L’écologie de Marx 1/2 : penser la crise de la biosphère

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L’écologie de Marx 1/2 : penser la crise de la biosphère

Bien trop souvent dans l’écologie politique, une critique revient sur la pensée de Karl Marx. À la fois jugée archaïque, elle serait productiviste et prométhéenne. Preuve à l’appui, les occurrences à la Nature dans le Manifeste du parti communiste ou encore dans les Grundrisse. 

Pourtant, depuis les années 2000, avec les publications de textes dans les éditions allemandes Marx-Engels-Gesamtausgabe, une relecture de Marx oblige d’attester “d’intuitions écologiques” (Bensaïd). Encore plus à l’horizon de l’événement anthropologique de la crise de la Biosphère (Vernadsky). Sur beaucoup d’aspects, il n’est pas étonnant, en réalité, pour les personnes qui connaissent l’histoire de l’Allemagne, de voir émerger le problème de l’écologie chez Marx. 

Problème de la science Newtonien chez Kant, philosophie de la nature (Naturphilosophie) chez Schelling, émergence de la nature comme objet de beauté, naissance de l’agronomie ou encore le terme lui-même d’écologie : penser la nature indique la naissance de la société moderne (Saito). 

Cette relecture atteste d’autant elle-même, à nous “les modernes”, l’influence sur l’ensemble de “la gauche marxiste” du problème existentielle de l’écologie, comme en témoigne le courant de “l’écosocialisme” ou bien le récent ouvrage vendu à 500 000 exemplaires au Japon de Kohei Saito proposant “un communisme de la décroissance” traduit récemment en anglais : Marx in the Anthropocene, toward a degrowth communism. 

En conséquence, la relecture de Marx apparaît encore moins comme un hasard, elle répond à une nécessité anthropologique de répondre de manière convaincante à la crise actuelle. 

Si bien que peut nous dire Marx aujourd’hui ? 

L’archéologie de la pensée de Marx 

Marx n’a pas écrit d’ouvrage à proprement parler sur la question. Mais, de sa thèse doctorale à ses écrits tardifs, nous pouvons trouver une étude de Marx du problème à l’horizon du capitalisme et de sa constitution. 

À vrai dire, il aurait été plutôt étonnant que Marx n’est à jamais de traiter de cette question. Alessandro Stanziani, directeur d’étude l’EHESS souligne que c’est la terre et la question de sa maitrise qui est l’un des cœurs d’études de l’économie politique. Et, plus généralement, dans la constitution du capitalisme au cours du XIXᵉ siècle. 

Cette étude est la conséquence des problématiques que rencontre le capitalisme et des transformations des régimes de la propriété : le passage des sociétés féodales à l’économie capitaliste. Cette crise par l’instauration des rapports modernes de production n’est pas sans effet sur le berceau théorique dont née Marx. On peut penser à la réception de la science Newtonien chez Kant ou la philosophie de la nature chez Schelling et Hegel. 

C’est avec beaucoup de méfiance que de nombreux intellectuels, poètes, lettrés allemands auprès de la modernité scientifique, du rationalisme économique que se structure l’Allemagne. Dans le même temps, d’une fascination sur les progrès démocratique, technique et sociale auprès des sociétés bourgeoises et de leur grande révolution. 

Ainsi, l’intérêt de Marx se porte sur cette philosophie issue de ce contexte et il étudie en 1837 la philosophie de Bacon et obtient un intérêt pour la philosophie épicurienne. Marx retient de la philosophie d’Épicure une porte de sortie matérialiste et athée. Par-delà un conservatisme hégélien et la création d’une religion civile. La force d’Épicure selon Marx est non pas de prouver l’inexistence des Dieux, ni le fait qu’elle soit hors-sol, mais une expression de l’atome sous une forme spécifique. 

Cette dialectique entre l’homme et la nature peut cependant être masquée. Après la rédaction de sa thèse en 1841, Marx s’engage dans le journalisme dans la lutte de la mystification des rapports réels. Il écrit en 1843 dans Contribution à la critique de La philosophie du droit d’Hegel :  “La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique”. 

Dans un article de la Gazette Rhénane sur la question d’une nouvelle loi visant à incriminer le vol de ramille et de bois, Marx écrit : “Les idoles de bois (hölzernen Götzen) l’emportent et l’on immole les victimes humaines (Menschenopfer fallen) !” Marx, au-delà de la polémique, observe une transformation juridique pour les paysans qui conduit à une grande misère pour ceci. Pour éviter de blâmer le coupable, l’état prussien mystifie sa politique : “Quant aux délibérations de la Diète, leur publication est si étriquée, si éparpillée et si apocryphe qu’elle ressemble à une mystification”.

Il devient alors de plus en plus évident pour Marx que quelque chose d’important est  en train de bouleverser les sociétés et les paysans. Ce nouveau rapport conduit à une transformation brutale du producteur avec la terre.

La négation de la “personnalité” 

Avec les manuscrits de 1844, Marx entend bien mettre le doigt sur les causes de la crise actuel, conduisant des paysans dans l’indigence, la misère absolue et les forçant à partir dans les villes dans l’espoir de gagner suffisamment pour survivre. C’est à cette période que Marx se familiarise avec l’économie politique de Smith. Fort de ses travaux, Marx voit dans la crise le résultat de contradiction issue de l’ancien rapport à la nature et la marchandisation de la terre. Il remarque comme le souligne Kohei Saito que la société féodale se fonde la négation de “la personnalité” du serf conduisant à la conservation de celui-ci de “son unité avec les conditions objectives de sa production et de la reproduction” *. 

Le paradoxe est que , par cette aliénation, le serf est encore relativement autonome dans sa vie quotidienne, culturelle et cosmogonie. Mais, le nouveau rapport moderne qui rend le serf comme personnalité juridique et morale conduit à la rupture du métabolisme entre le serf avec la terre. Ils deviennent des objets de trafics. Ainsi, la liberté de la gemütlich paysanne apporte une grande pauvreté qui conduit à des disettes : « La réalisation du travail se révèle être à tel point une perte de réalité que l’ouvrier perd sa réalité jusqu’à en mourir de faim » . Car précisément, « la nature est son corps avec lequel il doit maintenir un processus constant pour ne pas mourir ». 

Ainsi, Marx rappelle qu’une société fondée sur le long terme doit passer par une reconnaissance que la nature est le « corps inorganique » de l’homme. Et, que cette unité est la condition même du communisme qui ne peut être qu’un « naturalisme accompli ». 


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