Football féminin en France : 108 ans de luttes

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Football féminin en France : 108 ans de luttes

La semaine dernière, l’Équipe titrait un article « 10 choses à savoir sur le football féminin français qui fête son cinquantenaire ». Le 29 mars 1970, en effet, la Fédération française de Football reconnaissait enfin officiellement l’existence du football féminin. Son histoire est pourtant bien plus ancienne et ses enjeux actuels confirment qu’elle a toujours nécessité la témérité de ses joueuses, pour conquérir leur légitimité sur le terrain.

Histoire du foot féminin : la longue route vers la reconnaissance

Le football féminin fait ses débuts au Royaume-Uni, à la fin du XIXe siècle. Un premier match a lieu à Glasgow en 1881, dont les journaux ne retiendront que les tenues des joueuses. Lors du second match, un envahissement de terrain violent a lieu avant la fin de la rencontre. Pour les spectateurs, la pratique féminine du football était outrageante et devait être sanctionnée. Ces premiers épisodes témoignent de la violence des oppositions au développement du football féminin, comme incursion illégitime dans un monde masculin. Pour autant, son histoire n’est pas linéaire et varie selon les pays. En France, on distingue trois périodes clés marquant l’évolution du football féminin.

Le temps des pionnières — 1912-1937

Le football féminin apparaît en France en région parisienne aux alentours de la Grande Guerre. Si le premier club, le Fémina Sport, est fondé en 1912 par deux enseignantes d’éducation physique, c’est au cours de la Première Guerre mondiale que les femmes se défoulent, à la débauche de l’usine, avec un ballon de cuir. En 1917 a lieu la première rencontre féminine sur le sol français entre deux équipes du Fémina Sport. Un an plus tard est organisée une première compétition féminine par quatre formations parisiennes et en 1919, une équipe de France est constituée. Elle se rend en Angleterre pour disputer des matchs devant 12 000 supporters. En octobre 1920, elle reçoit à son tour l’équipe d’Angleterre, au bois de Vincennes, et obtient un match nul (1-1) devant 15 000 spectateurs.

Les équipes féminines se multiplient sur le territoire national après-guerre, de sorte qu’un véritable championnat de France existe dès 1921. Toutefois, la vivacité du football féminin français est surtout parisienne, avec 18 équipes en 1923. Lorsque la Fédération des sociétés sportives féminines de France, qui organisait le championnat, raye le football — accusé de détourner les femmes de sports appropriés pour elles — de la liste de ses activités, une Ligue de Paris est créée pour prendre la relève. Elle aura cependant une existence éphémère, le championnat disparaissant après 1937 et le régime de Vichy interdisant définitivement la pratique féminine de ce sport.

Entre rébellions et reconnaissance institutionnelle — 1967-1974

On assiste à un retour, après une ellipse de trente ans, du football féminin en France dans les années 60. Les historien-nes citent des rencontres sportives à Reims en 1968 et dans l’un ou l’autre village alsacien (Gerstheim ou Schwindratzheim selon les sources) en 1967. Ces matchs ont lieu dans le cadre de tournois masculins ou de fêtes de club, et ont donc une forte dimension folklorique, en tant qu’animations amusantes de la journée. Néanmoins, cela donne le goût du cuir aux jeunes femmes qui poursuivent leurs entraînements.

Quelques rebelles du football constituent une équipe de France et participent en 1969 à une coupe d’Europe pirate avec l’Angleterre, le Danemark et l’Italie, dont les Italiennes sortiront victorieuses.

C’est dans ce contexte de résurgence de la pratique féminine et de développement à l’international des compétitions que la FFF reconnaît officiellement le football féminin en 1970. Elle compte alors 2000 licenciées. En 1971, les Bleues remportent leur premier match officiel 4-0 contre les Pays-Bas. Le championnat de football féminin FFF débute en 1974 et Reims domine les trois premières saisons.

Le temps de la professionnalisation et de la médiatisation — 1991 à aujourd’hui

Le football féminin s’installe progressivement dans les fédérations dans les années 80, quand les sections féminines existent. Le championnat se structure et la première division apparaît en 1991. S’ouvre alors une période de lutte pour la professionnalisation et la médiatisation des compétitions. Celles-ci sont rudes pour les Françaises, qui peinent à se qualifier lors des Euros 91, 93, 95 et 97 et des Coupes du monde de 1995 et 1999. 

