Maroc, le Rif région révoltée

publié le dans
Maroc, le Rif région révoltée

Le 17 décembre 2010 à Ben Arous, l’humiliation et l’injustice extrêmes poussent un vendeur ambulant tunisien au suicide. Une triste fin d’un pauvre citoyen était suffisante pour déclencher la révolution tunisienne. 7 ans après, la même histoire se reproduit au nord du Maroc quand un vendeur de poissons a été broyé par un camion-benne en tentant de sauver sa marchandise saisie par la police.

Des manifestations se multiplient partout au Maroc, surtout au Rif, en solidarité avec le vendeur et contre l’injustice sociale. Après 6 mois de manifestations pacifiques, le conflit a pris un tournant majeur après l’arrestation de centaines d’activistes du mouvement protestataire appelé désormais “Hirak”.

Une région historiquement à part

Avant d’essayer de comprendre ce qui se passe au nord du Maroc, il est nécessaire de  s’intéresser un peu à l’histoire de la région du Rif, région au cœur des protestations.

Historiquement habité par des Berbères, des juifs et musulmans qui ont fuit l’Inquisition de l’Espagne médiévale, le Rif était depuis toujours un coin instable. D’un côté, les européens ont essayé de contrôler ce territoire rebelle, et de l’autre, le gouvernement marocain qui n’a jamais pu réellement exercer sa souveraineté sur la région.

En 1921, alors que le Maroc était sous protectorat français et espagnol, la république du Rif est née après avoir combattu les espagnols pour conserver son indépendance. C’est seulement en 1926, face à une triple alliance entre le gouvernement central marocain, la France et l’Espagne, que le Rif cède à la suite de batailles sanglantes, où les espagnols ont essayé pour la première fois des armes chimiques contre les rebelles.

En 1956, le Maroc obtient son indépendance, mais la région continue à être délibérément négligée. Aucun projet de développement socio-économique, une forte absence de services publics et aucun soucis n’est accordé aux établissements de santé et d’éducation. Une injustice alarmante et toute protestation a été réprimée dans le sang.

50 ans après l’indépendance, rien n’a vraiment changé pour la population de cette région, toujours pas d’université, un service de santé publique sévèrement dégradé, l’infrastructure date de la période coloniale et pas de perspectives de développement économique et social à l’horizon.

En outre de toutes ces conditions défavorables pour le développement de la région, s’ajoute le trafic de cannabis. La région du Rif est considérée comme première exportatrice mondiale de cannabis. Un trafic qui enrichit les barons de la drogue locaux mais qui bizarrement ne dérange pas les autorités marocaines. En effet, ces barons, sont souvent eux-mêmes des élus et des responsables politiques locaux. La corruption répandue et la complicité indirecte du gouvernement central, veillent à ce que la situation ne change jamais au Rif.

Un gouvernement marocain sourd aux revendications

Après la mort du vendeur de poissons, la population de la ville d’Al Hoceima a protesté pendant des mois, pour réclamer des droits fondamentaux :  travailler, étudier, et se soigner étaient le souci majeur de ce peuple tant négligé. Le régime marocain n’a pas pris les protestations au sérieux, le mot d’ordre était “ protestez tant que vous voulez, rien ne va changer” en misant sur l’essoufflement du mouvement.

6 mois après, les manifestations s’étendent de plus en plus. Des militants marocains, soutiennent le mouvement au Rif et commencent à se mobiliser en solidarité avec les riffans. Au Maroc et en Europe, la voix de la dignité se fait entendre.

La presse internationale a commencé à s’intéresser aux mobilisations du Rif, ceci a poussé le gouvernement à changer radicalement son discours de “Ce sont des casseurs financés par des pays étrangers” à “ Leurs demandes sont tout à fait raisonnables “. Et donc il annonce, tout d’un coup, des projets de développement dans la région, des écoles, des hôpitaux et surtout enfin une université.

Le leader du mouvement protestataire, Nasser Zefzafi, demande des garanties concrètes de la part du gouvernement, et reste attaché à la libération de tous les militants emprisonnés. L’État refuse et insiste sur l’indépendance de la justice, les manifestations continuent donc à sillonner toute la région du Rif dans une colère accentuée.

