Violences sexuelles dans l’enseignement supérieur : “ce plan est une campagne de communication hypocrite et sans moyens”

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Violences sexuelles dans l’enseignement supérieur : “ce plan est une campagne de communication hypocrite et sans moyens”

Le plan sur les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur est un plan de communication très loin des besoins réels. Nous avons échangé avec Anouchka Comushian, adjointe à la jeunesse et à la vie étudiante de la mairie du 12ème arrondissement de Paris. 

Après de nombreux autres secteurs de l’enseignement supérieur, la prise de conscience du caractère structurel des violences sexistes et sexuelles frappe les écoles d’ingénieurs. Une enquête interne à l’école CentraleSupélec a ainsi amené la direction à saisir la justice pour une centaine de cas de viols, d’agressions sexuelles et de harcèlement. 

Dans ce contexte, le gouvernement a annoncé par la voix de Frédérique Vidal un plan national de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur issu de réflexions entamées au printemps 2021. 

Quelles sont les responsabilités des établissements en matière de violences sexistes et sexuelles (VSS) ? 

Anouchka Comushian : Les établissements sont soumis à de nombreuses responsabilités. Celles-ci concernent à la fois la prévention des violences et la réaction lorsqu’elles sont commises. Deux circulaires, en 2012 et en 2015, ont détaillé ces responsabilités. Tout établissement, qu’il soit public ou privé, est ainsi obligé de mettre en place une cellule de veille dédiée au recueil des plaintes et des alertes concernant les VSS. 

En cas de plainte, l’établissement doit veiller à la protection des victimes et peut prendre immédiatement des mesures conservatoires, notamment l’éloignement du suspect, sous la forme d’un enseignement à distance par exemple. Les circulaires recommandent l’ouverture d’une enquête interne même sans plainte et même si la plaignante se rétracte. Au delà des mesures administratives, l’article 40 du Code pénal oblige les établissements publics à alerter le procureur de la République en cas de suspicion de viol. 

Ces exigences sont renforcées pour les établissements publics avec un décret de 2020 qui oblige toute administration publique à définir et adopter une procédure de signalement et de recueil des plaintes des agents, victimes comme témoins. La réflexion avance sur le sujet, localement, j’observe que la Sorbonne Nouvelle est en train de mettre en place un groupe de travail, une plateforme en ligne, des formations et construit un livret d’information dont la diffusion est prévue en 2022. 

Enfin, beaucoup de VSS ont lieu à l’extérieur de l’université, dans des soirées, majoritairement entre étudiants. C’est peu connu, mais beaucoup d’événements hors les murs engagent la responsabilité de l’établissement. Les soirées organisées par l’Université ou des associations reconnues par elle, ou simplement relayées par celle-ci engagent la responsabilité de l’établissement. Cette responsabilité peut même s’étendre à des soirées privées, des groupes de discussion.  

Suite aux révélations de l’enquête interne, le directeur de l’école Centrale a notamment déclaré : “Les résultats de cette enquête nous ont sidérés (…) Si nous sommes engagés de longue date dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, nous étions loin d’en prendre l’exacte mesure”. L’engagement contre les VSS dans l’ESR a-t-il globalement négligé l’ampleur structurelle du problème ? 

Dans toutes les révélations depuis janvier, les établissements disent que les cellules de veille n’ont pas été saisies, il y a donc des problèmes de communication et de mise en place de ce dispositif. D’après l’UNEF, 42 % des universités n’affichent pas l’existence de cellules de veille. L’importance de cette cellule de veille n’a pas été saisie. 

Beaucoup de directions n’ont pas voulu voir que les universités sont traversées par le patriarcat comme le reste de la société et que les VSS ne sont pas de simples problèmes relationnels entre étudiant.es. 

La culture du viol n’est pas un mythe, certaines ambiances favorisent les violences. Les associations féministes relatent des propos effrayants tenus dans les commissions de discipline, qui culpabilisent la victime. Dans les Universités, les VSS restent en effet traitées par des commissions de discipline généralistes dont les membres n’ont pas tous, loin s’en faut, reçu une formation adéquate. 

