Reprise des cours au collège, la parole aux assistants d’éducation

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Reprise des cours au collège, la parole aux assistants d’éducation

Tous les trois sont assistants d’éducation, dans trois académies différentes. Elle et ils ont fait le choix de l’anonymat pour raconter leur quotidien entre le confinement et la reprise très partielles du collège.

Quelle est la situation de votre académie et de l’établissement dans lequel vous travaillez ?

A : À Paris, les établissements ont d’abord rouvert pour les personnels, comme la région était en “zone rouge”. Dans mon établissement, les personnels qui sont venus depuis le 18 mai étaient surtout les personnels techniques, administratifs, de direction et de vie scolaire. Ponctuellement, des enseignants et quelques élèves passaient. C’est qu’à partir du jeudi 4 juin que le collège accueille les classes de 6e et de 5e.

M-A : Peu de temps après que le Président de la République ait annoncé que les cours reprendraient progressivement à partir de 18 mai, les élus de l’Assemblée de Corse ont voté pour reporter la réouverture au mois de septembre, étant les propriétaires des murs des établissements et les employeurs des agents d’entretien, ils ont fait pression sur la Préfecture et le rectorat qui eux militent toujours pour une reprise avant la fin de l’année scolaire. Ce qui a poussé le Préfet et la Rectrice à déposer une plainte au tribunal administratif contre la Collectivité de Corse. En réalité la décision de cette dernière semble éminemment politique, puisque les élus nationalistes majoritaires à l’Assemblée de Corse se sont depuis le début de la pandémie opposés aux décisions gouvernementales en promouvant des solutions locales en accord avec leurs idéaux. De fait depuis la fin du déconfinement, nous effectuons essentiellement du travail administratif : photocopies, coups de téléphone afin d’effectuer le suivi des élèves et bien évidemment nous commençons dore et déjà à organiser la prochaine rentrée des classes. 

M : Là où je travaille, on est en zone verte donc les établissements scolaires ont rouvert. Je travaille dans un collège les élèves ont donc repris les cours le 18 mai.

Quel est votre avis sur le protocole mis en place ? Selon vous ce protocole prend-il en compte les conditions de travail des Assistants d’Éducation ?

A : On a un sens giratoire pour circuler dans l’établissement, et il n’y a pas de stationnement de groupes d’élèves dans la cour de récréation. Ça oblige les élèves à faire des trajets assez peu intuitifs. Chaque classe reste normalement dans une salle de classe en demi-groupe, même pendant les pauses. On accueille chaque niveau un jour sur deux. Et chaque demi-groupe vient une semaine le matin et une autre l’après-midi. Le premier jour on a eu à peine 60 élèves au collège. On nous a donné 4 masques chacun. Enfin, sans service de restauration, les personnels de vie scolaire, qui eux restent toute la journée dans l’établissement et pas une demi-journée comme les élèves, n’ont pas de solution de restauration collective, ce qui peut coûter un peu plus cher que d’habitude.

M-A : Du fait de la situation tendue entre le rectorat et l’Assemblée de Corse, nous autres AED sommes restés dans le flou le plus total, et ce jusqu’au mercredi 13 mai, lorsque la rectrice a finalement annoncé qu’elle était obligée de se plier aux décisions des élus de la CDC (Collectivité de Corse), je sais que pendant cette période, les chefs d’établissements travaillaient pour préparer la reprise, sans doute en se basant sur le protocole sanitaire de déconfinement, mais nous n’en avons pas été tenus informés, sans doute parce que les chances de reprendre étaient alors assez maigres. 

