LA RÉVOLUTION RUSSE ET LA FRANCE

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LA RÉVOLUTION RUSSE ET LA FRANCE

La Révolution Russe eut des conséquences bien au-delà du territoire de l’empire tsariste. En France, son impact retentissant, marque encore le paysage politique.

Il y a cent ans, alors que d’un bout à l’autre de l’Europe des millions d’hommes s’affrontaient sur les champs de bataille et que la mort d’un grand nombre d’entre-eux était la rançon de fortunes scandaleuses édifiées dans le sang et dans la boue, tandis que l’avenir semblait une guerre interminable, un coup de tonnerre ébranla le vieux monde.

Ce coup de tonnerre ce fut la révolution 1917 et, parti de Petrograd, il fut entendu jusqu’en France et partout à travers le monde.

« On meurt pour des industriels »

En 1914, en France comme ailleurs les sociaux-démocrates avaient promis de lancer la grève générale pour s’opposer à la guerre si elle advenait. En France comme ailleurs ils avaient trahi leur promesse.

Des responsables de la SFIO, parti socialiste unifié fondé par Jaurès, prenaient place parmis les gouvernements qu’ils avaient désignés quelques mois plus tôt comme bourgeois. Ils ont approuvé la guerre, approuvé les réquisitions et approuvé les exécutions de déserteurs.

Quelques voix, minoritaires, s’y opposent mais la plupart des révolutionnaires autoproclamés d’hier siègent à côté de ceux qu’ils désignaient comme leurs ennemis. Et s’ils y siègent c’est pour mieux pousser les ouvriers Français à combattre leurs camarades Allemands, Autrichiens ou Ottomans. Ils encouragent celles et ceux qui restent à la ferme ou à l’usine à produire toujours plus pour mieux participer à l’effort de guerre et surtout à taire leurs revendications sociales.

Tandis que le peuple se serre la ceinture (au mieux) ou meurt au front (au pire), la grande bourgeoisie maintient son niveau de vie et fait des affaires. Louis Renault fait fortune en vendant à l’armée française munitions, chars de combat et avions tandis que Siemens fait la même chose côté allemand.

Quelques mois avant de devenir Prix Nobel de littérature Anatole France écrira dans l’Humanité à propos de cette période « On croit mourir pour la patrie; on meurt pour des industriels ».

« Au dessus de la mêlée »

A la fin de l’été 1915 les révolutionnaires, pacifistes et minoritaires, se retrouvent en terrain neutre : la Suisse, dans la petite ville de Zimmerwald. Sur ce petit balcon au dessus de l’Europe en guerre se retrouvent Lénine pour la Russie, Rosa Luxemburg pour la Pologne, Alphonse Meirrheim et Albert Bourderon pour la France ainsi que des délégués de 8 autres pays issus des deux camps ou neutres.

Ces délégués venus de toute l’Europe se mettent, « au dessus de la mêlée » pour reprendre le titre d’un appel de Romain Roland qui lui aussi est alors en Suisse. Celui-ci recevra d’ailleurs quelques mois plus tard le Prix Nobel de littérature et, comme son ami Anatole France, sera plus tard un fidèle compagnon de route des communistes.

Les pacifistes de Zimmerwald sortent de leur rencontre avec un manifeste de lutte contre la guerre à propos de laquelle il est dit :

« Cette lutte est la lutte pour la liberté, pour la fraternité des peuples, pour le socialisme. Il faut entreprendre cette lutte pour la paix, pour la paix sans annexions ni indemnités de guerre.

Mais une telle paix n’est possible qu’à condition de condamner toute pensée de violation des droits et des libertés des peuples. Elle ne doit conduire ni à l’occupation de pays entiers, ni à des annexions partielles.

Pas d’annexion, ni avouée ni masquée, pas plus qu’un assujettissement économique qui, en raison de la perte de l’autonomie politique qu’il entraîne, devient encore plus intolérable. Le droit des peuples de disposer d’eux mêmes doit être le fondement inébranlable dans l’ordre des rapports de nation à nation. »

Le bruit du tonnerre

Finalement les préconisations de leur manifeste, si elles ne rencontrent qu’un faible écho dans les masses européennes, se trouveront mises en place dans le coin de l’Europe où on s’y attendait le moins.

En mars le Tsar, de droit divin, est renversé en Russie et en novembre ce sont les bolcheviks, et leur chef Lénine, qui prennent le pouvoir. Contre l’avis de la droite et des sociaux-démocrates, contre une partie des bolcheviks aussi (menés par Trotski), le nouveau gouvernement russe signe la paix avec l’Allemagne.

Le coût est terrible pour le pays, il est amputé du quart de sa population et du tiers de ses territoires européens, mais la paix revient pour un temps à l’Est. La nouvelle est un immense espoir pour des millions de poilus et leurs familles en Europe. Les mesures sociales et les nouveaux droits ouverts en sont un pour des centaines de millions de travailleurs à travers le monde.

