Cinéma français, premier semestre 2021 : des promesses et des espérances

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Cinéma français, premier semestre 2021 : des promesses et des espérances

Gagarine, OSS 117, Kaamelott Volet 1, Le Dernier Voyage, Titane… ce premier semestre 2021 nous offre une programmation inhabituellement variée et originale, tant sur la question des genres de films proposés que sur celle des thèmes et visions artistiques et politiques abordées. 

Une surprise, pourrait-on dire, après une année 2020 catastrophique pour le cinéma pour des raisons évidentes, mais surtout après une décennie – voire plusieurs – où le lien entre le peuple français et son cinéma a été tumultueux et affaibli, notamment en ce qui concerne la jeunesse. 

Alors, est-ce une année exceptionnelle, dans ses offres et ses circonstances, qui ne sera en revanche qu’une parenthèse entre avant un futur “retour à la normale” ou une annonce de quelque chose de plus approfondi ? Retour sur ces six premiers mois de 2021, remplis de films étranges, à mi-chemin entre le classicisme et l’expérimental.

Avec Kaamelott et le Dernier Voyage, de la fantasy et de la science-fiction maladroite, mais forte

Nous le savons, le cinéma coûte cher, et le cinéma de genre encore plus. Pour cela en France, difficile de produire ce qui sort des sentiers battus. Cela vient, entre autres, d’une difficulté de financement, en plus de la peur que le public ne suive pas. Pourtant, l’année 2021 est remplie de films de genres.

Celui qui a fait le plus de bruit dernièrement, notamment parmi les fans de longue date est Kaamelott : Premier Volet

Un projet de longue date porté par Alexandre Astier, qui mit une décennie à lancer le film, à la suite de la fin de la série entre-temps devenue culte. Un film particulier, qui est à la fois un retour à des “valeurs sûres” d’une série à succès, le public de la série étant très attaché à la figure d’Alexandre Astier et à son écriture, mais également un pari risqué. 

Le fait de proposer une œuvre à mi-chemin entre l’héroïc fantasy épique et la comédie, nécessitant donc un gros budget pour qu’un public si possible plus large que celui de la série, est un défi. De plus, pas facile de passer d’une série télévisée, dont les premières saisons étaient extrêmement minimalistes et simples au niveau de la mise en scène, à un véritable film de 120 minutes, avec batailles et mouvements de caméra travaillés. 

Un pari qui semble avoir fonctionné : records de places vendues en avant-première, records de prévente, un excellent démarrage en premier jour avec plus de 400 000 entrées. Sans doute un rappel que l’idée de base de la série originale était déjà un pari. Qui aurait cru qu’une série comique de sketchs centré autour du Roi Arthur et de sa cour fonctionnerait ? Le film est donc une véritable proposition au public français qui bénéficie alors d’une fraîcheur réelle autant que d’une expérience artistique enthousiasmante.

Mais Kaamelott partait avec l’avantage d’être déjà une licence connue. D’autres projets, partant au final de beaucoup moins, durent être portés à bout de bras par leurs réalisateurs et artistes, et qui sont relativement passés sous les radars du public pris en plus en pleine pandémie et à cause d’une campagne médiatique et publicitaire insuffisante. 

L’un d’entre eux, Le Dernier Voyage, a réussi à bénéficier de résultats dépassant ses attentes. Un film qui se situe lui aussi à mi-chemin entre quelque chose de connu et de nouvelles tentatives. Ce quelque chose de connu, premièrement, c’est la présence de Jean Reno au casting, mais également l’univers : un monde post-apocalyptique, exploitant les ressources d’une planète rouge ayant fait irruption dans le système solaire voilà des décennies, dans lequel se promène notre héros, Paul W.R. Un héros qui, somme toute, est assez classique du monde de la science-fiction, en tant qu’astronaute ayant une mission à accomplir, mais en proie au doute, et qui fera un voyage initiatique dans le désert pour avoir une réponse à ses questions. 

