La résistance en Corse : La répression – épisode 3

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La résistance en Corse : La répression – épisode 3

A l’occasion du 75e anniversaire de la libération de la Corse le 9 septembre prochain, nous publions une série d’articles revenant sur la Résistance en Corse.

Malgré le sacrifice héroïque de Fred Scamaroni le 18 Mars 1943, la ferveur ne semble pas faiblir dans les rangs des patriotes insulaires, c’est même le contraire, la contre offensive soviétique à l’Est et les nombreux succès des alliés en Afrique du Nord n’ayant fait que raviver et renforcer cette dernière.

Ainsi le 20 Mars 1943 lorsque le Préfet de Corse décide de réduire de moitié la ration de pain, plusieurs centaines de personnes descendent dans la rue pour manifester. D’abord composée de femmes, la manifestation est alors rejointe par les dockers et les jeunes lycéens de la ville. Craignant de déclencher une insurrection en tirant dans la foule, la police tente de la calmer avec une lance à incendie, mais cela n’a aucun effet sur une partie du peuple bastiais qui réplique en lançant tout ce qui lui tombe sous la main sur les autorités. Ce n’est qu’une fois la nuit tombée que les mécontents daignent rentrer chez eux.

“Les Manifestations du 22 et 23 Mars 1943 avaient pour raison d’être essentiellement en tout cas au départ, la lutte pour le pain. Car la Corse souffrait évidemment du manque de farine. La Corse n’avait pas comme Péguy pourrait le dire “des Océans de Blés à présenter à Notre-Dame de Lourde” nous avions la mer, la mer qui loin de nous faire communiquer, nous isolait. Et quelques jours auparavant un cargo, qui s’appelait  d’ailleurs “l’Oasis” avait été coulé et ça avait été le prétexte et un peu la raison pour laquelle le préfet de l’époque avait décidé unilatéralement et d’une manière soudaine d’ailleurs, de réduire la ration de pain qui était d’ailleurs très maigre de moitié. Dans une ville comme Bastia, c’était inévitable qu’il y ait de telles manifestations. […] Par conséquent la population de Bastia était particulièrement frappée par une telle mesure. Et dans la population de Bastia, il y avait d’abord les femmes. Le 22 Mars, lorsqu’il y eu l’annonce de la demi-ration, elles se sont mis en mouvement avec une ardeur et je vais dire même avec une violence, qui fait que finalement toute la ville fut secouée par les manifestations et les lycéens s’en mêlèrent rapidement.”

Etienne “Leo” Micheli, Résistant.

Un peu plus de deux mois après c’est au tour d’Ajaccio de montrer son mécontentement. En effet le 30 Mai de la même année plus de 2000 personnes assistent aux obsèques d’un cheminot tué la veille par un carabinier alors qu’il se rendait au travail. L’émotion est grande et le Front National, dont certains membres se trouvent dans la foule, fait parvenir une gerbe pour le défunt.

Jean Nicoli

Le 9 Juin les alliés débarquent des armes par sous-marin pour les patriotes, les italiens sont là et tentent de faire capoter l’opération, mais “Ribeddu” n’hésite pas et tire sur les trois carabiniers qui le menacent ! Cette histoire fait rapidement le tour de la Corse et devient un modèle pour ceux et celles qui veulent se dresser face à l’occupant fasciste ! Cet acte héroïque vaudra à Dominique Lucchini le surnom de “Terreur des Carabiniers” par ses camarades, son courage devenant un exemple pour ceux-ci.

Mais l’esprit de la Résistance n’est pas omniprésent dans l’île. Au milieu de irrédentistes, qui souhaitent le rattachement de la Corse à l’Italie, des vichystes et même plus simplement de certains envieux il ne fait pas bon être résistant en Corse et cela se confirme assez rapidement tout au long du printemps et de l’été 1943.

Les “heures sombres” de la Résistance débutent le 9 Juin avec l’arrestation par l’OVRA [Organizzazione di Vigilanza e Repressione dell’Antifascismo-Organisation de Surveillance et de Répression de l’Antifascisme, la police politique italienne] de l’officier de radio Pierre Griffi. Ce dernier ne craint pas les nombreuses menaces de la police politique, communiste convaincu, il a été volontaire en Espagne Républicaine en 1936 et ne dit rien aux italiens qui parviennent cependant à établir la complicité de nombreux résistants comme Charles Giudicelli, Patron du Café Napoléon ou encore Nonce Benielli. Griffi lui sera fusillé le 18 août 1943 à Bastia.

“Nous avions été amenés à quatre dans une cave de la citadelle d’Ajaccio que j’appelais la cave des torture, raconte Charles Giudicelli. On nous attachait sur une table en zinc et on,nous frappait sur la plante des pieds avec une lanière de cuir. C’était terrible. Mais lorsqu’ils nous lâchaient, la joie et la fierté nous inondaient. On pouvait se dire “Ils n’ont rien appris, je n’ai pas été un lâche, je mérite l’amitié et la confiance de mes camarades”. Un soir ils m’ont fait déshabiller et monter pieds nus en chemise sur la table de zinc. Deux falots posés sur une chaise jetaient dans la cave des lueurs sinistres. Tout à coup levant les yeux j’aperçois mon ombre sur le plafond voûté. C’était une caricature grotesque. Comme je me voyais ridicule et vilain ! Une chemise droite assez longue, une tête grosse comme le poing, deux jambes comme un manche à balais, les bras ballants d’impuissances… De me voir ainsi devant ces ennemis dont le faciès était rendu encore plus répugnant par l’éclairage incertain, je vous avoue que j’ai senti le désespoir m’envahir. Si j’avais été au bord d’un abîme je m’y serais précipité… les coups m’étaient moins pénibles que la vue de cette ombre dérisoire vacillant au plafond…”

Charles Guidicelli, Résistant.