M : Un sondage a été envoyé aux parents via Pronote pour savoirs s’ils compter renvoyer leurs enfants au collège, les AED ont ensuite dû appeler ceux qui n’avaient pas encore répondu afin de connaître leurs réponses (seulement pour les classes de 6e et 5e) et remplir un Google Doc. Après cela la direction de l’établissement a sondé le personnel pour savoir qui reprendrait ou non, les professeurs à risque continuant à donner des cours à distances. Un nouvel emploi du temps pour les personnels et les élèves a été mis en place. En tant que personne à risque, je travaille chez moi, j’ai Pronote sur mon ordinateur et j’appelle les familles des absents, les 3e pour leurs orientations, etc. Je pense que la direction a essayé de faire au mieux pour obéir aux annonces du gouvernement, sans pour autant être d’accord avec. Les élèves en présentiel ne doivent pas apprendre de nouvelles choses, en réalité on est réellement sûr de la garderie pour permettre aux parents de travailler. C’est d’ailleurs pour cela que l’on a fait rentrer les plus petits en premiers (6e et 5e), car des enfants de 4e ou de 3e ça se garde tout seul. Le protocole ne prend pas vraiment en compte nos conditions de travail, quand on a dû le lire, on s’est tous dit que les personnes qui ont écrit ça n’ont jamais travaillé dans un collège et encore moins dans un collège avec un public défavorisé. Ils ont pondu un papier histoire d’envoyer quelque chose aux établissements, mais sans vraiment se soucier de la réalité du terrain et des établissements. 

M, as-tu des retours des conditions de travail de tes collègues AED ? 

M : Au début les collègues étaient contents de reprendre, de revoir les élèves et de sortir un peu, mais ils ont vite déchanté. On leur demande d’être statique sur une chaise dans le couloir au cas où un élève a besoin d’aller aux toilettes, les déplacements des élèves sont « militarisé » pour qu’ils ne se croisent pas dans les couloirs, ils viennent pour des créneaux de 1h30 de cours, ensuite ils ont une pause dans la classe et ça repart sur 1h30 de cours sans changer de salle, ce sont les profs qui doivent aller de salle en salle. Sur les 625 élèves qu’on a d’ordinaire il n’y en a plus que 60 et sur les 7 AED plus que 5 vu que nous sommes deux à travailler de chez nous. La semaine prochaine on a les retours des livres et les réinscriptions ça devrait bouger un peu plus, d’autant que le gouvernement a annoncé la reprise des 4e et 3e donc on va devoir rappeler toutes les familles. Les collègues sont un peu déprimés, ils espèrent voir des jours meilleurs au travail. 

Avez-vous travaillé durant le confinement ? Si oui, quelles ont été vos missions durant cette période ?

A : Pas pendant le confinement, mais pendant la période de trois semaines de reprise du travail avant l’accueil des élèves. On a eu des missions administratives : du rappel téléphonique de parents ou d’enseignants, du tri de documents, du report de notes, de la mise sous pli. En fait, ça concernait surtout l’orientation des élèves de 3e et les copies de brevet blanc qui étaient en suspens. Finalement, on n’a pas du tout fait nos heures de travail, car il y avait peu de choses à faire.

M-A : Mes collègues et moi-même avons dû travailler à quelques reprises durant la période de confinement afin de réaliser des tâches administratives et de faciliter la continuité pédagogique des élèves, en fournissant notamment du matériel numérique aux enfants qui n’en possédaient pas. Une somme importante a été débloquée par la Collectivité de Corse a été débloquée afin de fournir des tablettes numériques aux enfants qui en avaient besoin afin de suivre leurs cours. Durant les quelques fois où j’ai été travailler, un protocole sanitaire assez strict a été mis en place et l’établissement a également mis à notre disposition des masques, du gel hydroalcoolique et des gants. 

M : Oui nous avons travaillé pendant le confinement, mais c’était un peu compliqué, au début nous devions appeler toutes les familles d’élèves en difficulté pour prendre des nouvelles, voir si le confinement se passait bien, comment ils le vivaient. Mais comme le gouvernement n’était pas clair dans ses annonces nous n’avons pas pu le faire, car les parents nous auraient posé des questions auxquels nous n’aurions pas su répondre. Nous avons chacun effectué de petites missions à distance, appeler les entreprises pour les stages de 3e pour leur préciser que les élèves ne viendront pas en stage, appeler les familles des 6e 5e (après l’annonce de reprise) pour savoir si leurs enfants revenaient au collège, etc.. 

