Il ne sera pas présent au procès. 

Le procès est historique. Il sera intégralement filmé pour être archivé. Quarante-neuf journées d’audience sont prévues. C’est le premier procès de la « vague » d’attentats terroristes connue par la France depuis janvier 2015. C’est donc la première occasion d’envisager une réponse pénale à une violence qui a jusqu’à présent surtout fait l’objet de réponses militaires, sécuritaires et législatives. 

Cependant, il paraît peu probable que le procès de ces attentats gagne le poids symbolique suffisant pour constituer aux yeux de l’opinion une réponse satisfaisante. Le journal Le Monde note ainsi :

« Parmi les onze présents, un seul, Ali Riza Polat, 33 ans, encourt la réclusion criminelle à perpétuité. »

Inversement pour François Boucq qui couvre le procès pour Charlie Hebdo, les charges retenues par l’accusation « [fissurent] le scénario médiatique des soi-disant “seconds couteaux” ».

L’enjeu principal de ce procès sera probablement celui-ci. Les accusés ont-ils eu assez d’importance dans la préparation des tueries pour que ce procès soit réellement celui des attentats ? 

Le procès pénal peut parfois être l’outil nécessaire à une société pour dépasser certaines de ses contradictions. Seul le temps dira si ce procès peut être l’occasion d’un retour à une certaine « normalité », un retour à une réponse pénale au crime après plusieurs années de réponses militaires et sécuritaires qui n’ont pas permis de créer un sentiment de justice. 


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