Et si les dirigeants politiques devenaient des influenceurs ?

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Et si les dirigeants politiques devenaient des influenceurs ?

Et si les dirigeants politiques devenaient des influenceurs ? 

Réflexion sur la nouvelle communication du gouvernement, entre publicité, fuite du journalisme professionnel et mépris de la jeunesse.

Le président Emmanuel Macron, après avoir lui-même lancé un défi aux deux vidéastes Mcfly et Carlito, a finit par tourner une vidéo, à l’Elysée, de “concours d’anecdote” avec eux la semaine dernière. Cette vidéo a atteint les 13 millions de vues en une semaine seulement. Mais est-ce normal pour un président de participer à ce genre de vidéo ? 

Des biais cachés

En tout cas, cela commence à être de plus en plus fréquent. Si la télé avait créé des émissions du genre, en prenant les élus de la République en dehors de leurs fonctions d’acteurs politiques et en créant une intimité avec eux, YouTube et les réseaux sociaux en général en font maintenant quelque chose de réellement ordinaire. 

En effet, Mcfly et Carlito ne sont pas les seuls à avoir pris part à la publicité politique véhiculée insidieusement sur les réseaux sociaux en faveur du gouvernement. Enjoy Phoenix, Tibo Inshape, Sundy Jules, Enzo tais toi !… Beaucoup ont y vu une occasion d’augmenter (et pour certains de recevoir une heureuse compensation financière) leurs audiences en réalisant une vidéo aux airs bon enfant. 

Ces vidéastes se définissent le plus souvent comme apartisans ou apolitiques, et affirment faire un simple retour d’expérience en échangeant parfois avec nos dirigeants sur des sujets sociétaux. C’est le cas de Tibo Inshape qui, avec sa série de vidéos sur le service national universel (SNU), a participé à le légitimer politiquement auprès des jeunes, sous couvert de “test” de ce nouveau dispositif. 

Mais cette irruption des dirigeants politiques dans ce qui s’apparente à la première source d’information des jeunes par le biais d’influenceurs reconnus et identifiés est loin d’être sans conséquence. Si on peut interroger le niveau de conscience des youtubeurs lorsqu’ils tournent ce genre de vidéo, pour le gouvernement le plan de communication est clair : toucher les jeunes en s’affichant près d’influenceurs qu’ils admirent et en qui ils ont confiance. 

C’est un plan de communication, car, contrairement aux dires de beaucoup de Youtubers, dans ces vidéos, il est forcément question de politique. Lorsque EnjoyPhoenix interroge Brune Poirson ou lorsque Emmanuel Macron joue au jeu des anecdotes avec Mcfly et Carlito le but est simple : devenir intime avec la jeunesse, et montrer que l’on est finalement comme tout le monde, à l’écoute de la réalité de la jeunesse.

Une volonté de fuir le journalisme professionnel 

Mais le problème, c’est que ce jeu a lieu sans aucun journaliste politique, sans recul critique, sans contextualisation, sans problématisation… Le message de la personnalité politique est pris pour argent comptant, et son interlocuteur est réduit à un outil de légitimation. Dans ce genre de vidéo, les politiques ont le champ libre pour faire passer le message qu’ils veulent. Le métiers de journalistes politique ne s’improvise pas, et comme souvent les youtubeurs n’ont pas les compétences pour les contrer politiquement, comme un journaliste ou un responsable d’organisation politique aurait pu le faire, il est facile pour eux de développer leur idée sans aucun obstacle de pensée contradictoire sur leur chemin. 

En effet, depuis le début de son mandat, Emmanuel Macron se tient le plus à l’écart possible de monde journalistique. Il avait même choqué tous les médias lorsqu’il avait annoncé la suppression de la salle de presse du Palais. Si ce projet a été finalement annulé par le gouvernement, les journalistes l’avaient pris comme une tentative d’écarter les acteurs du journalisme le plus loin possible du pouvoir exécutif. Et ses quelques sorties injurieuses à propos de certains médias ou de certains journalistes ont aussi construit son image publique de méfiance et de mépris vis-à- vis des médias traditionnels. 

En investissant largement sa communication dans les réseaux sociaux, il s’est affranchi des intermédiaires politiques et donc de la contradiction. Il fait passer la contradiction comme un mal de la démocratie en laissant entendre aux journalistes qu’ils sont incompétents, ne s’intéressent pas aux problématiques de fond, et qu’ils sont trop critiques vis-à- vis de son action politique. 

Et quand il remplace les journalistes par des Youtubeurs, qui ne sont pas professionnels de la parole politique, il a libre champs pour parler largement à la jeunesse sans aucune critique de son bilan politique. Comme les jeunes se sont massivement détournés des moyens de communication habituels de l’exécutif (télé, radio, journaux, sites ministériels…), il faut que le gouvernement aille les chercher ailleurs. Et cela, Gabriel Attal ou Emmanuel Macron l’ont bien compris. L’échéance présidentielle arrive, et le soutien de la jeunesse est un atout fort pour le président sortant. 

Le mépris de la jeunesse 

Mais quel bilan fera notre président de son mandat pour la jeunesse ? Nous pourrions le résumer en deux mots : sélection et précarité. Baisse des APL, réforme du BAC, Parcoursup, loi travail, hausse des frais pour les étudiants étrangers… Tout était là pour précariser nos formations, nos contrats et nos parcours de vie. Sans compter la gestion libérale de la crise faite par notre gouvernement, qui a laissée la jeunesse sur le bas côté tout au long de la crise. 

Si les influenceurs ont les bonnes grâces du gouvernement, les organisations de jeunesse critiques du gouvernement qui se sont battues pour que les jeunes puissent rêver de l’avenir qu’ils veulent sont méprisées. Comme le montre la rencontre de Frédérique Vidal  avec l’organisation “Les jeunes avec Macron” à propos de la situation vécue par les étudiants pendant les deux derniers confinements. Ici encore, on ne se confronte pas à la critique et à la colère des jeunes, mais on montre patte blanche en faisant croire à une concertation réelle de la jeunesse. 

Le gouvernement montre donc son incapacité à écouter les revendications des jeunes, tout en les utilisant, par le biais d’influenceurs reconnus par la jeunesse, comme chair à voter pour les prochaines élections à venir.


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