“J’ai assuré Amina qu’elle ne dormirait pas dehors cette nuit”

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“J’ai assuré Amina qu’elle ne dormirait pas dehors cette nuit”

Témoignage de Sylvain Corre, professeur au lycée Rabelais de Saint-Brieuc a pendant plusieurs semaines hébergé et accompagné une famille de migrants albanais dans son parcours pour s’installer dans les meilleures conditions possibles et les aider face à l’administration.

Dans quelles conditions as-tu été confronté à la situation de cette famille ?

J’avais appris par le CPE du lycée qu’une jeune élève de terminale, Amina, n’avait plus de logement. Je savais qu’elle était hébergée à l’hôtel mais qu’au moment où j’étais prévenu, elle et le reste de sa famille n’auraient plus de logement pour la nuit suivante.

Comment as-tu réagi lorsque tu as appris cette nouvelle ?

J’ai cherché à la contacter pour en savoir plus sur sa situation et elle a donc accepté de me rencontrer. Nous nous sommes rencontrés dans la journée et elle m’a expliqué qu’elle était réfugiée. Des demandes d’asiles avaient été formulées pour toute la famille mais étaient rejetées. L’association Coalia qui les hébergeaient jusque-là leur avait demandé de quitter les lieux, en plein hiver.

Une personne leur avait donné de quoi se payer une nuit d’hôtel, mais pas plus.

Quelles solutions as-tu trouvé dans cette situation d’urgence ?

Tout d’abord, j’ai assuré Amina qu’elle ne dormirait pas dehors cette nuit. Puis on a décidé avec d’autres collègues du lycée de faire jouer la solidarité. On a donc organisé une souscription afin de payer plusieurs nuits d’hôtel à cette famille. Quant à Amina, elle a pu être logée gracieusement à l’internat du lycée.

Jusqu’au jour où j’ai appris qu’une collègue du collège du petit frère d’Amina avait décidé de les loger pour le week-end.

C’est à ce moment-là que tu as décidé de les héberger à ton tour ?

En effet, on a repris contact et après ce weekend chez cette collègue, j’ai proposé de les loger en alternance. Nous étions trois professeurs à les loger chacun notre tour et je les avais chez moi, une semaine sur trois.

Et concernant la situation administrative de cette famille sans-papier, est-ce qu’un soutien s’est organisé ?

Tout d’abord, il faut savoir que la famille est sous le coup d’une obligation de quitter le territoire Français (OQTF). J’ai donc fait tout un tas de démarches auprès des associations, des avocats, etc. pour aider à résoudre cette situation.

Comment ont réagi les élèves du lycée face à la situation d’Amina ?

Les élèves du lycée ont fini par savoir qu’Amina avait reçu une OQTF. On a échangé avec d’autres collègues et des responsable du CVL pour organiser une manifestation de soutien. La manifestation a eu beaucoup de succès puisque 500 lycéens sont allés jusqu’à la préfecture, pour soutenir leur camarade. Il y a eu par la suite trois autres rassemblements de soutien. C’était un très bel élan de solidarité, très spontané.

Comment la préfecture s’est-elle positionnée suite à ces rassemblements ?

Elle a pu nous recevoir en délégation mais ça n’a malheureusement pas suffit à faire bouger les lignes. Un subordonné du préfet nous a expliqué qu’il comprenait que c’était difficile pour la famille mais qu’il fallait faire respecter la loi… D’autant plus que, l’Albanie étant considérée comme un État sûr par les autorités françaises, cela rend quasiment impossible les demandes d’asile, alors que la famille y était en grand danger.

Quelles leçons tirerais-tu de cette situation à laquelle tu as été confronté avec cette famille ?

Depuis mon implication avec cette famille, j’ai pu découvrir via des discussions avec des associations et autres organismes le sort qui était réservé à toutes les familles. On voit bien qu’il n’y a aucun accueil digne de ce nom réservé aux migrants de la part de l’État. Des ordres d’expulsions sont donnés par la préfecture dans le but de laisser pourrir la situation.

Et comment cette famille vit les choses en France ?

Cette famille a quitté l’Albanie suite à des dangers multiples et vit aujourd’hui avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête jour et nuit.

Ils vivent avec la peur de se faire arrêter n’importe quand, dans la rue, dans un bus, afin de se faire reconduire dans un pays dans lequel il est impensable pour eux de retourner. C’est une peur qu’on ne peut pas imaginer.

Ils sont aussi coupés de leur famille restée en Albanie. C’est donc une situation très difficile psychologiquement.

Le gouvernement aime employer le terme de crise migratoire, est-ce que nous ne sommes pas plutôt dans le cas d’une crise de l’accueil ?

Et bien je crois qu’on est véritablement dans un problème d’accueil. On a des réfugiés qui viennent en France avec une véritable envie de s’intégrer à la collectivité, parfois de faire des études, de s’insérer professionnellement comme c’est le cas pour cette famille que j’ai hébergée. Mais faute de régularisation, on assiste à un pourrissement de la situation avec aucune perspective en vue.

Qu’est-ce que tu attendrais des pouvoirs publics dans cette période difficile pour les migrants ?

Il faut d’abord prendre en compte la situation de crise que vivent les migrants et migrantes qui bien souvent fuient pour sauver leur vie. Ces personnes sont déracinées et ont bien souvent vécue des moments très difficiles. Nous nous devons donc d’accueillir dignement ces populations, créer des logements pour répondre aux demandes d’urgence, le temps de laisser ces personnes s’installer dans de bonnes conditions. Mais à l’heure qu’il est, nous en sommes bien loin.


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