NégaWatt : un avenir de privations et de rationnement ?

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NégaWatt : un avenir de privations et de rationnement ?

Invité par France Inter ce matin, Fabien Roussel a dénoncé les conséquences d’une sortie du nucléaire envisagées par le scénario négaWatt, dont se réclament Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon, tous deux candidats à l’élection présidentielle.

Le scénario de l’association négaWatt, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, est régulièrement invoqué pour soutenir un abandon de la filière nucléaire en France. Pourtant, sa promesse d’une neutralité carbone exclusivement avec des sources d’énergie renouvelables repose sur des choix sociopolitiques forts discutables.

Neutralité carbone en 2050, mix énergétique à 96 % renouvelable, -55 % d’émissions de gaz à effet de serre en 2030… Le scénario 2022 de négaWatt prétend répondre à l’urgence du dérèglement climatique tout en satisfaisant les besoins sociaux, avec réalisme. Même si l’association veut promouvoir une « transition énergétique réaliste et soutenable pour la France », elle présuppose une réduction drastique de la consommation d’énergie. Consommer moins est le mot d’ordre, bien avant celui de produire autrement. C’est l’idée à laquelle renvoie le nom de négaWatt : faire des économies d’énergie non consommée. Mais les recommandations sont-elles soutenables et acceptables socialement ?

Une société de privations

Dans le détail des mesures préconisées, les économies de négaWatt font figure de privations. À la lecture du scénario, on peine à croire que l’association ignore les difficultés sociales que rencontrent la majorité des Français. 

Il est question de stabiliser le nombre de personnes par logement, quand 5 millions de personnes vivent dans un logement surpeuplé selon l’Insee. Diminuer à 19 000 le nombre de logements construits par an, alors qu’il y a une pénurie de logements sociaux par rapport à la demande. À titre de comparaison, la fondation Abbé-Pierre préconise la construction de 500 000 logements par an. Simplement pour répondre à l’accroissement naturel de la population et les décohabitations dues aux divorces. Sans construire de nouveaux logements, le surpeuplement ne serait pas stabilisé, il serait aggravé.

Dans une France marquée par la désindustrialisation, les délocalisations et une balance commerciale déficitaire, négaWatt propose de réduire la production industrielle, notamment la production d’acier ou de ciment. Au détriment du développement du bâtiment, des transports, et plus généralement de toutes nouvelles constructions. C’est à se demander comment la construction d’une filière éolienne et photovoltaïque serait tout juste possible. 

Plutôt que d’électrifier la consommation énergétique, négaWatt recommande tout un ensemble de mesures très restrictives. Moins de déplacements (-25 % des kilomètres parcourus), moins d’éclairage (5 heures par jour), réduction de 50 % des voitures individuelles, rationnements de l’eau chaude (-30 %), des lave-linges et lave-vaisselle (-18 % d’utilisation), des congélateurs (-50 % d’équipement), des ordinateurs (-66 % par foyer), suppression des consoles de jeu vidéo… 

Refus dogmatique du nucléaire

Le choix des restrictions et de la désindustrialisation s’éclaire devant les préconisations en matière d’énergie. Un mix 100 % renouvelable est envisagé : fermeture de 56 réacteurs nucléaires, doublement du parc éolien terrestre (19 000 éoliennes), installation de 3000 éoliennes en mer, quadruplement du photovoltaïque. Pourtant, aujourd’hui, la production d’une centrale représente celle de 900 éoliennes terrestres selon négaWatt, mais sa puissance disponible correspond à celle de 7 000 selon EDF, qui prend en compte l’intermittence de l’éolien. L’équilibre n’est pas atteint non plus avec l’éolien offshore, technologie encore en phase expérimentale et non industrielle. Les préconisations du scénario ne permettent pas du tout de compenser l’abandon de la filière nucléaire. C’est plutôt sur l’essor de la biomasse et du biogaz que repose la production version négaWatt, une option peu compatible avec la diminution de l’élevage et l’extension des surfaces agricoles défendues par ailleurs.

Avec de tels choix, la sortie des énergies carbonées dépend essentiellement de la division par trois de la consommation d’énergie primaire. Ce qui est incompatible avec la nécessité de réindustrialiser la France. Mesure pourtant essentielle pour diminuer les émissions de gaz à effets de serre liées aux importations. Cela interroge fortement sur l’ordre de priorités de négaWatt. Par exemple, sur la sortie du plastique, comment développer la filière aluminium avec l’abandon du nucléaire et la chute de la consommation électrique ? Comment arrêter la délocalisation des émissions de gaz à effet de serre dans les pays où l’on délocalise nos industries ? Pourquoi renoncer à la congélation, si utile contre le gaspillage alimentaire, contre les intoxications, et tout simplement indispensable à la chaîne du froid des aliments ou des traitements médicaux ?

En fait, le choix de la « sobriété » énergétique repose sur un refus dogmatique de l’énergie nucléaire. C’est cela la priorité devant tout autre. L’objectif revendiqué de négaWatt est de montrer la possibilité technique d’un mode de consommation sans nucléaire. NégaWatt prévoit même une sortie du nucléaire (2045) avant celle du gaz et du pétrole (2050). Au point d’hypothéquer la sortie du pétrole, du gaz et du charbon, et de dessiner une société où les couches moyennes et populaires devraient consommer encore moins, bien en dessous des besoins assurant la simple dignité. 

Vivre dans le froid, vivre dans le noir, dans la promiscuité, se priver de déplacements, de viande, de culture, c’est déjà le quotidien de millions de Français. Il semble inaudible de se priver de douches ou même de jeux vidéos, par peur du nucléaire, au nom d’un dilemme fallacieux entre le 100 % renouvelable et le dérèglement climatique.


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