Entretien avec Laurent Brun, secrétaire général de la CGT cheminots

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Entretien avec Laurent Brun, secrétaire général de la CGT cheminots

A la veille du lancement d’un mouvement de grève historique pour la SNCF, Laurent Brun, Secrétaire Général de la CGT Cheminots, nous a accueillis au siège confédéral du premier syndicat du pays, à Montreuil. Il a accepté de répondre à nos questions sur les enjeux du combat qui démarre contre la réforme de l’entreprise et la casse du statut de cheminots.

L’actualité vous place au coeur des débats dans le pays. Il semblerait que le gouvernement ait décidé de s’attaquer aux services publics dans leur ensemble et de faire des cheminots un exemple. Comment l’analysez-vous ?

C’est une attaque généralisée. A partir du moment ou l’on supprime le statut, on supprime un régime. C’est donc une première pierre de la réforme des retraites également annoncée par ce gouvernement. C’est un premier ballon d’essai.

Le deuxième ballon d’essai c’est la question du statut des cheminots. C’est une première attaque qui prépare en vérité une attaque plus globale du statut de la fonction publique. Les méthodes sont d’ailleurs les mêmes ! On nomme un expert qui fournit un rapport, on pointe du doigt des privilèges, des particularités, et ensuite on justifie par cela de casser les droits.

En vérité les décisions sont déjà prises par le gouvernement et nous sommes, nous les cheminots, une sorte de répétition pour organiser tout ça. C’est pour cela d’ailleurs que des convergences se sont très vites créées avec l’ensemble des fonctionnaires.

La méthode est la même, on oppose retraités et actifs, cheminots avec les autres salariés. Dans la même semaine on annonce la suppression de l’ISF. C’est écoeurant mais personne n’est dupe, nous le mesurons déjà dans les discussions que nous pouvons avoir avec les usagers. Beaucoup de gens se sentent attaqués sur leurs droits.

L’enjeu du dialogue avec les usagers semble important pour vous. On note que cela fait partie de la stratégie du gouvernement que de vouloir vous opposer avec ces derniers, comment comptez-vous y remédier ?

Nous avons tiré les leçons des précédents mouvements.

Nous avons toujours eu du mal à concilier dans nos luttes à la fois les aspects internes du combat, auprès de nos collègues, et de réussir à convaincre les usagers et l’opinion. Nous avons souvent fait soit trop l’un, soit trop l’autre. Cette fois-ci, nous essayons en interne de travailler aux meilleures modalités pour créer le rapport de force et pouvoir tenir sur la durée, notamment durant tout le processus des ordonnances, d’où ces annonces de grève perlée.

Mais nous essayons aussi d’agir de manière à ce que les usagers puissent comprendre notre action. Il y a notamment un point très important c’est que cette réforme ne répond en rien à la principale attente des usagers, c’est-à-dire de pouvoir bénéficier de bonnes conditions de voyage dans des trains à l’heure.

Pour que le train soit à l’heure il faut une organisation de la production efficace et cohérente, sauf que pour être cohérente, elle ne peut pas se baser sur les futurs appels d’offres. On ne peut pas envisager de créer des tonnes de PME du ferroviaire qui seraient isolées les unes des autres et qui désorganiseraient totalement la production. C’est déjà un vrai mal-être au travail à la SNCF. Il y a des salariés qui se saignent tous les jours et qui constatent que le service public n’est pas efficace à cause des manques de moyens, des choix de productions qui sont faits.

Vous savez, quand on rentre à la SNCF on apprend une certaine conception du travail.

Personnellement, j’ai quitté Carrefour car je ne trouvait plus de sens à ce que je faisais, j’avais l’impression de produire pour rien, uniquement pour le patron. A la SNCF il y a une vraie culture du service que l’on rend à la population, mêlée à une grande rigueur dans le travail. Cette mentalité qui fait tenir les salariés uniquement par la pression en leur faisant perdre le sens de leur travail, on ne la retrouvait pas à la SNCF.

