Juifs Noirs : derrière le Mythe Sioniste, le racisme

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Juifs Noirs : derrière le Mythe Sioniste, le racisme

Le 25 janvier 2021, le ministère de l’Intérieur déclarait devant la Cour Suprême Israélienne que la communauté Abayudaya n’était pas juive. 

Pourtant cette petite communauté ougandaise, qui existe depuis bientôt cent ans,  pratique un judaïsme rabbinique orthodoxe et est considérée comme juive par l’Agence juive, organisation sioniste qui gère l’immigration en Israël depuis 2016. Ce refus de l’alyah (droit du retour) pourrait avoir un impact considérable sur le statut de nombreuses autres communautés de ce type et il est assez symptomatique de la façon dont l’Etat hébreu traite les Juifs africains.  

L’Opération Salomon, une vitrine sans précédent pour le Sionisme

L’émigration des Juifs d’Ethiopie fut pourtant l’un des événements les plus emblématiques de la fin du XXe siècle, certains n’hésitant pas à comparer celle-ci à l’exode de Moïse et des anciens hébreux. 

Dès les années 1980, heurtée par la politique anti-religieuse du régime de Mengistu Haile Mariam et par les violences des milices anti-gouvernementales, cette communauté juive nommée Beta Israël, se tourne vers Israël. En délicatesse avec le régime éthiopen depuis 1973 et la Guerre du Kippour, l’Etat Hébreux va avec le soutien militaire et financier des Etats Unis d’Amérique, organiser une série d’opération d’évacuations plus impressionnantes les unes que les autres. 

En pleine famine de 1984, la CIA et Tsahal organisent l’Opération Moïse, l’évacuation de 8000 Juifs éthiopiens depuis Khartoum jusqu’en Israël. Elle est rapidement suivie par l’Opération Reine de Saba, qui cette fois-ci permet à 800 personnes d’émigrer vers la “Terre Promise”, mais c’est sans aucun doute l’Opération Salomon qui a le plus marqué les esprits. 

En 1991, alors que le régime communiste éthiopien est au bord de l’implosion, l’Opération Salomon, réfléchie et préparée depuis au moins douze mois, voit 14 400 personnes de confession juive, être évacuée vers Israël à bord de 35 avions de ligne et plusieurs avions de transport militaire.  Entre le 24 et le 25 mai 1991, ceux-ci réaliseront 41 allers-retours pour permettre aux Beta Israël de réaliser leur alyah. 

Largement commentée dans les médias, cette action hallucinante a été un énorme outil de communication pour le gouvernement israélien qui y a vu une occasion de montrer l’importance du sionisme. Yitzhak Shamir, alors Premier ministre d’Israël, soulignant même l’importance humanitaire et altruiste de ce dernier. 

L’envers de la carte postale, le rejet des Juifs noirs 

L’intégration de dizaines de milliers de beta-israël majoritairement issus d’une société rurale dans une société israélienne moderne et urbaine ne va pas se faire sans soucis. 

Un article publié le 12 Janvier 2005 dans le journal Haaretz expliquait que bien qu’ils aient dû effectuer leur service militaire obligatoire de trois ans, de nombreux Juifs éthiopiens se sentaient toujours différents et avaient l’impression de ne pas être les bienvenus dans les lieux de rencontre des Israéliens. Dans une étude publiée dans le Jérusalem Post le 22 mars 2005, 43% des Israéliens ne souhaitaient pas qu’eux ou leurs enfants épousent un Beta Israel. 

De fait ce rejet est à l’origine d’un fort communautarisme au sein de la communauté juive éthiopienne qui ne se mélange que très peu avec le reste de la population israélienne. Repoussée à la périphérie des villes, la communauté juive éthiopienne vit souvent dans des lieux mal desservis par les transports en communs et loin des zones d’emplois, ce qui ne fait qu’entretenir la fracture sociétale.  

Depuis dix ans, plusieurs événements tragiques ont mis les Beta Israël sur le devant de la scène. 

« Israël est l’un des États les plus racistes au monde envers les Noirs […]. Quand j’étais plus jeune, j’ai essayé de me connecter à la musique israélienne, d’aller dans des clubs avec des amis blancs, mais on ne me laissait pas entrer. Aujourd’hui, les Éthiopiens fréquentent des clubs avec des musiques auxquels ils peuvent s’identifier » 

– Ilan Adamka, Haaretz , 13 Janvier 2005. 

Au printemps 2015, les images de Danny Adino Abeba, jeune soldat d’origine éthiopienne tabassé par un policier dans une de Holon, indignent la société israélienne. Le 30 avril 2015, un millier de Juifs éthiopiens se rassemblent à Tel Aviv, alors que les rassemblements de ce type sont extrêmement rares là-bas. Bien qu’ayant été condamné par le Premier ministre Benyamin Netanyahou qui a suspendu le policier incriminé, cette vidéo a ouvert les plaies qui divisent la société israélienne. 

Dans un Israël dirigé par l’extrême-droite et où le racisme prend de plus en plus de place, l’indignation générale n’a pas empêché qu’un policier ne tue un jeune Juif éthiopien de 19 ans en lui tirant dessus alors qu’il n’était même pas en service.  

L’intégration des Juifs éthiopiens se devait d’être exemplaire, afin de permettre à Israël de montrer son côté progressiste et humaniste. De façon à ce qu’il puisse continuer à vendre le sionisme comme une chose essentielle et altruiste. Néanmoins la politique d’extrême-droite menée par les gouvernements israéliens respectifs et plus particulièrement Benyamin Netanyahu n’arrange en rien la marginalisation de la communauté Beta Israël. 

Dès sa création, plusieurs dirigeants sionistes de l’Etat d’Israël et notamment David Ben Gourion ont fait en sorte d’imposer une discrimination institutionnalisée à l’encontre des Juifs originaires d’Afrique du Nord. Si aujourd’hui la discrimination a commencé à se dissiper, notamment grâce à de nombreux mouvements de protestation dans les années 1970 et à l’intégration progressive de Juifs séfarades dans les hautes sphères de l’armée ou du gouvernement, les Juifs noirs semblent toujours être au banc de la société israélienne. Ainsi le refus de reconnaître la judéité  de la petite communauté Abayudaya est assez symbolique. 

Après avoir passé onze années au pouvoir, Benyamin Netanyahou aura créé une véritable fracture, tout d’abord entre les différentes communautés qui composent Israël, mais également entre la diaspora juive – et plus particulièrement les petites communautés juives éparpillées partout à travers la planète – et le gouvernement israélien. 


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