Le traitement des VSS requiert des connaissances et des compétences spécifiques, il faut débloquer des moyens pour la formation et l’accompagnement des cellules de veille et des commissions de discipline. Il faut également être ferme sur les responsabilités des établissements car trop souvent ceux-ci essaient de s’en dégager, notamment concernant les événements hors les murs. 

Il reste dans l’ESR des universitaires et mêmes des collectifs qui s’organisent pour nier le caractère systémique des violences et parler de « dictature des mœurs ». L’Observatoire du décolonialisme, un collectif d’universitaires réactionnaire, se donne ainsi pour objectifs conjoints de discréditer les études de genre, les études décoloniales et le marxisme ? Un membre de ce collectif enseignant à Paris 3 a mené bataille contre la direction et la CGT pour empêcher la formation sur les VSS que ces dernières voulaient organiser.

Que penser de la composition du groupe de travail à l’origine du projet ? 

Le groupe constitué par le ministère de l’ESR était composé exclusivement de représentants des directions des Universités et de grandes écoles. 

Ce groupe a certes mené des auditions de syndicats et d’associations, mais cela ne suffit pas. Un collège plus diversifié, intégrant des représentant.es des étudiant.es et des associations féministes de lutte contre les VSS aurait certainement permis de proposer plus de pistes d’action. 

La main a été laissée à des directions qui ont négligé l’ampleur des VSS dans leurs établissements. 

Le gouvernement annonce une mobilisation nationale, à travers ce plan de lutte contre les VSS, mais se donne-t-il des moyens à la hauteur des enjeux ?

Ce plan national d’action est doté d’un budget minuscule de seulement 7 millions d’euros sur 5 ans. Sur le papier, le gouvernement annonce 4 axes et 21 mesures et insiste sur la création de lieux de recueil de paroles, la mise en place de formations, l’accompagnement juridique des établissements et un plan de communication sur les dispositifs et sur le consentement. 

En réalité, il s’agit d’une grande campagne de communication de fin de mandat qui combine beaucoup d’hypocrisie et peu de moyens financiers. Il n’y a pas de volonté politique. Ce plan annonce des dispositifs qui existent déjà et esquive les questions fondamentales des moyens et du contrôle de leur mise en place. 

Par exemple, aucune sanction pénale n’est prévue si les établissements ne respectent pas les circulaires de 2012 et 2015. Or, aujourd’hui tous les établissements ne sont pas dotés de cellules de veille. Celles-ci sont recensées sur un site officiel, il est donc facile de savoir quel établissement n’en a pas, que faisons-nous de ces directions qui refusent de mettre en place le dispositif ou de le faire connaître et fonctionner ? 

La ministre elle-même ne porte pas dans ses propos une conception efficace de lutte contre les VSS dans les établissements. Lors de l’annonce du plan, Frédérique Vidal parle de respecter la présomption d’innocence. C’est un propos aberrant qui déforme la réalité et déresponsabilise l’établissement. Les procédures disciplinaire et judiciaire sont distinctes, la présomption d’innocence est un principe pénal. Il faut au contraire rappeler que l’établissement a obligation d’agir même sans plainte pour protéger la victime. 

Le projet du gouvernement s’appuie notamment sur le travail des associations, constates-tu localement un soutien suffisant pour que les associations assument ce rôle ? 

L’État a tout intérêt à faire appel aux associations, qui travaillent depuis longtemps sur ces sujets et ont développé des savoirs spécifiques et de très nombreux outils. De nombreuses collectivités et établissements de l’ESR subventionnent et commandent des actions à ces associations pour des formations ou de l’accompagnement des dispositifs par exemple. 

Malgré ce rôle fondamental, les associations sont aujourd’hui en grand danger. Le récent système de rémunération des associations repose de plus en plus sur les appels à projets et délivre de moins en moins de subventions de fonctionnement. Le numéro d’écoute 3919 nous a donné cette année un exemple des risques induits par ce mode de financement. 

