Féminisme et écologie : approche matérialiste

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Féminisme et écologie : approche matérialiste

Le terme écoféminisme connaît un regain de popularité pour désigner des mouvements ou des concepts. Le texte suivant tente d’y apporter une  définition pour le rendre mobilisable dans une approche marxiste, déjà développée par des chercheuses mais qu’il est nécessaire de rappeler et de renouveler en France.

Le dérèglement climatique est aujourd’hui un enjeu de la plus haute importance. Les conséquences d’un capitalisme ravageur sur la planète sont désormais préoccupantes, et ne peuvent plus être ignorées. La force politique repose sur la capacité théorique et pratique à croiser les luttes dans une conception matérialiste et dialectique. C’est pourquoi s’interroger sur la place des femmes dans le combat écologiste est intéressant, en s’attardant sur l’écoféminisme, concept critiqué et critiquable, mais qui peut être mobilisé dans une analyse marxiste.

La lutte écologique : un combat intersectionnel et intrinsèquement féministe 

Les femmes représentent aujourd’hui 70 % de la population mondiale la plus pauvre, et c’est sur elles que repose la charge de la gestion du foyer. Dans les pays les plus touchés par le dérèglement climatique, les femmes sont donc les plus impactées, et ce pour plusieurs raisons, justifiées par la précarité et le patriarcat. On peut citer la problématique de l’eau dans certains endroits, qu’il faut aller chercher à pied. Un rôle qui incombe aux femmes qui subissent donc directement l’éloignement des points d’eau dû aux sécheresses. Il y a aussi un impact sur leur santé : par exemple, elles sont les plus touchées par la pollution par perturbateurs endocriniens, notamment lors de la grossesse. Dans un avenir proche, le dérèglement climatique entraînera d’importantes vagues de migration. Les femmes sont les plus vulnérables dans ce cadre, victimes de violences ou de traite. 

Autre élément préoccupant : le risque de mourir dans une catastrophe naturelle est plus élevé pour les femmes que pour les hommes. Cela s’explique par la construction sociale patriarcale : on n’apprend pas aux petites filles à survivre physiquement, on les préserve du moindre danger et on ne les encourage pas à expérimenter leur environnement. De ce fait, elles n’acquièrent pas les mêmes capacités de survie. 

La lutte contre le changement climatique peut donc être appréhendée sous le prisme de luttes féministes intersectionnelles, car c’est un bouleversement qui touche d’autant plus les femmes, et plus particulièrement celles vivant dans les pays dominés et les plus précaires. 


Par « intersectionnelle » il faut comprendre qu’il s’agit d’une lutte qui regrouperait les individus subissant plusieurs oppressions stratifiées.


Les luttes féministes et écologistes peuvent être menées conjointement, et l’écoféminisme apparaît alors comme un concept mobilisable dans cette perspective. Apparu à la conjoncture du féminisme, de l’écologisme, de l’anticapitalisme et de l’altermondialisme, l’écoféminisme est un concept existant depuis les années 1960, mais nommé seulement en 1974 par Françoise d’Eaubonne.

Définition et critique de l’écoféminisme

L’écoféminisme apparaît intéressant dans une optique intersectionnelle et émancipatrice. Il s’agit de concevoir les similarités entre la domination des hommes sur les femmes et celle des humains sur la nature. 

Ce concept est mobilisé par plusieurs courants. En Inde ou au Kenya, l’action de ces groupes non mixtes est basée sur une volonté de survie « primaire », reposant entre les mains des femmes, qui comme on l’a vu auparavant sont en charge du bon fonctionnement du foyer familial et social. Il s’agit d’une contre-attaque organisée contre des phénomènes comme la déforestation, qui menacent directement la communauté. 

À la même période, aux États-Unis et en Angleterre, c’est une autre forme de lutte qui se distingue, axée essentiellement sur l’antinucléaire militaire. 

Si le féminisme se divise en de multiples théories, il en est de même pour l’écoféminisme. Les courants sont souvent déterminés par la géographie : les Françaises, les Américaines, les Indiennes ou les Sénégalaises ne sont pas confrontées aux mêmes enjeux sociétaux, féministes ou climatiques, mais aussi par des positionnements idéologiques parfois extrêmement différents, voire opposés, dans l’analyse des rapports de domination (femme/homme, classes sociales, humain/nature), des modes d’action (violente ou non) ou encore des liens entre les femmes et la nature. Toutes ces théories diffèrent aussi suivant les concepts auxquels elles font appel, et croisent souvent des pensées issues de différentes analyses marxistes, libérales, décroissantes… C’est sur cet aspect que le concept de l’écoféminisme peut être critiqué.

