Alors que les effets de la crise économique de 2008 se font encore sentir en France et en Europe, l’imminence d’une nouvelle dépression est d’ors et déjà annoncée par les observateurs avertis des cycles économiques et financiers.
Rien d’étonnant à cela : l’histoire du capitalisme est parsemée de crises. Les économistes ont mis en évidence des fluctuations économiques (similaires à des ondes) avec des périodicités de long, moyen et court termes. Il serait trop long de développer ici ces différents types de cycles. L’idée essentielle à retenir est que le capitalisme est un système socio-économique dont la régulation passe par les crises.
Au grand dam des libéraux, c’est Marx qui a fourni, en s’appuyant sur des économistes classiques eux-mêmes considérés comme libéraux (Smith, Ricardo…), une explication pionnière de l’origine de ces crises. Le capitalisme est en effet traversé par des contradictions qui le sapent de l’intérieur et le poussent à se transformer en permanence. Ces contradictions permettent d’expliquer pourquoi le capitalisme est un mode de production qui semble perpétuellement en crise.
Les causes fondamentales des crises ne sont donc pas extérieures au système, elles sont ancrées en profondeur dans son mode de fonctionnement (régulation marchande) et dans sa structure (propriété privée des moyens de production et prédominance du salariat). Dans une économie marchande, on produit pour vendre. Le système incite à produire des marchandises tant que l’on peut les vendre à un prix supérieur au coût de production, afin de maximiser le profit. La recherche par les capitalistes de la maximisation du profit conduit à l’apparition de crises sur le plan économique, mais aussi social, politique, militaire et écologique (nous n’aborderons néanmoins pas ce dernier point dans cet article).
Des stratégies individuelles des capitalistes aux crises de suraccumulation : la baisse tendancielle du taux de profit
Une découverte économique fondamentale de Marx est la baisse tendancielle du taux de profit dans le capitalisme. Les capitalistes, poussés par la concurrence à investir dans des machines de plus en plus productives, accumulent des moyens de production matériels qui leur coûtent de plus en plus cher. La plus value extorquée devient de plus en plus petite face à l’ensemble des capitaux avancés.
Les producteurs capitalistes, en concurrence sur le marché, cherchent à s’évincer mutuellement. Chacun souhaite assurer des débouchés pour sa production afin de dégager un taux de profit le plus élevé possible. Le taux de profit du capitaliste (P) se calcule en rapportant la plus-value (Pl) dégagée grâce à l’exploitation des salariés au capital investi, c’est-à-dire au capital constant (C) et au capital variable(V). On a donc P=Pl/(C+V).
Une façon évidente d’augmenter le taux de profit consiste à accentuer l’exploitation des salariés : en les faisant travailler de façon plus intense, plus longtemps ou en baissant les salaires. Le capitalisme pousse chaque capitaliste individuellement à réduire les salaires et à dégrader les conditions de travail des salariés.
Une autre façon de maximiser le taux de profit pour un capitaliste consiste à produire davantage en adoptant des innovations (machines…) permettant de produire un volume de marchandises supérieur avec un même montant d’investissement. Comme les capitalistes se ruent sur ces innovations et inondent le marché avec les marchandises produites, cela fait baisser les prix de ces marchandises, ce qui contrecarre la hausse du taux de profit (liée à la mécanisation) anticipée par les capitalistes.
On observe une hausse de la composition technique du capital : de plus en plus de moyens de production sont utilisés par rapport au travail vivant. Le capitaliste dépense proportionnellement de plus en plus en moyens de production matériels par rapport aux salaires : on dit que la composition organique du capital (C/V) augmente. Comme seul le travail vivant est générateur de plus-value, Marx émet l’idée que le taux de profit a tendance à baisser avec le temps dans le capitalisme : c’est ce qu’il appelle la baisse tendancielle du taux de profit.
Comme l’objectif fondamental des capitalistes est de réaliser un taux de profit important, la baisse du taux de profit conduit à la chute des investissements et au blocage de l’accumulation : c’est la crise.
Baisse tendancielle du taux de profit et fluctuations économiques
Des contre-tendances s’opposent à la baisse du taux de profit. Les capitalistes réagissent à celle-ci de différentes manières.
Leur premier réflexe est de baisser les salaires, d’intensifier l’exploitation des travailleurs et de favoriser le commerce international. Une baisse de la valeur du capital constant peut survenir, mais elle concerne surtout les moyens de production obsolètes et est donc de peu d’effet sur le taux de profit global. Ces contre-tendances peuvent ralentir la baisse du taux de profit mais pas l’annuler à long terme.