C’est alors que, sous l’impulsion d’Aimé Jacquet, la FFF met en place un plan de développement du football féminin français et que le centre de formation de Clairefontaine est fondé. Louis Nicollin, à Montpellier, est le premier dirigeant de club à miser sur la professionnalisation féminine, à la même période. Il est suivi par Jean-Michel Aulas pour l’Olympique Lyonnais, qui intègre une équipe féminine autonome, le FC Lyon dans son club. Cette professionnalisation concerne d’abord la préparation physique de haut niveau des joueuses. Par ailleurs, pour pouvoir recruter des joueuses internationales, l’OL recourt au contrat fédéral, qui existe au niveau national et CFA dans le football masculin. En effet, les disparités de moyens entre les clubs posaient un problème juridique pour les transferts. C’est cette stratégie qui permet à la section féminine de l’OL son succès, en France et à l’international. Avec six victoires en Ligue des Champions, onze titres de championnes de France et sept coupes de France depuis 2007, le club domine largement le football féminin.

Pour ce qui est de la médiatisation, c’est un hasard du calendrier sportif qui permet la mise en avant du football féminin. En effet, lorsque Bruno Bini mène les Bleues vers la quatrième place de la Coupe du Monde en Allemagne, il n’y a pas d’autres compétitions majeures (entendez, masculines) en cours. C’est ainsi que l’Équipe, désœuvrée, place trois fois en Une l’équipe de France féminine. L’année suivante, aux Jeux olympiques londoniens, les Bleues finissent à nouveau quatrièmes. Ces opportunités permettent à la FFF de négocier les tarifs de retransmission de D1 féminin. 

En 2014, les Bleues se hissent à la troisième place du classement FIFA et en 2015, la France se voit confier l’organisation de la prochaine coupe du monde. C’est le début de la popularisation du football féminin. En 2019, la France perd en quarts de finale contre les États-Unis, qui obtiendront la victoire contre les Hollandaises à Lyon, le 7 juillet, lors d’une Coupe du monde massivement suivie.

Genre, féminisme et ballon rond : enjeux actuels du football féminin

Nous l’avons constaté, l’essor du football féminin en France est extrêmement récent et résulte de la détermination à toute épreuve des femmes qui l’ont fait progresser, à chaque période étudiée. Le football féminin est encore aujourd’hui le lieu d’enjeux donnant à voir le fonctionnement du patriarcat. La professionnalisation du sport, comme sa démocratisation, montre bien les dynamiques entre progrès et maintien d’une hiérarchie des sexes. Les réflexions sur le jeu féminin témoignent de l’ambivalence de l’émancipation par le sport, dans le cas du football.

Professionnalisation : des « figures d’exception » ? (Terfous et al)

Prendre l’exemple des arbitres féminines permet d’éclairer les difficultés de la professionnalisation féminine dans le football français. Nous avions déjà analysé l’an dernier l’usage intensif de l’assistance vidéo lors de la Coupe du monde féminine au prisme du genre (LIEN). Les arbitres professionnelles, moins connues que les joueuses, sont essentielles au bon déroulement du jeu et la structuration des championnats. Dès 1979, la FFF a ainsi encouragé la formation de dirigeantes et d’arbitres dans les clubs. Les femmes ont alors davantage investi l’arbitrage. Néanmoins, au cours de la saison 2015-2016, sur 26 871 arbitres, seules 699 sont des femmes (Terfous et al.). Ce nombre renvoie aux barrières à l’entrée des carrières professionnelles et de l’investissement dans la direction pour les femmes. 

D’une part, les arbitres subissent une exclusion des postes les plus prestigieux et d’autre part, elles doivent mener un travail invisible de virilisation pour être respectées sur le terrain (Le Tiec).

À l’inverse, chez les arbitres masculins, l’ordre d’aller arbitrer une rencontre féminine est parfois explicitement présenté comme une sanction. Les arbitres de ligue féminines dénoncent la mise en avant de personnages comme Nelly Viennot ou Stéphanie Frappart, arbitres reconnues, par des dirigeants qui, en parallèle, dressent barrière sur barrière pour la progression des carrières au niveau régional et national des arbitres féminines, un vivier bienvenu pour compenser la pénurie d’arbitrage en district. Cet exemple est représentatif du football féminin de haut niveau, dont les joueuses comme les arbitres sont « exceptionnelles », au sens où celles qui sont médiatiquement reconnues et rémunérées confortablement constituent une exception parmi leurs paires.