La direction artistique, le design global du film sont, quant à lui, largement inspirés des Blade Runner et autres Mad Max, une œuvre immense de la science-fiction pour le premier et un titan du road trip post-apocalyptique dans le désert pour le second. Ce qu’il y a de propre à ce film, en revanche, est l’aspect onirique, parsemé ici et là notamment via des flash-back et via le “message”, pour le dire grossièrement. L’onirisme qui s’exprime par la relation étrange et profonde qu’entretient le héros avec cette planète rouge qui semble l’appeler depuis longtemps, surtout après la perte de sa mère. Le montage, la musique, l’esthétisme visuel -notamment au niveau de la palette de couleur choisies et des cadrages romantiques- viendront servir cette idée lorsqu’elle entre en scène. Le message, quant à lui, reste plus vague et plus simple, une sorte de promesse écologique quant à la symbiose entre l’homme et la nature, par rapport aux ressources exploitées ici. 

Mais qu’en est-il du résultat, est-ce que cela fonctionne ? Pas réellement, tout cela reste malgré tout assez brouillon. L’apathie du héros, son mutisme, le fait que les explications arrivent assez tard et que, si le film a ses moments de bravoure, le rythme reste assez indigeste, cela fait que le spectateur n’est que peu émotionnellement touché par le film, même par sa fin se voulant pleine d’émotions. Les raisons à cela sont en réalité assez simple, car il manque une chose principale à ce film : l’expérience. C’est un premier film, celui de Romain Quirot, qui doit encore se roder comme tout réalisateur après ses premiers projets. Malgré tout, Le Dernier Voyage est allé au-delà de ses attentes en termes de ventes de billets, et a été accueilli par un public enthousiaste, compréhensif au niveau de ses lacunes car charmé par son ambition.

OSS 117 et d’autres, des anciennes formules traitant du présent

Enfin, d’autres projets plus classiques sont venus malgré tout soutenir le cinéma français : malgré cette tendance vers la stylisation et la fantaisie, la France garde ses racines naturalistes, comme le prouve l’excellent Bonne Mère, de Hafzia Herzi. Les comédies françaises demeurent, comme le prouvent Le Discours ou l’étrange cas de Président(s), d’Anne Fontaine, où Nicolas Sarkozy et François Hollande se mettent en tête de s’unir pour sauver la France du péril fasciste. Un film à la morale bien bourgeoise, mais qui ne nous privera pas du plaisir de voir Jean Dujardin imiter bien grassement les mimiques de notre ancien président va-t-en guerre en Libye.

Et à propos de Jean Dujardin, est-ce seulement possible de parler du cinéma français de 2021 sans évoquer le grand retour d’OSS 117, dont les répliques et les citations font désormais partie de la culture populaire. Et bien, en réalité oui, car beaucoup d’encre coulera pour parler de ce film, où le réalisateur des deux premiers volets Michel Hazanavicius laisse la place à Nicolas Bedos, un personnage et cinéaste controversé. Le scénariste reste cependant le même, assurant une continuité au niveau de l’écriture, toute aussi pleine de finesse que foncièrement débile et amusante. La différence est que, là où les deux premiers OSS 117 pastichaient – c’est à dire, reprendre le style – des premiers James Bond avec Sean Connery, avec une mise en scène old school, ici le décalage temporel fait que c’est bien plus le James Bond de Pierce Brosnan, avec ses mouvements de caméras plus modernes et ses missions décomplexées contre les communistes sur fond de guerre froide qui est parodiée. 

Le film sautant à pied joints dans les questions de racisme et de sexisme, il est assez “ponctuel” que cet OSS 117, traversé par ces questions sociales tout autant que son personnage principal en est ignare, arrive dans les salles de cinéma après une certaines période – loin d’être par ailleurs conclue – où la société a été interrogée sur la façon de faire rire, sur ce que le rire signifie, sur ce que l’humour peut véhiculer ou pas. Hubert Bonisseur de la Bath est après tout toujours aussi réactionnaire, misogyne et raciste, même s’il commence peut-être par se faire rattraper par la réalité. 

