L’État abandonne-t-il les jeunes amérindiens de Guyane ?

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L’État abandonne-t-il les jeunes amérindiens de Guyane ?

Depuis un peu plus d’une vingtaine d’années, la Guyane française est le théâtre de nombreux suicides dans les communautés amérindiennes. C’est particulièrement le cas chez les jeunes. Isolement géographique, abandon par les services publics, génération en perte de repères culturels… autant de causes qui poussent à la réflexion quant à l’action de l’État français face à ce grave phénomène.

Un constat glaçant dépassant les records les plus macabres

Les chiffres sont là : les suicides seraient huit à dix fois supérieurs chez les populations amérindiennes que chez le reste des populations guyanaises ainsi qu’environ huit fois plus élevés que dans l’entièreté de la France métropolitaine. Dans le village de Trois-Sauts, au bord du fleuve Oyapock, les suicides auraient atteint un ratio de 113 cas pour 100 000 personnes là où ils atteignaient un ratio de 16 cas pour 100 000 personnes en métropole sur l’année 2012 (Outre-mer la 1ère).

Il semblerait que ce phénomène concerne particulièrement trois peuples autochtones de Guyane : les Wayampis du Haut-Oyapock (Est), les Wayanas du Haut-Maroni (Ouest) et les Tékos présents sur les rives de ces deux fleuves, ces peuples faisant partie des populations les plus isolés géographiquement des centres névralgiques de la Guyane.

Un rapport parlementaire et 37 propositions

En 2015, et à la suite d’une demande formulée par le Premier ministre de l’époque Manuel Valls, deux parlementaires, Aline Archimbaud, sénatrice écologiste de Seine-Saint-Denis, et Marie-Anne Chapdelaine, députée socialiste d’Ille-et-Vilaine, sont chargées de faire un rapport concernant le suicide des jeunes dans les communautés amérindiennes de Guyane.

Après avoir sillonné le territoire à la rencontre des populations, les deux parlementaires ont identifié plusieurs causes à la recrudescence du phénomène qu’elles listent dans leur rapport. Ces causes seraient multiples, englobant l’isolement géographique, le désœuvrement et l’absence de perspectives, mais également des causes intrafamiliales, identitaires, culturelles ainsi qu’économiques et sociales.

Pour donner suite à l’identification de ces causes, les parlementaires ont présenté une liste de 37 propositions dont 16 prioritaires. Celles-ci comprennent, entre autres, un renforcement du dispositif de prise en charge psychiatrique des personnes en crise suicidaire, un développement des politiques vigoureuses de lutte contre les addictions ainsi que le règlement de la question du logement des lycéens avec l’ouverture des internats le weekend. Le tout accompagné de travaux d’infrastructures urgents dans les villages permettant l’accès à l’eau potable, à l’électricité, au réseau téléphonique et à Internet.

Ces propositions sont ambitieuses et prometteuses, mais qu’en est-il de leur application ?

En 2023, une situation qui reste inchangée

En juillet 2022, Outre-mer la 1ère publie un nouvel article sur le sujet, l’occasion pour nous de faire état de l’amélioration de la situation des jeunes amérindiens et de l’avancement de la mise en place par l’Etat des propositions du rapport parlementaire de 2015. Or, nous apprenons dans cet article que début 2022, ce sont 4 suicides et 3 tentatives qui ont été recensés dans les communautés du Haut-Oyapock. De plus, entre fin 2018 et début 2019, 5 suicides et 13 tentatives en 3 mois avaient été relevés.

Concernant les propositions du rapport parlementaire, nous savons que le lycée de Cayenne a ouvert les portes de son internat le week-end et que l’Agence Régionale de Santé (ARS) copilote un programme, Bien-être des populations de l’intérieur (BEPI), depuis 2017. Cependant, une partie des villages amérindiens n’ont toujours pas accès ni à l’électricité ni à l’eau potable et encore moins à Internet. De plus, la question de l’isolement géographique reste un grave problème, les populations des villages amérindiens vivant dans des zones reculées de la forêt n’ayant toujours pas accès à des moyens de transport autres que la pirogue.

Le gouvernement, quant à lui, semble bien muet sur le sujet ; s’enfonçant visiblement dans une criante inaction face à ce phénomène massif dans les chiffres.    


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