Mais si le but n’est plus celui là, si l’objectif n’est plus celui du train à l’heure, de la qualité du service mais uniquement celui du chiffre du service, on en arrivera là nous aussi.

Sur cette question justement de l’organisation de l’entreprise, de sens à donner au travail, de conditions de travail des salariés, des attentes de la population, vous n’êtes pas que dans l’opposition à cette réforme. Vous avez mis sur la table un contre-projet face à celui du gouvernement, quels en sont les grands axes ? Et les grands points de clivages avec celui du gouvernement ?

Le premier point de clivage, c’est que le gouvernement va vers la concurrence dans l’idée que le transport doit désormais être régulé par le marché. Selon lui, l’Etat ne devrait plus intervenir dans le transport si ce n’est pour les subventions. Nous on affirme l’inverse !

Nous disons clairement qu’il faut que le gouvernement ait un objectif de développement du rail. Rien que de demander ceci, cela implique que nous ne laissons pas le marché décider mais qu’on décide de mettre en place une politique publique qui permette d’atteindre les objectifs que nous fixons au service public.

Un exemple : si l’on souhaite avoir une politique environnementale et d’aménagement du territoire ambitieuse, nous pensons qu’il faut passer la part ferroviaire du transports de marchandise d’ici à 2050 de 10% à 25%. Si on laisse “le marché” décider, nous savons très bien que cela n’aura pas lieu car le marché se placera sur les segments les plus rentables et que l’investissement que coûterait les infrastructures et les aménagements, qui nous permettraient de réaliser ce défi, empêcherait que cela se fasse. Il faut donc y mettre des moyens et une gestion publique.

Le deuxième point de clivage en lien avec ça, c’est que le gouvernement décide de transformer l’entreprise publique SNCF en société par actions avec à terme une volonté de privatisation. Outre ce que je viens de vous dire sur les limites de laisser faire le marché et la concurrence, dans aucun pays du monde cela n’a eu d’effets positifs.

Mais il ne faut pas se limiter à la nature et la structure juridique. Il faut une vraie réorganisation tournée vers des objectifs de service public de qualité. Le service aiguillage ne doit pas avoir pour objectif d’aiguiller, mais bien d’aiguiller pour que le train soit à l’heure, pour que les autres services puissent également travailler dans les meilleures conditions et avec comme finalité le service de qualité rendu aux usagers.

Le troisième c’est le financement. La privatisation va coûter plus cher. Ils le savent, même Spinetta le dit dans son rapport. Le débat entre eux, c’est : qui de l’usager ou de la collectivité va payer ?

Dans le même temps ils veulent écraser les droits des salariés pour diminuer les coûts. C’est comme ça qu’ils veulent construire leur marge, comme dans toute logique du privé : en augmentant le prix et en diminuant les coûts de production. Nous nous souhaitons rester dans la logique d’une entreprise publique. Les salariés ne peuvent pas être une variable d’ajustement.

D’ailleurs le fameux statut qui ferait de nous des privilégiés, il est à relativiser. Il y a des droits et des devoirs dans ce statut. A la SNCF par exemple, la période d’essai c’est un an et on peut monter à plus de deux ans selon les métiers. Il faut savoir aussi que vu que nous sommes un service public continu, nous travaillons beaucoup les nuits et les week-end. Le statut de cheminot fait que nous sommes payés pour les nuits et les week end beaucoup moins cher que dans le privé par exemple.

Ce statut c’est un équilibre.

Il comporte des avantages mais aussi des inconvénients. Evidemment que par rapport au moins bien lotis du privés nous sommes mieux traités mais nous n’allons quand même pas revendiquer de tirer les droits de tout le monde vers le bas ! D’autant que même en terme de coût pour la SNCF, le statut est rentable…

Nous voulons donc un modèle social garanti avec un plan d’investissement public et un modèle économique pérenne. Sur cette question du modèle économique, c’est assez révélateur. On nous parle de la dette de la SNCF mais cela fait trois réformes qui partent de la question de la dette et qui ne la règlent pas ! Pour eux la dette est rentable d’une part, et ils savent aussi qu’en mettant en difficulté économiquement le service public, on l’empêche d’être efficace et donc on peut le détruire sous prétexte de faire mieux.