On pourrait réfléchir alors aux effets du mode de rémunération sur le type de football produit. Gaëtane Thiney, attaquante de l’Équipe de France et du Paris FC, par ailleurs chargée de mission à la FFF en dit :

« Le comportement des footballeurs est souvent critiqué, tandis que nous autres joueuses aurions un comportement “sain” vis-à-vis de l’argent. Mais si l’on donnait 200 000 euros à des filles de 12 ans pour signer dans un club, et qu’ensuite on leur donnait 40 000 euros par mois, comment réagiraient-elles ? Si nous subissions la même pression économique médiatique et politique que les hommes, nous aurions sans doute des comportements similaires. Aujourd’hui, les comparaisons ne sont pas possibles, car les situations sont incomparables. » 

Le football féminin, plus éloigné de la financiarisation des stars masculine, serait plus vertueux. Que les conditions matérielles d’existence des footballeur-ses conditionnent leurs comportements, c’est une analyse à laquelle nous pouvons souscrire. Si certaines joueuses, comme les ballons d’or 2019 Megan Rapinoe et 2018 Ada Hegerberg, critiquent les inégalités salariales au sein de leur profession, le croisement des inégalités de genre et de classe nous invite à formuler une proposition nuancée sur la rémunération dans le football.

Démocratisation du football féminin : un sport loisir ?

Si nous poursuivons notre raisonnement sur le football féminin comme football populaire, nous devons noter les méthodes suivies pour intéresser les spectateurs à ce sport. À l’Olympique Lyonnais, Jean-Michel Aulas a mis en place une politique de tarification des matchs féminins très faible pour attirer du public. C’est la même stratégie qui a été mise en place pour remplir les stades lors de la Coupe du Monde de 2019. Ainsi le football féminin est plus accessible aux classes populaires et les joueuses de haut niveau sont moins éloignées socialement de leurs supporters que ne le sont les hommes. Si ce constat nous amène à porter des critiques sur la financiarisation du sport, nous avons bien conscience qu’il est le résultat du sexisme, comme nous l’avons montré plus haut. Il est utile de rappeler le fonctionnement du football de haut niveau pour analyser la pratique amateur de ce sport, autre porte de la démocratisation du sport. En effet, les garçons entrent en club davantage pour la compétition que les filles, sous la pression familiale ou par rêve de devenir le nouveau Mbappé. La situation du football féminin de haut niveau, récemment médiatisé et peu rémunérateur en comparaison, limite ces intentions du côté des filles. 

Alors qu’en 2000, on comptait 41 351 licenciées dans les clubs français, en 2016 elles dépassent le cap des 100 000 et aujourd’hui, la FFF recense 198 340 licences féminines. Quand bien même cela représente une fraction très faible des joueurs (moins de 5%), les adhésions se multiplient à une vitesse phénoménale ces dernières années.

En général, les jeunes femmes abandonnent le sport dans le cadre de clubs vers 14-15 ans, d’après des enquêtes menées par l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) en Europe. Or dans les équipes sénior féminines, on retrouve des joueuses débutantes ou ayant démarré après cet âge pivot.  En réalité, l’accès à une équipe de football féminin est encore difficile par manque de structures et, on l’a vu, l’image de ce sport n’a changé que récemment. Les études montrent que les jeunes footballeuses ont toutes d’abord pratiqué librement ce sport au contact de garçons. Dans les cas où elles rejoignent des clubs, c’est à la suite d’encouragements familiaux, notamment des hommes. Même au niveau amateur, l’inscription dans un club relève donc de l’exception. 

La médiatisation de la Coupe du Monde a eu son effet : les clubs cherchent à s’adapter pour anticiper l’arrivée de nouvelles joueuses, les poules se sont multipliées en district et en foot à 7, discipline largement féminine (par le manque de joueuses dans les villages). Les dirigeants se saisissent enfin du football féminin, comme une pratique loisir, de plaisir et d’apprentissage, vu la majorité de débutantes s’inscrivant désormais.

Résistances au changement et le jeu « féminin »

Le football féminin est, comme l’adjectif le suggère, une particularité dans la norme « football », où le masculin est hégémonique. L’histoire du football féminin et ses enjeux actuels montrent des dynamiques de progrès et de lutte contre le patriarcat. Il suffit d’observer une cour d’école pour constater que le football est un outil de domination masculine dès le plus jeune âge. Autour du rectangle où se joue le spectacle de la récréation, les filles sont maintenues à l’écart, discrètes, à l’extérieur des démonstrations masculines.

