« Tout ce qui bouge est rouge », sauf les agriculteurs ?

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« Tout ce qui bouge est rouge », sauf les agriculteurs ?

Certains dénoncent un « deux poids deux mesures » en faveur des agriculteurs plutôt que d’écouter sérieusement leur détresse et leur colère.

Alors que 89% des Français interrogés soutiennent le mouvement actuel des agriculteurs, selon un sondage Odoxa pour Le Figaro, une toute petite partie de l’opinion semble excessivement méfiante à l’égard de la profession.

En effet quelques militants pointent du doigt la « violence » des moyens d’action des agriculteurs et semblent dénoncer un déficit de répression de ce mouvement en comparaison à d’autres luttes.

C’est le cas de la militante écologiste Camille Etienne qui défend sur BFMTV : « Quand on fait des actions bien moins violentes, on est traité d’écoterroristes (…), là le premier ministre rencontre les auteurs [de l’explosion d’un bâtiment public] ».

De même, la députée Sandrine Rousseau s’étonne de cette actualité en écrivant « Et ? Rien ? », sur X, regrettant sûrement une absence de répression. Dans un tweet, supprimé depuis, elle interpellait : « Ce que font les agriculteurs depuis deux jours : explosion dans un bâtiment, une personne tuée (sic !), rails dégradés, est inadmissible. »

On le sait, le mouvement agricole n’a tué personne, mais au contraire une agricultrice de l’Ariège et sa fille ont trouvé la mort mardi sur un barrage, violemment heurtées par une voiture.

À la suite de dégradations sur la préfecture d’Agen, un internaute s’énerve : « Les deux poids de mesure : pour les jeunes de quartier, c’est des émeutes et pour eux ils sont invités pour s’expliquer dans un fauteuil confortable ». Un autre, devant les images d’une action d’interception de produits agricoles importés, dénonce : « Ça s’appelle du pillage. On a vu la même chose pendant les émeutes mais pourtant ici, bizarrement il n’y aura aucune réaction. »

Sur les réseaux sociaux, ce type de réactions se multiplient, faisant la comparaison entre les émeutes de juin et les actions contestataires des travailleurs de la terre, pour dénigrer les seconds.

Cette comparaison est d’autant plus curieuse que les mêmes milieux militants ont soutenu les modes d’action des émeutes de juin, les interprétant comme une lutte politique potentiellement révolutionnaire.

Pourquoi, quand il s’agit des agriculteurs, il ne s’agirait pas d’un mouvement social légitime ?

Pourtant, ces travailleurs, qui rendent un service essentiel au pays et ont une très bonne image de la population, ont participé à de nombreuses luttes dans l’histoire sociale de la France.

Pourtant, ces travailleurs vivent très mal de leur travail. Un quart des exploitants agricoles vivent sous le seuil de pauvreté, selon l’Insee. En moyenne, dans le secteur agricole, les éleveurs d’ovins, caprins et équidés gagnent 680 euros par mois, les éleveurs de bovins moins de 1480 euros par mois. On ne parle même pas du « reste à vivre » après les charges. Un exploitant agricole sur sept touche des revenus nuls ou déficitaires.

Certes, il y a des disparités entre régions et type d’exploitants, mais même les céréaliers se font en moyenne autour de 2300 euros par mois. On est loin des magnats de la finance.

Ce mouvement est clairement un mouvement social revendicatif. Quand un agriculteur parle de la hausse du prix du carburant pour son tracteur, il parle de ses conditions de travail. Quand il parle de la concurrence déloyale de produits importés, moins chers parce qu’ils ne respectent pas les normes que lui-même doit suivre, il parle de dumping social. Quand il parle des marges de la grande distribution ou quand il parle des aides publiques, il parle de sa rémunération.

Pourquoi ces travailleurs qui se mobilisent seraient-ils immédiatement suspectés d’être anti-écologistes voire réactionnaires ?

Personne ne travaille que pour la beauté du geste, il faut bien pouvoir vivre un minimum de son travail. Si l’agriculture biologique ne trouve pas suffisamment d’acheteurs, si elle n’est pas assez rémunératrice pour les agriculteurs, ça ne veut pas dire qu’il faut arrêter de les encourager à aller vers le bio, mais ça veut peut-être dire qu’il faut les aider davantage.

Si les agriculteurs sont écoutés quand ils se mobilisent, tant mieux ! C’est une bonne chose pour tous les travailleurs. S’ils ne sont pas immédiatement et brutalement réprimés, c’est la moindre des choses. Pourquoi s’en plaindrait-on ? Ce n’est pas par magie d’ailleurs : ils ont simplement un peu de rapport de force, ils sont bien organisés, dans des syndicats, ils ont des revendications claires, ils mobilisent massivement leur profession. Voilà pourquoi le gouvernement reste prudent !

Seule l’unité de tous les travailleurs, les salariés au côté du monde paysan, permettra de vraiment remettre les besoins sociaux au centre de l’économie, au lieu de la rentabilité du capital.

Alors, c’est véritablement très curieux que les partisans du « mouvementisme » qui, d’habitude, voient dans chaque contestation une occasion révolutionnaire, restent autant de marbre devant un mouvement qui ne fait que commencer où des travailleurs revendiquent de vivre dignement de leur travail.

On ne sait pas comment aboutira cette mobilisation des agriculteurs. Est-ce que les éleveurs se feront entendre ? Est-ce que le capital sera mis à contribution ? Est-ce que l’Etat accompagnera les petits exploitants ? Est-ce qu’au contraire ça ne se traduira que par des allégements fiscaux au profit des gros exploitants ?

En tout cas, le meilleur moyen pour que ça n’aille pas très loin dans le sens de la transformation sociale, c’est de ne rien proposer, de ne pas s’adresser aux agriculteurs et se méfier d’eux, au lieu de les soutenir.


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