Pérou, quand les oligarchies misent sur la crise sociale

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Pérou, quand les oligarchies misent sur la crise sociale

Le 7 décembre 2022, la nouvelle tombait comme un coup de massue pour les classes travailleuses péruviennes ; Pedro Castillo, Président élu démocratiquement depuis alors un an, se voyait destitué de ses fonctions par le congrès. 

Une destitution rapide 

Le congrès, profondément ancré à droite, l’empêchait de sortir urgemment d’une crise sociale et économique, qui touche encore durement le pays et, pire encore, l’a destitué pour éviter sa propre dissolution. 

Cette dissolution qui est pourtant prévue dans l’article 134 de la constitution péruvienne, permettant au président de dissoudre le congrès s’il ne lui donnait pas sa confiance, une confiance qui n’a jamais été de mise puisque, par trois fois, celui-ci a tenté de destituer le président Castillo. 

La troisième aura donc été la bonne, sur la base de l’article 117, la droite conservatrice et oligarchique de ce pays, mise en place par l’ancien dictateur Alberto Fujimori, a finalement décidé de se débarrasser d’un président qu’elle trouvait, dès l’origine, trop contraignant.

Pedro Castillo, l’homme du peuple contre les rejetons bâtards d’une dictature.

Pourquoi donc Pedro Castillo serait-il trop contraignant ? Parce que Castillo est un homme politique issu du peuple. Instituteur, issu de la région de Puna dans le nord du pays, l’une des villes les plus pauvres du Pérou où 70 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, dont la majorité en dessous des 100 $ par jour. 

Castillo a connu la pauvreté dans sa famille d’agriculteurs et l’a gardé près de lui durant toute la campagne présidentielle, se promouvant comme un homme issu à la fois du métissage et d’une ruralité péruvienne pauvre, mais profondément attachée à la terre.

Une façon de parler qui a fini par séduire un électorat qui avait à faire un choix entre lui et Keiko Fujimori, fille de l’ancien dictateur et mise en avant par les médias traditionnels, tenus par nombre d’individus mis en place par son père dans les années 90. 

Une séparation sociale qui se traduit clairement dans les votes, Fujimori et la droite traditionnelle étant particulièrement prisée dans les zones urbaines riches, là où Castillo a reçu un soutien massif des populations pauvres rurales. 

La défaite de la bourgeoisie conservatrice sonne comme une gifle. Pourtant, le soir même du résultat, Fujimori et ses partisans dénoncent des fraudes électorales dans les régions rurales au service de Castillo et iront même, le 14 juillet, jusqu’à tenter de forcer les portes du palais gouvernemental. 

Castillo, un président désarmé contre la bourgeoisie.

Au pouvoir, le bilan de Castillo semble donner raison aux fujimoristes, mais ce serait mettre sous la table les difficultés que ces derniers ont dressées, loi après loi, pour empêcher le président nouvellement élu de pouvoir mettre en place son programme social ; en tout, ce sont 70 lois qui seront bloquées par l’assemblée sans compter les deux tentatives de destitution et une campagne d’affaiblissement politique sur des fonds d’accusation de financement illicite ou encore de corruption qui vont faire ouvrir six enquêtes Mais ce travail de sape aura été finalement payant Cédant à la pression de la bourgeoisie libérale, il fait des concessions sur ses velléités de nouvelle constitution, sur son programme et va jusqu’à abandonner son chapeau de paille, symbole pourtant de son appartenance à ce monde rural dont il est issu. 

Pire encore, la bourgeoisie réussit à le couper de son parti en lui faisant quitter Pérou Libre, un parti d’obédience marxiste-léniniste, le coupant ainsi de son principal soutien politique dans le pays. 

Cette coupure vis-à-vis de son parti, c’est ce qui sera fatal à Pédro Castillo, élu démocratiquement sur un programme qu’il ne peut plus tenir, candidat d’un parti auquel il n’appartient plus, pieds et poings liés par une bourgeoisie qui n’attendait qu’une bonne raison de se débarrasser de lui, le résultat semblait déjà connu d’avance avant une, trop tardive, tentative de reprendre le contrôle sur un congrès ouvertement hostile à sa politique.

Après Castillo, la crise sociale ?

Il ne faut pas oublier que derrière la destitution de Castillo, il y a eu une forte réaction sociale. 

Si ce dernier a été élu dans un premier temps, ce n’est pas sans raison. Il avait promis beaucoup de choses à des populations très pauvres qui y voyaient un espoir de sortir d’une crise alimentaire – rappelons qu’un Péruvien sur deux ne mange pas à sa faim – mais aussi d’une crise économique due à une inflation galopante qui pèse d’autant plus sur les foyers les plus pauvres.

C’est ce qui explique les importantes manifestations qui ont secoué le pays ces derniers mois, les populations les plus pauvres qui voyaient une porte ouverte par Castillo pour sortir de leur condition l’ont vu se refermer violemment avec la prise de pouvoir du congrès  Ne sachant que répondre, l’oligarchie capitaliste du pays, représentée par l’opportuniste Boluarte, a alors répondu par la seule manière qu’ils connaissent face au peuple : la violence. 

À l’heure où ces lignes sont écrites, une soixantaine de Péruviens ont perdu la vie durant les affrontements pour défendre leur démocratie contre une présidente illégitime et autoritariste ainsi que son congrès tout aussi illégitime puisque normalement dissout. 

Un traitement international à deux vitesses

S’ils sont illégitimes, mais qu’ils se maintiennent au pouvoir sans contestation de la part de la communauté internationale, ce n’est pas par hasard. Si les pays d’Amérique latine, du Mexique à l’Argentine, en passant par le Brésil ou encore la Colombie, soutiennent les manifestants, voire Pedro Castillo, ce n’est pas le cas des grandes puissances économiques comme les États-Unis ou l’Union européenne.

Il est cependant intéressant, pour conclure, de mettre en parallèle le Pérou et le Venezuela.

Là où les États-Unis jouaient le rôle d’embraseur au Venezuela contre un président de gauche, parlant de dictature concernant un président élu démocratiquement, en dénonçant les violences durant les manifestations, l’Oncle Sam prend un ton bien plus paternaliste concernant le Pérou, appelant à la sécurité et au calme face à une présidente qu’il a lui-même félicité d’avoir garanti la continuité politique. Une continuité politique de droite autoritariste, donc, qui semble bien mieux lui convenir en Amérique Latine, quand bien même cela passe par la reconnaissance d’une présidente qui ne s’est jamais soumise au suffrage de ses concitoyens et qui, pire encore, leur a confisqué le pouvoir depuis maintenant presque un an.

C’est cette différence de traitement dans la violence étatique par le capital qu’il faut questionner à travers la mésaventure péruvienne. 

Non, les violences commises par un État ne sont jamais une non-information, elles traitent toujours d’une situation qui va, souvent, à l’encontre des intérêts des populations concernées et c’est ce que le capital, à travers des images et un champ lexical toujours savamment choisi, souhaite banaliser dans le cas du Pérou là où elle est un argument politique contre le Venezuela. 


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