La Fédération Nationale Solidarité Femme (FNSF) avait demandé l’extension 24/24 des horaires de permanence téléphonique. Le gouvernement a alors lancé un appel d’offre, avec des critères quantitatifs au détriment de la qualité d’écoute. Trop souvent, le marché public conduit à sélectionner le moins disant et ouvre la porte à des organismes privés qui n’ont pas les mêmes engagements que les associations de lutte. 

Heureusement, la FNSF a gagné, grâce à la mobilisation des féministes et des élues féministes, mais il y a un décalage incontestable entre le discours et les actes du gouvernement. 

La communication gouvernementale ne mentionne pas les collectivités territoriales comme actrices de cette lutte contre les VSS dans l’ESR, est-ce à dire que ce n’est pas votre sujet ? 

Bien sûr que si. A Paris, deux adjointes s’en occupent : Hélène Bidard et Marie-Christine Lemardeley. Elles prouvent que les collectivités peuvent mener un vrai travail de lutte contre les VSS dans l’ESR. 

Cette année, elles ont conduits des réunions entre référent.es des universités et des écoles parisiennes. Ces réunions permettent des échanges sur le fonctionnement des dispositifs, concourt à leur promotion et permettent un appui efficace de la ville. La Ville contribue à la sensibilisation des responsables, finance la Maison des initiatives étudiantes (MIE) qui organise un cycle de conférences sur les VSS dans l’ESR qui a commencé en octobre. 

Plus largement, la Ville de Paris réfléchit à l’évolution du financement des associations parisiennes. 

Par exemple, les bénévoles et salarié.es de toutes les associations et clubs financés par la Ville au-delà de 5000€ devront mettre en place un plan de formation à la lutte contre les VSS, des formations de ce type seront également proposées aux agents municipaux. 

Localement, dans le 12ème arrondissement, nous nous sommes mobilisé.es pour obtenir la présence d’un.e psychologue et d’un.e assistant.e sociale au commissariat et pour la constitution d’une équipe spécialisée dans l’accueil des victimes de VSS aux urgences de l’hôpital Saint-Antoine. 

L’égalité femme-homme devait être la grande cause du quinquennat, la volonté politique était-elle portée au niveau national? 

Il manque clairement de moyens humains, matériels et financiers. Par exemple, seuls 379 bracelets anti-rapprochement ont été déployés alors que la France compte 220 000 femmes victimes de violences par an. 

Les communistes exigent un milliard d’euros de budget pour créer des hébergements dédiés, des unités spécialisées dans l’accueil des femmes victimes de violences dans chaque département, la création d’équipes pluridisciplinaires entre la police, la justice et les services sociaux, la création de nouvelles unités médico-judiciaires, une meilleure prise en charge des psycho-trauma. 

Aujourd’hui, le véritable budget du gouvernement pour l’égalité femmes-hommes est de 79 millions d’euros, bien loin du milliard promis par Marlène Schiappa même si elle tente de faire croire qu’il y a plus de moyens en additionnant différents budgets d’autres ministères. 

Il est plus que temps pour le gouvernement d’écouter les associations réellement investies contre les VSS dans tous les domaines, l’ESR mais aussi l’espace public, les transports, les lieux médicaux, les violences intra-familiales, etc. 

La question de la police et de la justice est particulièrement urgente. Il faut mettre en œuvre des formations massives dans la police et réformer en profondeur la justice. Le système est bien trop lent, il a été totalement sabré,et la justice a toujours moins de moyens pour faire face à plus de besoins. 

Cela conduit à une impunité totale des agresseurs. Seules 1 % des plaintes pour VSS aboutissent à une condamnation. La négation de ces réalités reste beaucoup trop répandue dans la police et dans la justice. Il faut une fermeté implacable à l’égard des agents de l’État qui ne respectent pas les principes de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. 

Enfin, loin des seules déclarations de principe, la volonté politique doit permettre de régler la question fondamentale de l’application des lois. Comme le rappelle le bilan des sept lois pour l’égalité salariale, la France reste championne du contournement des lois. 


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