Quel est votre avis personnel sur cette reprise assez tardive ? Comment voyez-vous la rentrée de l’année scolaire 2020 / 2021 ?

A : Je ne suis pas convaincu par l’utilité de faire revenir les élèves pendant 4 semaines à peine deux demi-journées par semaine. Je vois mal comment une ambiance d’apprentissage peut être remise en place sur une période aussi courte et au début de l’été. J’espère qu’on ne les fait pas revenir pour de la garderie.  Comment allons-nous les occuper pendant les heures où nous les surveillerons (si un enseignant est absent entre deux cours) ? Peut-être en leur demandant de faire leurs devoirs si jamais ils en ont. Avec les enseignants, des choses sont mises en place, mais ils doivent aussi gérer les cours à distance. Est-ce qu’on prépare efficacement la rentrée de septembre en accueillant les élèves en juin ? Il doit pourtant y avoir du travail pour permettre une rentrée qui recrée un peu d’égalité.

M-A : Je dois avouer que je suis un peu mitigé. Idéalement il aurait fallu reprendre les cours dès que possible, notamment pour permettre à certains élèves, déjà en difficulté avant le début de la pandémie de ne pas perdre le fil. Néanmoins j’ai le sentiment que le système mis en place par le Gouvernement est cruellement défaillant et qu’il ne permet pas une rentrée réellement égalitaire. Ainsi si j’ai conscience que le rôle de l’école est essentiel, j’ai surtout la sensation qu’aujourd’hui Jean-Michel Blanquer tente tant bien que mal de sauver les meubles. Ne vaudrait-il mieux pas préparer une rentrée optimale pour le mois de septembre, qui espérons-le ne reposera pas sur le principe de volontariat ? J’espère également que malgré leurs prises de position, les élus nationalistes corses qui ont fait en sorte de maintenir les établissements scolaires joueront le jeu et qu’ils prépareront au mieux le retour des élèves au mois de septembre. Tout ceci me paraît essentiel plus qu’essentiel, afin de permettre aux collégiens de reprendre les cours, mais aussi aux personnels éducatifs de recommencer sereinement le travail. 

M : C’est compliqué de se positionner tant il y a de facteurs différents, moi j’étais plutôt contre la reprise, car nous avons déployé tant d’efforts pour avoir moins de 10% de nos élèves dans l’établissement qui ne vont pas apprendre de nouvelles choses, ils ont été mis là juste pour permettre à leurs parents de reprendre le travail. Mais nous avons aussi des élèves qui s’ils restent chez eux peuvent être mis en danger avec une situation familiale parfois violente. Pour la reprise en septembre, on en parle pas mal avec les collègues, on s’interroge. On essaie de se persuader que ça ne sera plus comme avant histoire de ne pas être surpris par les changements, sans pour autant en savoir plus. On a du mal à s’imaginer comment notre collège en surcharge, qui a une capacité inférieure au nombre d’élèves inscrits, va pouvoir continuer à faire appliquer les gestes barrières si les élèves sont tous collés les uns aux autres dans les couloirs. Comment vont-ils faire pour se laver les mains régulièrement alors que nous n’avons pas assez de toilettes pour le nombre d’élèves présents dans l’établissement ? Très sincèrement on a du mal à s’imaginer la reprise 2020/2021. 

Quel est votre avis sur le système de rentrée scolaire basée sur le volontariat mis en place par le gouvernement et Jean-Michel Blanquer ?

A : C’est incompréhensible. L’école est obligatoire. Une de nos missions est de suivre la présence des élèves en cours. Là, quelle est la règle pour les absences ? C’est au cas par cas ? Les élèves peuvent-ils manquer les cours qu’ils aiment le moins et venir seulement quand ils veulent ? On dirait que c’est à la carte.

M-A : Pour moi elle est purement scandaleuse. En effet elle place les parents devant un choix moral assez nauséabond, l’école est obligatoire, pour toutes et tous. Avec cette décision, enseignants, assistants d’éducation et CPE sont obligés de faire du cas par cas. D’autant plus qu’on a la sensation que ce faux volontariat ne privilégie que ceux qui ont la possibilité de télétravailler ou de faire garder leurs enfants. Encore une fois, le gouvernement semble faire le choix de laisser de côté toute une partie de la population. 

