Le 23 juillet, la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu à l’unanimité un avis consultatif qui fera date sur les obligations des États en matière climatique. Saisie par des États insulaires menacés par le changement climatique, elle établit pour la première fois que des obligations juridiques pèsent sur les États au-delà de leurs engagements volontaires. Cet avis ouvre la voie à une possible mise en cause de la responsabilité des États pollueurs, ainsi qu’à une réparation en faveur des États victimes.
Un avis qui fait date
Saisie en mars 2023 par l’Assemblée générale de l’ONU, à l’initiative d’États insulaires, notamment le Vanuatu dès 2019, la Cour a rendu à l’unanimité un avis consultatif précisant les obligations climatiques des États. Un texte qui suscite à la fois espoirs et interrogations.
La question posée à la Cour portait sur les obligations juridiques qui incombent aux États, ainsi que sur les conséquences en cas d’actions ou d’omissions ayant causé des dommages significatifs liés au réchauffement climatique.
Sur les obligations, la CIJ estime que les traités relatifs aux changements climatiques « imposent aux États parties des obligations contraignantes ». Mais elle va plus loin : selon elle, « le droit international coutumier impose aux États de prévenir les dommages significatifs à l’environnement » et de « mettre en œuvre tous les moyens à leur disposition » pour éviter que leurs activités ne causent de tels dommages. Les États ont également « le devoir de coopérer de bonne foi » à cette fin.
La Cour invoque également le droit international des droits de l’homme, dont les États ont « l’obligation de respecter et de garantir la jouissance effective en prenant les mesures nécessaires » de protection du climat et de l’environnement.
Changement de paradigme
C’est là le premier apport de cet avis : un véritable changement de paradigme. La Cour établit que des obligations juridiques préexistent aux engagements volontaires contenus dans les traités. À l’échelle internationale, le réchauffement climatique n’est plus seulement un enjeu politique : il devient une question de droits fondamentaux.
Côté conséquences, la CIJ précise que la violation de ces obligations constitue « un fait internationalement illicite engageant la responsabilité de l’État concerné ». Cela peut entraîner des obligations de cessation des comportements incriminés, de garanties de non-répétition, mais surtout, « l’octroi d’une réparation intégrale aux États lésés sous forme de restitution, d’indemnisation et de satisfaction ».
C’est le second apport majeur : ouvrir la voie à la mise en jeu de la responsabilité des États pollueurs et à une réparation intégrale pour les victimes du changement climatique, causé par l’inaction ou les actions fautives des États.
Quelle portée ?
Cet avis, rendu à l’unanimité des 15 juges de la CIJ, possède toute l’autorité morale et juridique d’une décision émanant de la principale juridiction onusienne. Ce n’est que la cinquième fois depuis sa création en 1945 qu’un avis est adopté à l’unanimité. Dans un monde où les symboles comptent, ce consensus est un signal fort.
Les interprétations données par la CIJ sur plusieurs conventions internationales, en particulier la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), pourraient influencer ses décisions futures, y compris dans le cadre de véritables contentieux.
Cet avis pourrait aussi nourrir les juges du monde entier, alors que les contentieux climatiques se multiplient, visant tant les États que les entreprises. En particulier, les demandes indemnitaires pourraient s’appuyer sur ce socle juridique renforcé. La « judiciarisation » croissante du changement climatique apparaît comme la conséquence directe de l’inaction politique.
Les États les plus vulnérables pourraient ainsi disposer d’un argument supplémentaire de poids dans les futures négociations internationales.
Entre droit et politique
Cependant, la portée effective de cet avis dépendra largement de la volonté politique des États et de leurs juridictions internes. Les avis de la CIJ n’ont pas de valeur contraignante : ils sont des réponses juridiques à des questions posées, sans force obligatoire. Dans un contexte où l’objectif de limiter le réchauffement à +1,5 °C semble hors d’atteinte, et où l’écologie subit un retour de bâton dans plusieurs pays occidentaux, sa mise en œuvre paraît incertaine.
Cet avis ne permet pas d’engager dès maintenant des actions en justice contre des États. Le droit international, par nature, s’inscrit dans un temps long — il a fallu six ans et demi pour obtenir ce simple avis consultatif. Un temps parfois rallongé par les États eux-mêmes : en juillet, Israël a ainsi obtenu six mois supplémentaires pour préparer sa défense face aux accusations sud-africaines de génocide à Gaza, déposées il y a un an et demi.
Entre espoir et interrogations
En somme, bien que cet avis possède un poids symbolique et juridique considérable, sa portée reste incertaine. Car les États souverains demeurent les seuls véritables sujets du droit international. Reste l’espoir qu’il alimente et accélère les contentieux climatiques dans le monde entier, et qu’il renforce la position des pays les plus vulnérables lors des futures négociations climatiques.