OSS 117 – L’impérialisme français dans l’œil du viseur

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OSS 117 – L’impérialisme français dans l’œil du viseur

Le risque avec ce troisième volet des récits d’OSS 117, l’espion français benêt et réactionnaire interprété par Jean Dujardin et entre-temps devenu culte, était de faire “l’épisode de trop”, de n’avoir plus rien à dire à travers cette satire politique qui traversait les deux précédents volets, de ne pas proposer de nouvelle vision artistique et politique. 

Refusant la facilité, OSS 117 – Alerte Rouge en Afrique Noire  se permet, avec surprise, de secouer la formule d’un OSS 117 uniquement au service des intérêts économiques de la France en le forçant à se remettre en question et à se confronter au réel, ce qui non seulement ne le désacralise pas, mais permet également d’affronter la question de l’impérialisme français de manière plus réfléchie – et également plus frontale.

Dans la suite des deux premiers, avec un héros misogyne et raciste loyal à Giscard…

Le premier volet, Le Caire : Nid d’Espions, envoyait Hubert Bonisseur de la Bath en Égypte lutter contre les nazis et “sécuriser le Proche-Orient”. Le deuxième, Rio Ne Répond Plus, l’envoyait au Brésil récupérer une liste d’anciens collabos pendant l’Occupation, une liste où se situait d’ailleurs son supérieur direct. La satire qui fait la marque de la série était omniprésente, l’idée étant de tourner en dérision la Vieille France, conservatrice, coloniale, anti-sociale, nationaliste, réactionnaire, que représentait intégralement, à lui tout seul, OSS 117. Par la satire, nous décalions la réalité – les situations étant quasiment toujours farfelues – pour mieux la mettre en évidence, la dénonciation se faisant quasiment toute seule par le rire.

Rien qu’au scénario de ce troisième volet, il était évident que cette formule ne pouvait pas marcher comme telle. Au début de l’intrigue, Hubert est terrifié. Nous sommes en 1981, les communistes sont aux portes du pouvoir, les chars de l’Armée Rouge n’attendent que de défiler sur les Champs-Élysées, et la guerre civile gronde. Il espère que le patron, Valéry Giscard-d’Estaing, tienne bon, et que les français fassent le bon choix. Au sein de la DGSE, il est dans sa bulle réactionnaire, misogyne et coloniale, il s’y sent bien. Cela ne durera pas. Non seulement le jeune OSS 1001 viendra le défier dans sa propre masculinité, mais en plus il finira par se faire capturer par les rebelles et leur cheffe, Zéphyrine Bamba, qui le forcera à sortir de ses délires idéologiques. 

Loin d’affronter des anciens nazis, ces derniers sont absolument absents de cet épisode, et sont remplacés en tant qu’ennemis principaux par des rebelles “vaguement communistes” voulant renverser leur dictateur. Si l’Armée Rouge est certes présente en tout début de film, sublimée par ses Chœurs à la bande-son, le film s’éloigne rapidement du conflit Est-Ouest à grande échelle – ce qui aurait pu facilement être trop caricatural à la longue – pour se concentrer sur ses répercussions locales au sein d’un pays africain non-nommé sous le joug du dictateur Koudjo Sangawe Bamba. C’est là que sera cette fois envoyé OSS 117 pour aider Sangawe Bamba à remporter les élections soi-disantes libres et démocratiques supervisées par la France, dont le résultat est en réalité déjà décidé. D’ailleurs, ses supérieurs insistent bien sur ce point, car sinon ils devront “organiser un putsch, puis un autre, et cela coûterait cher à la France quand même”.

Avec un tel postulat de base, difficile donc de traiter ces sujets avec la même satire, la même fable, que les précédents : Hubert est beaucoup trop proche des conséquences de l’impérialisme français sur le continent africain pour continuer à “jouer au con”, rire bêtement et tirer théâtralement sur des ennemis farfelus. Là, les ennemis sont des démocrates, des indépendantistes anti-impérialistes. C’est pourquoi, ici, le cœur du film est la remise en question d’Hubert quant à ses principes. Il n’est donc plus juste une façade vide satirique de la France, mais devient au fur et à mesure du film un vrai personnage, qui évolue et qui ne se contente pas juste d’aller d’un point A à un point B en sauvant la France au passage. Cette évolution offre de nouvelles perspectives.