Titane, l’étrange forme du traumatisme et de la catharsis

Du point de vue international, le film qui est sans doute le porte-étendard du cinéma français est Titane, de Julia Ducournau. 

Un film qui choqua véritablement le public du Festival de Cannes,  ce qui n’empêcha pas son jury, présidé par le grand Spike Lee de lui remettre la Palme d’Or. En réalité, le film n’est véritablement gore que dans les vingt premières minutes, où effectivement les séquences d’assassinat s’enchaînent, bien que la violence ne dépasse jamais vraiment celle d’un Tarantino. En revanche, la violence psychologique du film, son aspect oppressant, asphyxiant même, son atmosphère lourde et pleine de mal-être a de quoi impacter le spectateur. 

Le film, sans surprise, traite des traumas, de la manière dont leur impact et leur poids s’immiscent dans notre sexualité – en cela, la relation érotique qu’entretient l’héroïne Alexia, interprétée par Agathe Rousselle, avec les voitures a de quoi surprendre au premier abord, mais se révèle en réalité un acte fort et assumé de la réalisatrice d’aller au bout de sa démarche psychologique et politique. 

Mais Titane parle aussi du deuil, de l’absence qu’il laisse, du trauma de la mort soudaine, par l’intermédiaire de Vincent Lindon, qui joue un personnage portant son même prénom, dans un rôle très différent de ceux qu’il porte habituellement, celui d’un pompier body-buildé à la psyché travaillée. Enfin, la question du genre n’est pas non plus étrangère au film, notamment par l’intermédiaire d’Alexia, de sa métamorphose physique, de sa relation aux hommes… et aux femmes. 

Au final, l’étrange forme de cette œuvre, ce côté alien, étranger, n’est que parfaitement adapté aux sentiments complexes, pleins de contradictions mais réels et sincères, de sa réalisatrice, qui dans un final difficile mais grandiose mélange bonheur, mort et catharsis.

Gagarine, le rappel révolutionnaire que les grands projets humains sont liés au quotidien

Il semblerait alors que nous ayons fait, à peu près, le tour du cinéma français de ce début 2021, mais ce serait ignorer la présence d’un projet surprenant, novateur, expérimental en même temps qu’il reprend les plus grands récits classiques de l’aventure humaine, aussi ancré dans le réel qu’il est onirique, rêveur, et puissant. 

Ce film, c’est Gagarine, qui retrace les derniers mois d’existence de la cité Gagarine d’Ivry, dans la banlieue de Paris, à travers le regard et le récit de fiction de Youri, un jeune lycéen rêvant de devenir cosmonaute. Ce jeune Youri, bien sûr, se réfère à Youri Gagarine, à ce qu’il représentait, au souvenir qu’il entretient d’un temps où c’était des fils et filles de paysans, à qui rien dans leur destin ne laissait présager un avenir tel, qui allaient dans l’espace, et non des milliardaires cocaïnes ayant acheté leur ticket pour un trip égocentrique narcissique. Mais lorsque la cité de Youri est menacée de destruction car elle n’est plus aux normes, Youri se retrouve bien seul dans son ambition de la restaurer. Car, comme le disent les réalisateurs du film Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, Youri est quelqu’un qui croit que l’on peut réparer le passé, et c’est cet idéal qui l’animera durant tout le film. 

La mise en scène du film, magnifique, est ancrée dans le réel et réussit parfaitement, à travers des scènes touchantes et épatantes de par le regard si rare qu’elles transmettent, à transmettre malgré tout une dose de rêve à construire.  Paradoxalement, ce film est autant ancré dans le quotidien de ces habitants de Gagarine qu’il ne l’est aussi dans la réalisation des plus grandes idées d’exploration spatiale et des rêves de liberté. 

La première scène du film, où l’on voit des images d’archives de Youri Gagarine venant planter un arbre en bas de l’immeuble pour inaugurer cette cité, lance dès le début cette idée du lien entre le projet de proposer un logement digne à quiconque, comme droit inaliénable – ce que représente cette cité – et la conquête spatiale, ultime projet d’une humanité unie, libre et égale. 