Les contradictions essentialistes de l’écoféminisme

La principale critique à formuler à l’égard de l’écoféminisme est l’utilisation de l’approche essentialiste. Cette dernière se base sur l’idée erronée selon laquelle il existerait une nature féminine, ce qui va à l’encontre de tout enjeu de construction sociale. Ce courant détermine les deux genres, en opposition et en complémentarité, avec des caractéristiques féminines et masculines. Versant dangereux, car niant la subjectivité matérielle des genres, la notion même de genre, et de fait la transidentité. Aussi, cela conforte les individus dans des classes biologiques diamétralement opposées, allant à l’encontre des rapports de classes sociales au sein même des genres : la Femme est définie en opposition et en complémentarité par rapport à l’Homme. Le féminisme essentialiste accorde une grande importance à la fonction maternelle des femmes, ce qui découle rapidement sur une comparaison avec la Terre, mère nourricière de tout ce qui vit. En comparaison avec une autre lutte, cela équivaudrait à poser qu’il existe des races biologiques pour expliquer la lutte antiraciste. Dans les deux cas, cela revient à déterminer le militantisme et la lutte, en se plaçant comme opposé complémentaire aux hommes blancs, et de fait en justifiant biologiquement les oppressions.et en s’épargnant des démarches théoriques. La lutte est alors entièrement guidée par le ressenti individuel et s’affranchit de toute notion collective de construction sociale. La femme serait nature et l’homme culture. 

Ainsi, une critique commune faite à ce courant et à l’écoféminisme est d’accorder un supposé lien spirituelle et inéluctable entre les femmes et la nature. Ainsi, les femmes sauraient d’instinct soigner, élever, préserver, telle la Nature protectrice du vivant. 

Si l’essentialisme croit en cette connexion Femme/Nature, une approche matérialiste de l’écoféminisme est nettement plus juste. L’enjeu du lien entre genre féminin et environnement est à appréhender comme une construction sociale historique. Rappelons-nous : les femmes sont en charge depuis des millénaires de la préservation du foyer, impliquant ainsi un certain lien avec leur environnement naturel dans une perspective de survie. La société patriarcale étant ce qu’elle est, ces compétences acquises sont rapidement devenues, dans l’esprit collectif, innées. 

Aussi, certaines écoféministes reprennent ce cliché pour en faire un étendard de leur lutte, couplant cela avec la symbolique des sorcières, persécutées pour leurs connaissances de la médecine, de la nature, mais avant tout pour leur genre. Cette reprise de cette image entraîne une confusion dans la lutte féministe. S’approprier une figure définie par le patriarcat pour commettre un féminicide de masse ne permet pas de définir un message clair. 

La lutte féministe doit être définie par des moyens et des actions menant à l’émancipation de toutes, et cela n’est pas permis par cette approche mystique et fermée par des cadres définis par le patriarcat. Critiquer l’essentialisme, parfois inhérent à l’écoféminisme, est essentiel, car cela pose l’importance de l’analyse des constructions sociales comme meilleur moyen de lutte contre les systèmes d’oppression.

Marxisme et écoféminisme : pour un dépassement et une dialectique des luttes

Envisager le concept d’écoféminisme au prisme du matérialisme dialectique est tout à fait possible. 

D’un point de vue historique, chaque courant est en effet guidé par les conditions matérielles d’existence de femmes qui prennent conscience du changement radical de leur environnement, même si ce constat se matérialise de différentes manières, avec différentes approches. Il y a une prise de conscience à la fois des mécanismes de domination des hommes sur les femmes, mais aussi de l’imminence proche d’un danger climatique qui les impactera de plein fouet. C’est un état de convergence important, puisqu’il y a une émancipation politique des femmes, qui prennent les rênes de la gestion de leur environnement, dont la modification leur impose de nouvelles charges. 

Revenons tout de même un instant sur les propos de Karl Marx. Pour rappel, le matérialisme dialectique consiste en une détermination de la conscience des individus d’après leurs conditions matérielles d’existence. Le philosophe définit l’oppression sur la classe ouvrière par la bourgeoisie, des femmes par les hommes et de la nature par l’humanité par le mode d’organisation de la production. 

L’écoféminisme est un concept duquel découlent de réelles revendications, une volonté d’implication, mais aussi une mise en garde des militantes : la société capitaliste et patriarcale n’est pas viable et mène inexorablement à un échec humain, socio-économique et climatique. À partir de là, il doit être établi une lutte collective amenant à une révolution de tous les pans de la société, mais également permettant à l’émancipation de chacun et chacune. Le but n’étant pas de tomber dans un postmodernisme libéral et individualiste, cette lutte est un combat de tous les plans, où chaque revendication, qu’elle soit anticapitaliste, féministe, antiraciste ou écologiste, doit être transversale et structurante. 

L’écoféminisme constructiviste est donc un bon exemple de l’importance de cette articulation des luttes, construites en fonction des conditions matérielles d’existence, et non en fonction de supposés biologiques, et qui débouchent sur une théorisation nécessaire du combat à mener, plus qu’urgent d’aujourd’hui. Si les recherches sur l’écoféminisme sont encore balbutiantes, elles nous permettent de repenser le travail intersectionnel entre les luttes pour en déterminer des schémas théoriques et pratiques similaires, contre l’aliénation et les rapports de domination sociaux.


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