Selon Robert Connell (1987), le sport est un vecteur « très convaincant de la masculinité hégémonique » parce qu’il « incarne l’apparente supériorité naturelle des hommes sur les femmes ». Pour lui, le sport permet « l’incorporation de comportements qui renforcent les hiérarchies de classe et de genre ». Or, les footballeuses, en entrant sur un terrain masculin, s’approprient leurs techniques corporelles, du renforcement musculaire aux jongles. Selon Christine Mennesson (2007), les politiques menées par la fédération, étant toujours décidées par les hommes, visent à contrôler les comportements de genre et la sexualité des sportives. On parle alors de « gouvernement des corps » (Brubaker, Fassin). La chercheuse considère que, pour faire accepter l’inversion de genre sur le terrain (pratiquer un sport masculin), les footballeuses féminisent leur apparence (maquillage discret, cheveux longs, tenues féminines). C’est remarquable chez les joueuses du PSG ou de l’OL, par exemple. Et parmi les joueuses de haut niveau, aucune lesbienne n’est out en France : l’homosexualité féminine est violemment invisibilisée. Ce phénomène serait d’autant plus important chez les sportives employées par les fédérations ou les clubs, car ces institutions encourageraient la montée de sportives acceptant ces normes. 

Cela se remarque moins dans la pratique amateur, car le fait de jouer entre femmes, contre des femmes, permet une certaine liberté dans l’expression de son genre et de sa sexualité. Les footballeuses expriment leur genre avec fluidité ou avec hésitation, selon les circonstances.

Ces joueuses ont donc investi un milieu fondamentalement masculin et expérimentent donc dans leur corps, leur présentation de soi, les tiraillements et les interrogations d’être à la frontière des normes patriarcales. Pour les spectateurs et les organisateurs des rencontres, c’est aussi le genre féminin qui est mis en scène. Maintenant qu’on a accepté que des filles soient sur le terrain, faut-il encore que ce soient des filles ! Alors l’enjeu, c’est de reconnaître un caractère féminin à leur jeu. Celui-ci est fortement critiqué pour son niveau. Or, la justesse de ces remarques est vite ridiculisée quand on comprend que le football féminin a plus de quarante ans de retard sur le football masculin et qu’encore aujourd’hui, les joueuses de haut niveau sont formées à partir de 15 ans dans les Pôles Espoirs, alors que les garçons partent en préformation dès 12 ans. 

Ce qui est vrai est que la rapidité et la force physique des joueuses sont limitées. Elles se distinguent par l’importance de l’intelligence tactique et par la coopération. Les joueuses mettent en avant le plaisir issu de la réalisation appliquée d’actions travaillées à l’entraînement. « S’il existe un style de jeu féminin, c’est celui qui, dans le contexte d’un engagement physique à relativiser, articule fluidité technique et composition tactique » (Travers et Soto). Le terrain est moins couvert par les équipes, puisque le jeu ne reposera pas sur de longues transversales. Il s’appuie davantage sur des passes courtes, sur une construction progressive vers le but, avec des passes en profondeur à quelques mètres de la surface. Certains auteurs qualifient en conclusion ce style particulier au foot féminin, un style « collectif » (Travers et Soto).

Le football féminin est-il alors un football véritablement populaire ? Issu d’une histoire de luttes, dont certaines figures, comme Alice Millat à l’entre-deux-guerre, sont féministes, exclu de la financiarisation du fait du sexisme, permettant une émancipation individuelle et collective des femmes, créant du jeu solidaire et collectif et donnant accès aux stades — c’est l’hypothèse de cet article.


Une Bibliographie pour aller plus loin  : 

https://www.fff.fr/actualites/177588-un-siecle-de-foot-au-feminin

Carpentier, Florence. « Alice Milliat et le premier “sport féminin” dans l’entre-deux-guerres », 20 & 21. Revue d’histoire, vol. 142, no. 2, 2019, pp. 93-107. 

Le Tiec, Lucie. « Les arbitres féminines sur la touche ? Conditions d’entrées et de déroulement de carrières des femmes arbitres de football », Marché et organisations, vol. 27, no. 3, 2016, pp. 131-148. 

Mennesson, Christine. « Les sportives “professionnelles’ : travail du corps et division sexuée du travail », Cahiers du Genre, vol. 42, no. 1, 2007, pp. 19-42. 

———— « Le gouvernement des corps des footballeuses et boxeuses de haut niveau », Clio. Histoire « femmes et sociétés [En ligne], 23 | 2006, 23 | 2006, 179-196. 

Entretien avec Laurence Prudhomme et Gaetane Thiney “Le football féminin, une pratique en développement”, Informations sociales, 2015/1 (n° 187), p. 119-126.  

Terfous, Fatia, Julie Pironom, et Géraldine Rix-Lièvre. “Les jeunes femmes arbitres de football et de rugby. Des êtres d’exception ?”, Agora débats/jeunesses, vol. 81, no. 1, 2019, pp. 123-142. Travert, Maxime, et Hélène Soto. “Une passion féminine pour une pratique masculine : le football”, Sociétés, vol. 103, no. 1, 2009, pp. 85-95.


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