Les médias officiels du pays ne parlaient même pas de ce qui se passait au Rif pendant les 6 mois écoulés. Il a fallu attendre que l’AFP et Reuters fassent un reportage sur la situation, dénonçant  l’injustice de l’État pour que la chaîne publique en parle. Cette dernière, se mobilise alors à son tour, et attaque violemment le mouvement sortant de son mutisme, de la pure propagande d’État pour justifier la répression brutale qui se préparait en coulisses.

Une crispation croissante de la part du gouvernement marocain

Les riffans, ayant peur que les promesses du gouvernement soient comme celles d’avant, que du vent et du vide, continuent à protester. Ceci a engendré des centaines d’arrestations des figures importantes du mouvement, parmi eux Nasser Zefzafi, qui a lutté contre l’utilisation politique des mosquées pour discréditer le mouvement. Ce dernier a été poursuivi pour des lourdes accusations rien que pour le fait d’avoir protesté devant un imam.

Celia Ziani, artiste féministe, une des femmes les plus présentes au mouvement, est arrêtée à son tour. Les absurdités du gouvernement ne s’arrêtent pas là, Elmortada Iamrachen, un religieux qui a soutenu le soulèvement du Rif, est poursuivi pour terrorisme, alors qu’il est parmi les rares religieux marocains partisans de la laïcité et la coexistence pacifique entre les religions.

Pendant ce temps, le régime a tout essayé pour discréditer le mouvement. En réponse aux manifestations qui ont mobilisé des centaines de milliers de personnes partout dans le pays et même ailleurs en Europe, le régime a organisé “des contre-manifestations”. En effet, les autorités souvent payent des gens pour se rassembler et témoigner leur solidarité avec le roi et son gouvernement.

A Paris, comme dans beaucoup d’autres villes européennes, suite à l’appel de certains militants soutenant le mouvement, une manifestation a été organisée devant l’ambassade. Or, ces derniers ont été choqués par l’existence d’une contre-manifestation. Des militants qui étaient sur place ont assuré que l’ambassade a payé entre 100 et 500 euros à chaque manifestant pro-roi.

Le Maroc, un pays sclérosé et inégalitaire

Les racines du problème sont tout simplement liées au capitalisme dans le tiers monde et ce qu’il génère de pauvreté et d’injustice sociale, le roi possède une bonne partie des activités économiques dans le pays qu’il gouverne. Il concentre donc pas seulement les pouvoirs politiques mais aussi le pouvoir économique. Si Macron veut diriger la France comme on dirige une entreprise, le roi du Maroc fait ça depuis 17 ans et ça ne génère que de la misère.

Une autre cause de l’attitude du régime réside dans la fameuse formule: “si on cède pour des manifestants qui réclament leurs droits, tout le monde va se mobiliser”. Le Maroc compte aussi sur le soutien des puissances occidentales, surtout la France et les États unis, malgré les violations des droits de l’homme et les centaines d’arrestations. Car l’histoire montre que les États-Unis s’intéressent aux droits de l’homme, seulement quand il s’agit d’un pays non incliné à la volonté américaine, comme Cuba ou le Venezuela par exemple.

Au Maroc s’illustre d’une belle façon l’alliance entre le capitalisme sauvage et la tyrannie, masquée par des élections inutiles puisque celui qui regroupe presque tous les pouvoirs n’est jamais élu, et qu’il n’est pas sujet de contrôle politique, citoyen ou juridique sur le roi.

Sans compter la colonisation du Sahara occidental, terre riche en minerais et donnant accès à de large zone de pêche, ce qui pousse le gouvernement marocain à oppresser tout un peuple pour s’assurer une manne financière importante.

Sur le plan économique, malgré un taux de croissance de 4.4%, l’État n’arrive pas à réduire le déficit public, ni réduire le chômage, ni entamer des grands projets d’infrastructures. Autrement dit, rien ne change pour la majorité écrasée. Au contraire, le FMI dicte des réformes des systèmes de santé et d’éducation afin de réduire les dépenses publiques, donc on peut se demander : Où vont les 4.4% de richesses nationales créées en plus chaque année ?

Ce n’est pas trop compliqué de répondre à cette question quand on voit la fortune des milliardaires marocains qui sont en concurrence avec les princes du golf.

En revanche, au Maroc il n’y a pas de pétrole, il y a que des pauvres à exploiter….   


Édition hebdomadaire

Mêmes rubriques