A moyen terme, la suraccumulation du capital peut être résolue par la destruction ou la mise en sommeil d’une partie du capital accumulé. Les capitalistes les moins compétitifs sont éliminés ou absorbés par les plus forts. Il en résulte un accroissement de la taille moyenne des entreprises, ce qui favorise l’apparition d’économies d’échelle et améliore la productivité. Le taux de profit remonte. L’élimination du capital constant excédentaire permet la relance de l’accumulation, jusqu’à la prochaine crise.
Sur le long terme, le capitalisme a su jusqu’à présent rebondir et surmonter ses crises structurelles grâce à des innovations. Certaines innovations techniques permettent d’augmenter la composition technique du capital et la productivité sans faire grimper la composition organique : le capital constant devient moins coûteux. Certaines innovations permettent d’économiser des intrants (ex : ampoules basse consommation, qui économisent de l’électricité).
Enfin, les institutions du capitalisme se sont transformées au cours de son histoire. De nouvelles formes de régulation ont émergé. Ainsi, le capitalisme monopoliste d’Etat social, en intervenant davantage et différemment dans l’économie, a rendu possible la phase d’accumulation des Trente Glorieuses. La mondialisation financiarisée a, après les années 1970, permis une remontée du taux de profit dans le contexte de la crise du capitalisme monopoliste d’Etat.
Les luttes pour le partage de la valeur ajoutée au coeur des crises du capitalisme
Les prolétaires sont les grands perdants de cette course au profit réalisée par les capitalistes. Chaque fois que les capitalistes en ont la possibilité, ils accentuent l’exploitation des travailleurs et aggravent leur sous-consommation.
Les prolétaires résistent et s’associent collectivement pour défendre leurs salaires, obtenir des améliorations dans leurs conditions de travail ou gagner des droits sociaux. En fonction du contexte et de l’efficacité de la lutte, les prolétaires peuvent parvenir à arracher une part plus ou moins importante du gâteau. Dans une période de prospérité, si la main d’oeuvre est rare, les prolétaires sont en position de force pour négocier des augmentations de salaires et pour arracher des conquêtes sociales. En revanche, dans les contextes où la main d’oeuvre excédentaire est importante, et quand le mouvement ouvrier et les syndicats sont faibles, arracher des victoires est beaucoup plus difficile.
Quand les salaires augmentent trop au goût des capitalistes, ceux-ci ont recours à des mesures compensatoires pour restaurer leur taux de profit. Ils peuvent délocaliser une partie de la production vers des zones où les salaires sont plus bas. Il se crée ainsi une zone économique sinistrée, où il devient plus simple pour les capitalistes de tirer les salaires à la baisse. Ils peuvent aussi remplacer une partie des travailleurs par des moyens de production matériels. La première solution permet temporairement de restaurer le taux de profit. La deuxième solution contribue à la baisse tendancielle du taux de profit en réactivant l’accumulation de moyens de production matériels.
On voit donc que les conquêtes sociales ne sont jamais définitives tant que la production reste contrôlée par des capitalistes. La lutte pour le partage de la valeur ajoutée reste une constante du capitalisme, toutes périodes confondues. Ces luttes peuvent acquérir une portée radicale et remettre en question directement le capitalisme. C’est pourquoi les capitalistes ont dû élaborer des solutions pour exporter les contradictions (colonialisme, guerre) ou empêcher leur expression (fascisme, dictatures militaires…).
Conclusion
Les crises sont indissociables de la régulation du capitalisme. Le développement du capitalisme passe par l’accumulation de moyens de production matériels destinés à augmenter la productivité. Cette accumulation conduit périodiquement à des crises de suraccumulation de capital. Comme le moteur de l’accumulation est l’exploitation du travail fourni par les salariés, le capitalisme est aussi en permanence traversé par des luttes pour le partage de la valeur ajoutée. Les proportions du revenu prélevées par les capitalistes et par les travailleurs ne sont pas calculées rationnellement, elles résultent de rapports de force. Par conséquent, il est logique que les proportions entre les différentes composantes de l’économie, notamment entre l’investissement, la consommation des capitalistes, et la consommation des travailleurs, soient déséquilibrées. Cela favorise la survenue récurrente de crises conjoncturelles. Les crises économiques et la lutte des classes accentuent l’instabilité politique, sociale et militaire.
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