Dans tous les camps des soldats refusent de se battre, quelques uns, isolés, tentent d’initier des grèves, se mutinent. Dans les tranchées on chante La Chanson de Craonne dont les paroles dénoncent une guerre qui ne se fait qu’au bénéfice de la bourgeoisie :

« Au lieu de s’cacher, tous ces embusqués
F’raient mieux d’monter aux tranchées
Pour défendr’ leurs biens, car nous n’avons rien,
Nous autr’s, les pauvr’s purotins.  
Tous les camarades sont enterrés là,
Pour défendr’ les biens de ces messieurs-là ».

Les protestataires seront fusillés pour l’exemple, avec l’assentiment des sociaux-démocrates.

L’heure des clarifications

Pour les élites social-démocrates de France le retentissement de la Révolution russe est surtout un phénomène menaçant. Alors qu’ils avaient relativement soutenu l’instauration d’une république dans l’Empire russe, ils dénoncent vigoureusement les communistes locaux qui prennent le pouvoir en octobre.

Leur journal dénonce « un coup d’Etat » qui aurait été réalisé par « des maximalistes ». Les modérés du parti dit « radical » affirment eux que les bolcheviks sont des « misérables [qui] ne sont pas autre chose que des agents de l’ennemi ». La droite ne sera guère plus sévère vis-à-vis du nouveau régime russe.

Les dirigeants bolcheviks espèrent ardemment que leur Révolution s’étende à l’Europe occidentale et industrialisée. Isolés, ils ont peur que la bourgeoisie, voire les tsaristes, ne reprennent en main le destin du pays.

Ils sont entendus et le retour à la paix facilitera la propagation de leur message. L’Alsace-Moselle, qui vient d’être reconquise par la France, se soulève en novembre et fonde l’éphémère République des Conseils d’Alsace-Loraine.

En janvier 1919 ce sont les ouvriers et les soldats allemands qui se révoltent, c’est la Révolution spartakiste. La Bavière s’érige en République des conseils de Bavière et adopte le drapeau rouge.

Au même moment dans la toute jeune Hongrie, le communiste Béla Kun tente exactement la même expérience, les Slovènes leur emboitent le pas, tandis qu’une République populaire d’Ukraine occidentale est alors déjà en place depuis quelques mois… La plupart de ces expériences sont écrasées rapidement par des coalitions internationales et les révolutionnaires identifiés sont exécutés, souvent sans procès, par les réactionnaires locaux.

Dès 1918 une coalition de quatorze Etats, dont la France, attaque d’ailleurs la jeune république socialiste russe tout en finançant les armées réactionnaires locales. Les sociaux-démocrates de la SFIO ont quitté le gouvernement dit « d’Union sacrée » mais la direction de la SFIO approuve cette attaque.

La Révolution russe sera pourtant la seule à survivre à ces interventions mais n’en sortira qu’après cinq ans de combats sur son sol qui auront succédé aux trois ans pendant lesquels la Russie était impliquée dans la Guerre mondiale…

« Après la pluie le temps est beau » ?

En France en 1919, le 1er mai 500 000 manifestants défilent à Paris en dépit des avancées sociales obtenues avec les lois sur les conventions collectives et la journée de 8 heures. La CGT triple ses effectifs en un an et a 1 million et demi d’adhérents.

Dans l’année, on compte 2 206 grèves et 1 160 000 grévistes en France. Si les idées communistes s’enracinent chez les militants de la SFIO et dans la population en général, les bolchevisme fait encore peur. 1919 est une année d’élections et la droite invente la figure de « l’homme au couteau entre les dents », elle gagne les élections et écrase l’opposition par 433 sièges contre 180.

A la SFIO c’est l’heure des comptes : tandis que la direction refuse d’encourager à la grève générale et repousse toujours plus loin la perspective révolutionnaire (« elle viendra à son heure historique » dit Léon Blum), la base veut du renouveau.

En février 1920 se tient un Congrès à Strasbourg, 92% des délégués votent le départ de l’Internationale socialiste, ils pensent qu’elle a trahi ses promesses de paix.

Les Jeunesses socialistes tiennent eux congrès à l’automne 1920 à Paris, dans la salle de la Bellevilloise. Le 1er novembre (par 5 443 voix contre 1 958 et 350 abstentions)  ils optent pour l’adhésion à l’Internationale communiste des jeunes et se transforment donc en Jeunesse communiste.

Le jour de Noël leurs ainés de la SFIO convoquent à nouveau leur Congrès pour cinq jours, le 30 décembre ils votent leur adhésion au communisme. Ils deviennent vite la Section française de l’internationale communiste (SFIC) qui deviendra plus tard le Parti communiste français.

La minorité, restée social-démocrate, quitte le parti et se regroupe autour de Léon Blum et de Paul Faure. Elle récupère le sigle « SFIO », laissé libre par le changement de nom de son ancien parti et créait ce qui deviendra bien plus tard le Parti socialiste. Un siècle de rapprochements et de conflits n’auront pas suffit à combler la faille fondée par la Grande guerre et la Révolution d’octobre 1917.

 


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