Que se passe-t-il dans le réseau de transport francilien ?

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Que se passe-t-il dans le réseau de transport francilien ?

Incapacité à recruter, matériel ancien, enlisement du projet du Grand Paris, rien ne va plus pour le très dense réseau de transport francilien où s’accumulent les retards et les suppressions. 

Pour les Franciliens, la galère est quotidienne et avec elle s’installe une juste colère à l’égard des responsables que l’on peine à identifier, alors que Valérie Pécresse et l’État se renvoient la balle. Assez technique, la question du transport est difficilement lisible tant il y a d’acteurs impliqués dans le plus important réseau de transports en commun du pays.

La RATP se saborde

Avec la crise du Covid-19 en 2020, l’offre de transport a baissé sur 165 lignes de bus et la quasi-totalité des lignes de métro. 

Toutefois, la crise du Covid n’a fait qu’aggraver un problème structurel plus profond : la dégradation des conditions de travail à la RATP qui engendre son incapacité à recruter, notamment des conducteurs de bus, de tramway et de métro. 

La RATP est marquée par une vague de démissions, d’abandons de poste et d’arrêts maladie. Ni la prime de présence de 450 €, largement dénoncée par les syndicats, ni le récent accord signé par FO et l’Unsa troquant un allongement du temps de travail de 120 h par an contre 372 € brut par mois ne semble mettre à mal ce constat : il ne fait pas bon de travailler à la RATP en 2023. 

À force de vouloir faire des économies sur le dos de ceux qui font la RATP au quotidien, l’établissement public s’est sabordé.

Ainsi, alors que les commandes d’offre de transports passées à la RATP sont proches de leur niveau de 2019, la performance de la RATP, c’est-à-dire le pourcentage de l’offre de transports réellement assurée par rapport à ce qui a été commandé, est au mieux insuffisant, au pire alarmant.

Le donneur d’ordre est IDFM

Pourtant, il serait mal avisé de mettre tout le poids de la crise sur les épaules de la RATP sans interroger d’abord l’autorité à laquelle elle est soumise.

Toute société de transports publics francilienne, qu’elle soit privée ou publique, est organisée et subventionnée par un établissement public local : Île-de-France Mobilités (IDFM). Autrefois tenu par l’État, cet établissement est désormais dirigé par un conseil d’administration composé pour près de la moitié d’élus à la région et pour le reste d’élus au Conseil de Paris et d’un conseiller départemental par département. Ce conseil d’administration de trente membres, dont trois communistes, est présidé par la présidente de région : en l’occurrence Valérie Pécresse.

Le rôle principal d’IDFM est de commander une offre à ses prestataires et de financer sa mise en œuvre. Sur un budget 2022 de 10,5 milliards d’euros, près de 8 ont servi au seul financement de la SNCF et de la RATP, tandis qu’un milliard était affecté aux entreprises privées d’autobus inscrites au plan de transport (l’Optile).

IDFM est donc un établissement doté d’immenses moyens, dont les trois principales sources sont les contributions des collectivités membres (Paris, départements, région) à hauteur de 13 %, les recettes de la vente de titres de transport pour 32 % et le très sensible Versement mobilité (VM) pour 42 %.

La question du versement mobilité des entreprises

C’est ce VM qui permet à l’État et à la région de se renvoyer la balle depuis maintenant plusieurs années. 

Dû à IDFM par toutes les entreprises franciliennes de plus de onze salariés, le VM est central dans le financement des transports en commun. Or, le taux du VM est fixé par l’État. De 2,85 % à Paris et dans les Hauts-de-Seine à 1,50 % dans la plupart des autres communes, la hausse ou le maintien du VM est un débat crucial pour comprendre la crise d’IDFM.

Les finances d’IDFM sont également plombées par une dépense que l’on ne saurait imputer à Pécresse : la préexploitation du Grand Paris Express, dont les nouvelles lignes sont très attendues par la population. 

Cet important poste de dépenses est un investissement d’ampleur nationale qui n’a pas à être financé par les usagers. La Société du Grand Paris (SGP) se finance majoritairement par l’endettement et via les marchés financiers, mais aussi par une taxe sur les bureaux (TSBS) dans l’Ouest parisien et à La Défense, et une taxe spéciale d’équipement (TSE) qui permet de taxer la propriété foncière sur le territoire régional. Une augmentation par l’État de ces deux taxes permettrait de mettre davantage à contribution les entreprises. Par exemple en taxant les parkings des grands centres commerciaux avec la TSE. Cela permettrait ainsi de libérer la région d’un poste de dépense, au profit par exemple d’une amélioration des conditions de travail à la RATP et des conditions de transport sur le réseau.

Pécresse blâme ainsi l’État et le Sénat qui refuseraient d’augmenter le VM et se cache derrière un bras de fer qu’elle revendique et qui aurait débouché sur une subvention exceptionnelle de 200 millions d’euros pour éponger une part de la dette d’IDFM.

Des choix politiques

Tandis que le budget sécurité de la région est multiplié par cinq depuis 2017, alors même que la sécurité ne relève pas de la région, la volonté de Pécresse de contenir la hausse du prix du passe Navigo a de quoi faire douter. 

La région aurait pu, comme le proposent depuis longtemps les élus communistes à la région, financer temporairement sur denier régional les carences dans le financement d’IDFM, afin de ne pas pénaliser les usagers. 

Au lieu de cela, Pécresse propose la coûteuse et inefficace privatisation. Le réseau francilien sera découpé en îlots, donnés au plus offrant. La RATP devra se scinder en autant d’entités que d’îlots pour espérer en récupérer une fraction. En réponse à l’incompétence de la présidente de région, les élus communistes ont lancé la pétition Stop Galère qui a d’ores et déjà récolté 50 000 signatures.

L’État porte aussi la responsabilité de la privatisation du réseau qu’il a programmée, ainsi que celle d’avoir refusé la hausse nécessaire du VM en Île-de-France et de ne pas avoir pris à sa charge la préexploitation des nouvelles lignes du Grand Paris, contrairement à ses engagements, laissant tout à la charge d’IDFM.

Derrière cette partie de ping-pong entre deux responsables d’une situation de plus en plus intenable, ce sont près de 10 millions de déplacements par jour qui se font dans des conditions dégradées, et ce à un prix pourtant plus élevé.


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