M : C’est toujours mieux que d’y renvoyer tout le monde vu les conditions sanitaires bancales de mon collège (pas de masque pour les élèves ils doivent apporter le leur et le manque de toilettes dans l’établissement.) Mais ce n’est pas une réponse adaptée à la crise sanitaire, et cela pose une question d’égalité d’accès à l’enseignement. Nous avons des élèves qui n’ont ni ordinateur ni internet et qui ne reprennent pas les cours, des polycopiés leur sont envoyés par la poste, mais ils ont déjà beaucoup de retard par rapport aux autres élèves. 

Selon vous faudrait-il profiter de cette période de revendications, pour donner plus souvent la parole aux assistants d’éducations, qui sont nombreux, mais très rarement écoutés, notamment dans les médias ?

A : En tout cas, ça pose le débat sur le rôle de l’école et du coup sur le rôle des assistants d’éducation : font-ils de la garderie ou ont-ils un rôle pédagogique à part entière ? Souvent, les assistants d’éducation sont très peu considérés, même par les autres personnels de l’établissement, qui connaissent en général assez mal nos missions et les difficultés qu’on rencontre au travail. En effet, dans les médias on parle rarement des assistants d’éducation, même quand il y a des grèves dans l’éducation nationale ou que les collèges rouvrent dans des conditions compliquées. Pourtant, les assistants d’éducation sont souvent les principaux interlocuteurs des élèves au collège, en particulier ceux et celles qui ont des difficultés scolaires ou familiales.

M-A : Si bien souvent les représentants syndicaux représentent tous les personnels de l’enseignement, AED y compris, j’ai vu au bout de cinq années de pionnicat que beaucoup de professeurs ignoraient le travail essentiel mené par les surveillants, mais également par les CPE. Ils ont un rôle stratégique essentiel, font la liaison entre les parents, les enseignants, la direction… et ils sont parfois en première ligne. Le fait que les assistants d’éducation n’aient pas le droit à la prime REP est pour moi une aberration, en effet il est déjà arrivé que des collègues soient menacés par des parents, des élèves, parfois même des anciens élèves en colère, hors refuser de verser cette prime REP c’est ne pas prendre en compte les risques que prennent les AED au quotidien. Beaucoup pensent qu’il ne s’agit pas d’un véritable métier, notamment à cause du fait que les surveillants sont essentiellement des étudiants ou des gens préparant des concours, malgré cela l’effort est bien réel et trop souvent méconnu. De plus les assistants d’éducation, sont bien souvent les premiers confidents des élèves, ce sont eux qui peuvent prévenir les CPE ou les assistantes sociales, si un enfant a des difficultés familiales, s’il est victime de harcèlement, etc. J’aimerais notamment que l’on permette aux AED qui le souhaitent de pouvoir effectuer cette fonction plus de six années, comme c’est le cas actuellement et de faire en sorte qu’ils touchent des primes, comme la prime REP par exemple.

 M : Bien sûr que oui ! Il faudrait inviter de vraies personnes de terrain, des gens qui connaissent le boulot d’AED et non des experts en chemise qui n’ont jamais mis les pieds dans un établissement scolaire depuis qu’ils sont adultes. Les AED sont la barrière entre les parents et les enseignants, ils connaissent mieux les problématiques liées aux situations familiales des élèves, être AED c’est savoir se faire écouter et respecter des élèves tout en sachant écouter et respecter les élèves, c’est un juste milieu à viser pour avoir la confiance des ados. À l’extérieur, nous ne sommes vus que comme des jeunes qui ont choisi ce métier pour se faire un peu d’argent de poche alors que nous avons de vrais passionnés par l’éducation. Cela fait trois ans que je suis dans mon collège et nous avons vu une vraie évolution en interne, nous sommes beaucoup plus écoutés que ce soit par la direction ou les professeurs et c’est une vraie bataille de terrain à mener au quotidien.


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