Sélection et recherche ne vont pas de pair

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Sélection et recherche ne vont pas de pair

Une « loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne ». La formule d’Antoine Petit, directeur du CNRS, avait fait polémique en 2020, au moment de la Loi de Programmation pluriannuelle de la Recherche. 

Il est tout de même regrettable pour le titulaire d’un doctorat en science, agrégé de mathématiques, de se méprendre à ce point sur la théorie formulée par Darwin. Remettons donc les choses au clair. 

Rendons à Darwin ce qui appartient à Darwin

Le darwinisme social prétend pouvoir appliquer la théorie de l’évolution aux sociétés humaines. Ainsi, il prend le terme “sélection” au sens “lutte pour la survie”, ce qui n’est pas le cas de la théorie de Darwin. 

En effet, au sens scientifique/biologique du terme, la sélection est le succès différentiel des variants pour contribuer à la génération suivante. En d’autres termes, les chances pour un individu de pouvoir se reproduire et que sa descendance soit en capacité de se reproduire à son tour. 

C’est ce que Darwin définit lorsqu’il parle de “sélection” dans sa théorie de l’évolution. Il n’est donc à aucun moment question de lutte pour la survie ou de compétition. 

La théorie du darwinisme social a ainsi totalement réinventé la définition du terme sélection. Non, la LPPR n’est pas une réforme darwinienne, de même que les autres réformes de l’ESR. 

Le secteur de la recherche, la lutte au plus compétitif

Lorsqu’on parle de sélection dans l’enseignement supérieur, on pense automatiquement à Parcoursup et Mon Master. Là encore, on est bien loin de la définition de Darwin. 

Toujours est-il que cette sélection commence avant même l’entrée dans le supérieur, et continue jusqu’au doctorat, à travers les lois et réformes mises en place par les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Elle est amplifiée notamment par la “culture de l’excellence” qui vise à gagner quelques places dans les grands classements internationaux comme le classement de Shanghai. 

Mais la sélection ne s’arrête pas avec le doctorat. Nous en revenons à la LPPR. Une des mesures proposée par cette dernière est la remise en cause du plafond de 192 h de cours par an au motif que les enseignants-chercheurs les plus compétitifs pourront ainsi se consacrer à leurs recherches tandis que d’autres assureront les cours.

En plus d’être profondément inégalitaire et profondément non-darwinienne, n’en déplaise à M. Petit, la LPPR a un effet néfaste sur la recherche française. Preuves chiffrées à l’appui : l’accroissement relatif des publications françaises depuis le début du siècle est passé de 40 % entre 2000 et 2015 à 10 % entre 2015 et 2021. Au niveau international, la production scientifique française se situait en 2020 au 9ᵉ rang mondial, en baisse de trois places depuis les années 2000. De quoi remettre en question l’efficacité de cette loi censée propulser la France à l’élite de la recherche au niveau mondial. Si “l’inégalité” est bien présente, la mise en concurrence des chercheurs n’est sans doute pas des plus “vertueux”. 

À l’inverse, le recrutement de 15 000 enseignants-chercheurs et le retour à la titularisation comme norme, permettrait aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs d’avoir du temps pour se consacrer à leurs recherches et aux étudiants d’avoir accès à des cours de qualité. Il serait également nécessaire de donner plus de moyens à la recherche publique civile en augmentant les dotations de base des laboratoires pour permettre une meilleure productivité, tant qualitative que quantitative, de la recherche. 

La recherche n’est pas une compétition, mais bien un travail collectif qui permet à l’humanité de faire face aux problèmes auxquels elle est confrontée. 


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