.… à un héros se remettant en cause et parlant du “sens de l’histoire”

Le film traite donc de trois thèmes extrêmement politisés : le racisme, la relation d’Hubert aux femmes – donc la misogynie – et le colonialisme. En ce qui concerne le premier, nous pouvons déplorer qu’il ne soit prétexte qu’à montrer à quel point Hubert est ignorant et stupide, les travailleurs de l’hôtel où il loge et les marchands du coin retournant son propre racisme contre lui sans même qu’il s’en rende compte. Cela ne va malheureusement pas plus loin. Sur son rapport aux femmes, il doit affronter son âge et la concurrence de Pierre Niney qui revendique que, désormais, “avoir une part de féminité plaît aux femmes”. Hubert se rend alors compte à quel point il mystifie sa propre masculinité, et donc sa propre sexualité, peut-être autant qu’il mystifie et essentialise les femmes selon la vision misogyne qu’il entretient. La manière dont il résoudra son conflit intérieur, non sans l’aide de  Zéphyrine Bamba, est par moments très drôle et surprenante, par moments assez convenue et presque ennuyeuse. Tout ce conflit, bien qu’intéressant dans sa démarche, souffre malgré tout de rester assez dans les normes consensuelles actuelles sur les questions du genre. Pierre Niney, malgré sa “nouvelle masculinité” n’est au final qu’un énième arrogant et prétentieux dont la valeur auto-attribuée dépend du nombre de femmes avec qui il couche, dans la droite lignée d’Hubert au final. Sans doute l’absence de réflexion sur ce que sont réellement la masculinité et la féminité en sont la cause.

Finalement, il n’y a que la question impérialiste qui soit véritablement traitée jusqu’au bout. Si la première moitié du film n’est presque qu’une succession de sketchs, souvent bien trouvés, dynamiques et rafraîchissants, mais redondants à la longue, la deuxième mettra en scène une réflexion politique très “premier degré”, à la différence des deux précédents volets qui restaient toujours dans la satire. Par exemple, vient une scène entre Zéphira et Hubert où ils échangeront sur ce qu’est la liberté, et de pourquoi les habitants de ce pays africain non-nommé en sont privés : ils ne parlent pas seulement de liberté d’expression, de droit de vote, d’idées. Ils parlent du fait d’avoir une voiture, de ne pas s’enliser dans la pauvreté, de pouvoir se déplacer à bon vouloir. Au final, quelque chose de très concret et matériel, qui participera à convaincre Hubert à se remettre en question. Et cette remise en question, d’ailleurs, est très particulière : elle est progressiste aussi bien qu’elle est réactionnaire, tout comme OSS 117 et son conservatisme sont parfois filmés avec dérision et parfois avec affection. Il s’extrait alors de l’archétype qu’il était, de la transcendance qu’il faisait avec la Vieille France, il s’en détache un court instant. Pendant ce court instant, il se surprendra à parler avec le dictateur Bamba du sens de l’histoire – celui de la liberté des peuples -, de justice, de la répartition des richesses, dans un discours pas si mauvais, avec conviction. Cela ne durera malheureusement pas, et après un moment il revient à son rôle initial et fait corps à nouveau avec ce qui fait la France réactionnaire et impérialiste. Un des derniers plans du film, extrêmement fort et suggestif, dans lequel il rit de manière insolente avec un dictateur qui se fout de lui, entouré par trois sosies gisants morts par terre, est révélateur de la politique d’alors de la France en Afrique, qui place et remplace les dictateurs les uns après les autres et qui fait tout pour empêcher la liberté des peuples opprimés afin de défendre ses intérêts économiques. Le lent dé-zoom ainsi que l’atmosphère fataliste de ce moment font la force artistique et politique de ce plan – et de ce film.

En traitant donc le personnage avec plus de premier degré, en lui offrant l’espace d’un instant la possibilité d’une “rédemption”, ou juste d’une remise en question, le film permet de traiter directement – mais non de manière moins noble qu’avec la satire – de l’impérialisme français en Afrique. Peut-être plus que les deux premiers volets, cet OSS 117 a des choses à dire, bien que ce soit parfois de manière contradictoire, et semble vouloir – avec des indices posés un peu partout – lancer des suites dans une franchise de récits et d’aventures de cet espion français qui, contrairement à celles de son homologue britannique OO7, dénoncent l’impérialisme de l’État dont elles proviennent.

Au final, OSS 117 – Alerte Rouge en Afrique Noire, est indubitablement un bon film, servis par des acteurs talentueux bien dirigés, doté d’une musique de bonne facture composée par Nicolas Bedos et Anne-Sophie Versnaeyen, d’une mise en scène élégante et dynamique, avec un humour qui garde une certaine finesse et un propos politique sur l’impérialisme qui vaut la peine d’être tenu et entendu. La question qui se doit d’être posée est : vaut-il la peine de faire d’OSS 117 un héros de premier degré s’éloignant de la satire pour être plus directement dans le réel, dans le concret ? L’avenir, et ses éventuelles suites, nous le dirons certainement.


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