Depuis le 2 septembre, date de l’ouverture du procès des viols de de Mazan, les médias n’ont cessé de souligner “l’effrayante banalité” des 51 co-accusés, peinant à leur trouver un point commun. Une constante pourtant relie ces hommes : la pornocriminalité. Véritable catalyseur de ce procès, la pornographie le sous-tend et y est omniprésente. Elle a influencé chaque étape de cette affaire : du recrutement des violeurs à la mise en scène de chaque viol subit par Gisèle Pélicot, en passant par les arguments de défense évoquant un simple jeu sexuel teinté de somnophilie..
Ce procès, qui résonne bien au-delà des frontières françaises, doit être pour nous l’occasion de questionner le poids de la pornographie dans la culture du viol, à nous interroger sur la manière dont elle façonne des violeurs, et perpétue la vision d’un désir féminin ininterrompu, même dans le refus, même dans l’inconscience.
Les violeurs soumis à un “casting”
De 2011 à 2020, c’est sur le site coco.fr que Dominique Pélicot recrutait les violeurs de Gisèle Pélicot, sur un forum dédié et nommé “à son insu”. C’est sur ce même site que Dominique Pélicot proposait explicitement aux hommes de venir violer sa femme endormie.
Nombreux ont été les accusés utilisant le narratif issu du porno pour minimiser les actes commis pendant 9 ans sur Gisèle Pélicot. Prenons l’exemple de Jérôme V : au cours de sa défense, il avoue son addiction à la pornographie, et notammment de contenu “somnophile” (fantasme dans lequel un homme est attiré par une femme inconsciente, endormie, alcoolisée ou droguée). De même pour Karim S., 40 ans, affirmant qu’il croyait que Gisèle Pélicot était consentante malgré son état d’endormissement et ses ronflements, expliquant qu’il croyait à un “délire de somnophilie”, ou encore Charly A., l’un des plus jeunes des co-accusés, lui même addicte à la pornographie, se défend et nie avoir violé intentionnellement Gisèle Pélicot prétextant avoir suivi un scénario, comme dans le porno qu’il consomme régulièrement.
En effet, ces scénarios, on les retrouve par centaines sur les plateformes dédiées et ce en seulement quelques secondes, combien même certaines ont été au coeur de scandales, à l’instar de la plateforme PornHub qui avait, en 2020, déclaré avoir supprimé 60% de son contenu comportant des mots-clefs comme “sleep” ou “viol”. Pourtant, il suffit de quelques recherches avec des synonymes comme “somnolente” ou “asleep” pour trouver des vidéos où l’on retrouve des femmes endormies subissant des viols, avec ou sans pénétration.
Le dernier rapport du haut conseil à l’égalité “Pornocriminalité : mettons fin à l’impunité de l’industrie pornographique” est pourtant clair, les seuls mots de “fantasme” ou de “sexualité”, notamment utilisés par les accusés de Mazan dans leur défense mais également par une multitude d’homme accusés de violences sexistes et sexuelles suffisent pour invisibiliser des actes de haine sexistes. Le rapport alerte également sur le lien entre passage à l’acte et reproduction dans la vie réelle des contenus pornographiques consommés, selon une méta-analyse menée dans 7 pays différents. Par exemple, en 2019, sur PornHub, la vidéo qui cumulait le plus de visionnage était un viol collectif, au même moment ou en Espagne les magistrats signalait une hausse significative des viols en réunion suivant le schéma de la dite vidéo. Ce passage à l’acte représente une part significative dans les cas de violences conjugales, où 58 % des femmes interrogées dont le partenaire consommait de la pornographie estiment que cela a eu une incidence sur les agressions dont elles ont été victimes.
L’affaire Mazan est une démonstration du rôle central que joue la pornographie dans la culture du viol. Elle façonne une société où les hommes sont éduqués à croire que derrière un “non” se cache un “oui”, banalisant les violences sexuelles.
Pour combattre cela, il est temps de prendre de véritables mesures en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, comme la mise en place effectives des cours d’éducation à la vie sexuelle et affective dans toutes les écoles, et réaffirmer l’interdiction de la marchandisation du corps des femmes sous toutes ses formes.