Le 17 Juin le contre-espionnage italien interrompt une réunion du Front National à la Brasserie Nouvelle en plein centre ville d’Ajaccio. Alors qu’on s’apprête à les fouiller Jules Mondoloni et André Giusti sortent leurs armes et tirent sur les forces d’occupation ! Après plusieurs échanges de tirs, André Giusti blessé quitte la Brasserie avant de s’effondrer au milieu du Cours Napoléon, Jules Mondoloni est lui aussi mortellement blessé et succombe à ses blessures seulement quelques heures après à l’hôpital d’Ajaccio. Ces morts ont des répercussions dans les deux camps, du côté des patriotes, l’émotion est vive et elle exalte l’esprit de vengeance de certains. Ainsi dès le lendemain, “Ribeddu” rencontre François Mondoloni et lui dit simplement : “Des hommes comme ton frère on ne les pleure pas, on les venge” ! Et une semaine plus tard, ce dernier joint l’acte à la parole en montant une embuscade contre le chef des carabiniers de Serra et en tuant trois de ses hommes. L’ennemi lui voit en la fusillade de la Brasserie Nouvelle les prémices d’une insurrection populaire et commence à emprisonner, à torturer et à exécuter les patriotes à tour de bras.

Le 27 Juin le Résistant Jean Nicoli est arrêté par l’OVRA à Ajaccio, l’arrestation de ce jeune instituteur, anti-colonialiste devenu communiste durant la Guerre est suivie par celle de Nonce Benielli, qui dénoncé par un membre de sa famille proche est arrêté le 30 du même moi sur les quais de la gare de Corte. Dès lors Jean Nicoli met tout en œuvre pour essayer de s’échapper, il demande notamment à sa fille Francette de dissimuler une scie dans un pain et de lui apporter en prison. Cette dernière rentre d’ailleurs en contact avec un des gardiens, italiens, de son père, celui-ci affirme à celle qui n’est alors âgée que de dix-huit ans qu’il va l’aider à libérer son père sous certaines conditions. Malheureusement tout ceci n’est en réalité qu’une mascarade dont le but était tout simplement de charger Jean Nicoli et l’accuser de corruption de militaire.

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Le Front National bien que très affaibli par les morts et les nombreuses arrestations met alors tout en œuvre pour essayer de sauver les deux hommes d’une mort certaine. Plusieurs groupes de résistants se disent prêts à attaquer le convoi ferroviaire qui devait amener Nicoli jusqu’à Bastia, mais l’information fuite auprès des italiens et l’opération est annulée. Mais alors que tout espoir semble perdu, l’italien Cagnoni, Colonel d’un régiment des chemises noires entre en contact avec la résistance, il a senti le vent tourner et souhaite aider les résistants. Afin de tester sa sincérité, Arthur Giovoni, Colonna d’Istria et Maillot lui demandent de sauver Benielli et Nicoli de la mort. Mais celui-ci affirme qu’il ne pourra en sauver qu’un seul sous peine d’attirer l’attention de ses supérieurs.

Au terme de ce dilemme cornélien digne des anciennes tragédies grecques on décide de sauver la vie de Nonce Benielli qui est finalement déporté en Italie. L’espoir ne disparaît cependant pas immédiatement, Cagnoni prétend aux résistants qu’il va organiser un simulacre d’exécution afin de le laisser s’enfuir avant d’être récupéré par un commando constitué de Leo Micheli, Paul Bungelmi et Simon Vinciguerra… Mais cette opération tombe elle aussi à l’eau le 29 août aux alentours de minuit. Le 30 août Jean Nicoli est finalement exécuté, non pas fusillé comme il était d’usage à l’époque et comme le prévoyait sa condamnation, mais décapité.

« A mes enfants,

Tout à l’heure je partirai. Si vous saviez comme je suis calme, presque heureux de mourir pour la Corse et pour le parti. Ne pleurez-pas, souriez-moi. Soyez fier de votre papa. Il sait que vous pouvez l’être, la tête de Maure et la fleur rouge, c’est le seul deuil que je vous demande. Au seuil de la tombe, je vous dis que la seule idée qui, sur notre pauvre terre, me semble belle, c’est l’idée communiste.

Je meurs pour notre Corse et pour mon Parti. »

Jean Nicoli.

Ces quelques mots viennent d’une lettre écrit par Jean Nicoli la nuit précédant sa mort. Elle fait encore aujourd’hui partie de l’imaginaire collectif insulaire et son nom est désormais profondément ancré dans l’Histoire insulaire puisque de nombreuses rues et places portent désormais son nom.

La résistance en Corse

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