Électricité géothermique, avenir ou impasse ?

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Électricité géothermique, avenir ou impasse ?

La géothermie est une des nombreuses sources potentielles d’énergies renouvelables maitrisées par l’espèce humaine. Son usage dans la production électrique est relativement ancien, mais peine encore à faire ses preuves. À l’inverse, la géothermie est historiquement utilisée, selon les lieux, comme une source de chaleur ayant fait ses preuves. Quels sont les débouchés offerts par l’énergie qui repose dans nos sous-sols ?

La géothermie, ça remonte à quand ?

L’utilisation de la chaleur de la Terre à fin de chauffage remonte à l’Antiquité. Au IIIe siècle avant notre ère, la dynastie Qin fit construire sur le mont Li (Shaanxi, Chine) un spa chauffé par la chaleur de la montagne. Au premier siècle de notre ère, les Romains conquièrent Aquae Sulis, aujourd’hui connu comme la ville de Bath, en Angleterre, et se servirent des sources chaudes qui s’y trouvent pour alimenter leurs thermes et le chauffage des sols.

Le plus ancien système de chauffage urbain géothermique du monde, situé à Chaudes-Aigues en France, fonctionne depuis le XVe siècle. Il faut toutefois attendre le XXe siècle et l’augmentation de la demande pour que la géothermie soit envisagée comme source de production d’électricité.

En 1911, la première centrale électrique géothermique commerciale est construite à Larderello en Italie. Elle resta le seul producteur industriel d’électricité géothermique jusqu’à ce que la Nouvelle-Zélande construise sa propre centrale en 1958.

Le point commun entre le mont Li et les villes de Bath, de Chaudes-Aigues et de Larderello est que ces lieux disposent d’un haut gradient géothermique.

Le gradient géothermique correspond à l’augmentation de la température en fonction de la profondeur, avec une augmentation comprise entre 10 et 30 °C par km en temps normal. Dans les zones dites de « haut gradient géothermique », la température croît beaucoup plus vite en fonction de la profondeur, jusqu’à 100 °C par 100 m en zone volcanique.

En 1967, le principe des centrales à cycle combiné est mis au point en URSS. Dans ce système, l’eau chauffée par géothermie, avant de repartir en profondeur (cycle 1), transfère sa chaleur à un liquide au point d’ébullition beaucoup plus bas que celui de l’eau. Ce liquide se vaporise et entraîne une turbine qui elle-même entraîne un alternateur (cycle 2).

Cette technologie a permis de produire de l’électricité à partir d’une température de fluide descendant jusqu’à 57 °C, assurant ainsi un meilleur rendement pour la production d’électricité géothermique. Il s’agit du type le plus commun de centrale géothermique en construction aujourd’hui.

En France, l’électricité géothermique encore balbutiante

Aujourd’hui justement, la puissance électrique installée des centrales géothermiques dans le monde s’élève à 15 950 MW (soit 139 722 GWh annuel) selon un rapport présenté en 2020 au congrès de la géothermie. Comparativement, la consommation mondiale annuelle d’énergie électrique s’élève à 168 500 TWh en 2019 (cela représente donc environ 120 000 % de la production maximale de la géothermie mondiale).

Selon les projections de l’association américaine Geothermal Energy Association (GEA), cette puissance pourrait atteindre 32 000 MW en 2030, pour une consommation électrique toujours croissante.

La France dispose de deux centrales électriques géothermiques : la principale est située à Bouillante en Guadeloupe et possède une puissance de 16 MW. La seconde se trouve à Soultz-sous-Forêts, en Alsace. Elle est annoncée « en capacité de produire 12 000 MWh/an (soit une puissance de 1,37 MW) correspondant à la consommation de 2400 logement ».

Le groupement européen d’intérêt économique (GEIE) EMC, exploitant de la centrale, souhaite d’ailleurs forer deux nouveaux puits afin d’agrandir la centrale. Ce projet est rejeté par la région Grand Est en raison d’un dossier d’étude d’impact incomplet.

Comment est utilisée la géothermie ?

Si la question de la géothermie en Alsace semble familière, c’est sans doute à cause de la suspension en 2020 de deux projets de sites géothermiques suite à l’enregistrement d’activités sismiques dues aux travaux de forage. À ce titre, il est important de distinguer deux deux types de production d’énergie géothermique.