Il existe des sources de financement pérenne. La taxe d’importation sur les produits pétroliers par exemple fait partie des pistes que nous avons mis sur la table. Si on l’utilise pour financer les transports au sens large, dont le ferroviaire on en fera une taxe plus utile que ce qu’elle est aujourd’hui.

On est au coeur d’une bataille énorme : à qui confie-t-on nos investissements, notre transports ? Au marché ou à l’Etat ? Certains représentants de l’Etat nous disent même qu’il faudrait la confier au marché pour que cela soit mieux géré… mais attendez… des représentants de l’Etat qui disent ça ! Dans une commune, si le maire gère mal la mairie on change le maire, on ne va pas confier la gestion de la commune aux entreprises du coin, c’est très très grave.

Ça m’emmène sur le dernier axe de notre contre-projet qui est celui de la démocratisation de l’entreprise publique. Il faut que cela soit des comités de lignes qui décident des orientations de l’entreprise. C’est aux usagers et aux salariés de choisir et de décider pour le service public. Il faut bien sûr des méthodes d’arbitrages notamment via les élus régionaux mais le besoin doit partir des usagers. Il faut également des contre pouvoirs au conseil d’administration, notamment par le parlement.

La confrontation est donc totale.

Le statut des cheminots est directement visé. Pour les jeunes il représentait une entrée sécurisée et protégée dans le monde du travail. Ce sont ces jeunes qui seront encore en première ligne de la réforme ? C’est par eux que l’on veut tirer les droits de tous vers le bas ?

Il y a une vraie tentative d’opposition entre les générations. Heureusement cela ne fonctionne pas trop chez les cheminots car il y a une tradition de transmission du savoir faire, de l’expérience, etc. Si l’on transmet les savoir-faire, il n’est pas question de ne pas transmettre avec les droits sociaux.

D’autant plus que nos droits sociaux reposent sur le collectif. Les retraites, bien sûr, mais également le système de promotion interne qui repose sur le nombre de salariés et donc sur l’entrée de nouveaux jeunes. La solidarité intergénérationnelle c’est donc une valeur morale mais qui prend aussi effet dans le réel du fonctionnement de notre système.

Les jeunes sont également des usagers très fréquents des lignes de la sncf, notamment régionales. Quelles vont être les conséquences de cette réforme pour eux  ?

Il y effectivement beaucoup de lignes menacées. Soit directement soit dans l’après au vu des préconisations du rapport Spinetta. Si l’Etat ne veut pas mettre de moyens sur le système ferroviaire, il sacrifiera les petites lignes en ne les finançant pas et en les faisant reposer sur les régions, alors même que les régions n’en ont pas les moyens. La décision de fermeture des lignes ne seront donc pas prises à Paris mais dans les faits…

Il y a une autre réalité, si on raisonne dans une logique de rentabilité comme le gouvernement souhaite l’instaurer, ce qui rapporte à la SNCF c’est la 1ere classe, les voyages d’entreprises. Ce qui ne rapporte pas du tout c’est les lycéens, les étudiants, les chômeurs, les anciens, etc.

Donc nous devons opposer à cette logique de rentabilité, une logique d’égalité.

Pensez vous réussir à faire reculer le gouvernement ?

Nous avons mis en avant un calendrier de trois mois mais la grève durera en fonction des positions du gouvernement. Les modalités de lutte seront décidées par les cheminots à chaque fois.

Nous savons que nous sommes face à un gouvernement de combat mais nous sommes prêts à tenir dans la durée, y compris en créant des convergences avec les mobilisations en cours notamment chez les jeunes ou dans d’autres secteurs. Donc oui nous sommes confiants.


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