Il y aura ensuite la scène où Youri et sa petite-amie Diana montent dans une grue, leur donnant une vue enviable sur toute la banlieue et sur le 13ème arrondissement parisien, l’occasion pour le film de montrer à nouveau la manière dont la mise en scène filme ces bâtiments industriels, résidentiels, HLM. Des bâtiments qui ne sont pas “nobles”, qui ne devraient dans la doxa bourgeoise ne faire part d’aucune beauté ou humanité, mais qui sont ici sublimés par la familiarité des personnages qui y vivent et par la vie qui y grouille malgré tout. Filmées sans vision idéaliste ni sans vision caricaturale ou péjorative, les “banlieues célestes” sont au cœur de l’œuvre, un terme donné par les personnages du film, qui font le lien entre une analyse urbaine du lien entre une ville et sa banlieue et une analyse astronomique. 

Et enfin, il y a le final, qui comprend de fortes références à Interstellar, de Christopher Nolan, qui ne sont pas dues au hasard, signifiant que les français aussi peuvent avoir droit à leurs récits spatiaux, à leurs rêves et ambitions, et qu’il n’y a pas besoin d’être ou voir au cinéma Matthew McConaughey et Anne Hathaway pour prendre part à une aventure cosmique.

Ce film est alors la conséquence d’un nouveau rapport entre les français et leur cinéma, si souvent naturaliste, de part la démarche de ses réalisateurs. Ici, le fait de choisir de filmer nos rues, nos immeubles, nos bâtiments, en y plaçant des figurants y ayant réellement vécu, dans une atmosphère qui part certes du naturaliste mais qui finit – et c’est sans doute là le plus important – par s’envoler ailleurs, permet de retrouver ce rapport et ce lien fort. Après tout, la question du lien entre le quotidien des personnes et la promesse d’une société libre et égalitaire permettant de progresser vers le bonheur commun est une question sur laquelle se sont bloqués bon nombre de révolutionnaires dans l’histoire. 

Ici, le film réussit parfaitement à faire les deux, même si dans une atmosphère malgré tout très mélancolique, bien que remplie d’espoir. Le tout servi par une musique absolument enchanteresse de Evgueni Galperine, Sacha Galperine et Amine Bouhafa, qui mélange influences de la composition d’Hans Zimmer pour Interstellar, jazz (le morceau Ya Tara) et expérimental mi-orchestral micro-électronique. 

Au final, le film s’interroge sur le rôle qu’a le rêve entre quotidiens et grands idéaux. Ne permettrait-il pas uniquement de sombrer dans la rêverie, dans les délires, et de se détacher totalement du réel et des autres, de ceux qui y vivent, ou peut-il être autre chose ? Lénine y répond en 1901, dans Que Faire : “Il faut rêver, mais à condition de croire sérieusement en notre rêve, d’examiner attentivement la vie réelle, de confronter nos observations avec notre rêve, de réaliser scrupuleusement notre fantaisie”. Youri, en mettant la main dans le cambouis, dans la terre, en réparant méthodiquement l’ascenseur avec ses amis et en rétablissant le courant dans certains étages, avant d’aller sur le toit de la cité et de se prendre à observer le ciel nocturne étoilé, semble parfaitement avoir compris cela.

Alors, c’est peut-être cela que le cinéma français a perdu ces dernières années, et qu’il semble commencer à retrouver aujourd’hui : la capacité à être un miroir sur nous-mêmes, notre situation actuelle, avec nos questions, nos thèmes sociaux, nos interrogations, nos doutes et nos certitudes, puis sa capacité à nous faire rêver concrètement d’autre chose. Les années difficiles s’enchaînant les unes après les autres, et le futur ne nous laissant entrevoir pour le moment que d’autres difficultés, nous pouvons affirmer que c’est quelque chose dont le peuple français et sa jeunesse ont besoin, non pas pour survivre, mais pour vivre et construire.


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