Premièrement, il existe des sites dits « haute enthalpie », pour les fluides dont les températures sont supérieures à 150 °C. En dehors des zones volcaniques, ces derniers sont mis en production par forage, généralement à plus de 1500 mètres de profondeur. C’est à partir de ces sites qu’est produite de l’électricité.

Ce sont ces forages qui peuvent entraîner une activité sismique induite, comme ce fut le cas en Alsace en 2020, mais aussi à Bâle en 2006, Landau en 2009, Insheim en 2010 et à Saint-Gall en 2013 (donnée pour des séismes de magnitude > 2, fournies par l’INERIS).

En France métropolitaine, hormis la centrale de Soultz, aucun autre site géothermique n’est exploité à ce jour. Dix-sept permis de recherche ont néanmoins été délivrés afin de trouver et d’évaluer l’exploitabilité de nouveaux sites.

Deuxièmement, on distingue la géothermie superficielle dite de « très basse énergie » pour des températures inférieures à 30 °C, et de « basse énergie » pour des températures entre 30 et 90 °C.

Ces deux modalités concernent exclusivement le chauffage. Dans le cas de la géothermie « très basse énergie », elle trouve son usage principal dans l’habitat collectif et individuel et prend généralement la forme de pompes à chaleur géothermique (PACg). Les PACg servent à prélever la ressource énergétique en fonction de la température de cette dernière et du niveau des besoins thermiques.

La géothermie « basse énergie » sert pour sa part soit au chauffage urbain via des réseaux de chaleur, soit aux usages directs pour le chauffage de serres, l’aquaculture, les établissements thermaux, etc. L’extraction de cette énergie par des PACg est encore occasionnelle, mais tendrait à se généraliser grâce aux avancées technologiques en matière de rendement des installations.

Un avenir incertain pour l’électricité géothermique

La France souhaite grandement dynamiser et valoriser sa filière géothermique. Parmi les objectifs de la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie), on retrouve :

La mise en place d’un animateur local spécialiste de la géothermie par région, avec le soutien de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).

Le soutien à l’investissement en géothermie, en réseaux de chaleur et de froid géothermique, et aux solutions de stockage de chaleur par géothermie, par le Fonds Chaleur. Le FC est un fonds économique géré par l’ADEME, destiné à massifier, sur le territoire, les installations de production de chaleur renouvelable et à développer les réseaux de chaleur qui leur sont liés.

La participation du Fonds Chaleur au financement de cartographies régionales pour la géothermie de minime importance (GMI), et le cas échéant au financement d’aides à la décision sur la rentabilité économique de la ressource géothermique de surface.

Le développement et le soutien aux projets innovants, notamment couplés à de la production de lithium, dans le cadre de dispositifs à la R&D. Le lithium est présent sous forme dissoute en quantité non négligeable dans certaines eaux souterraines, l’idée serait donc de « filtrer » l’eau géothermique afin d’y récupérer le lithium. Plusieurs projets en ce sens sont actuellement en phase de test.

Dans la PPE, nous pouvons également lire que « compte tenu du coût de la production d’électricité par géothermie, afin d’optimiser le coût global d’atteinte des objectifs de développement des énergies renouvelables, le soutien à la géothermie se concentre sur la production de chaleur ». C’est là que le bât blesse pour ceux qui voyaient déjà la géothermie remplacer les énergies carbonées dans la production d’électricité, voire même le nucléaire.

Bien qu’étant une énergie à haut facteur de charge (car pas soumise aux fluctuations externes comme l’éolien ou l’hydraulique), l’efficacité énergétique de la géothermie n’a rien d’exceptionnel (10 à 23 % en raison des lois de la thermodynamique). Le coût de cette technologie freine bien plus d’un État à l’adopter comme mode de production électrique, en particulier ceux ayant déjà un accès facile à d’autres formes d’énergie renouvelable.

À titre d’exemple, une paire de puits au Nevada, pouvant subvenir à 4,5 MW de production électrique, coûte 10 millions de dollars en forage avec un taux d’échec de 20 %. S’y ajoutent le coût des infrastructures de production, le stockage et le transport de l’électricité, les centrales étant placées à l’écart des activités humaines pour prévenir le risque de séisme induit par les forages.

En résumé, la géothermie dispose d’un grand potentiel pour la production de chaleur. Toutefois, le soutien à la recherche devra encore être accentué pour que cette énergie devienne une source viable et durable d’électricité.


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