La petite musique du mépris

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La petite musique du mépris

Ce week-end, un événement, plutôt anecdotique en soi, est venu s’imposer dans le débat : l’arrestation et le placement en garde à vue du rappeur JUL.

En France, tous les jours, de nombreuses personnes se retrouvent dans ce cas. Accusé d’avoir commis un excès de vitesse, de conduite sous stupéfiants et d’être accompagné d’un passager armé, JUL a donc fini au poste. Dans un premier temps ce fut une occasion idéale pour de nombreux médias de pouvoir parler de rap mais sous l’angle qu’ils aiment le plus, à savoir surtout pas celui de l’art, de ce qu’il véhicule ou de la richesse qu’il comporte.

Les éléments sont donc réunis pour pouvoir faire du buzz sur un des artistes les plus populaires pour les jeunes de ce pays sans pour autant avoir à prendre la peine de critiquer sa musique, son oeuvre, son impact, etc

Très vite les titres racoleurs fleurissent : “Le rappeur star des ados arrêté après la découverte d’un pistolet et de cannabis dans sa voiture”, “Rodéo sous emprise de drogue : JUL en garde à vue”, “ Le rappeur JUL repasse par la case police” ou encore la palme au Figaro qui fait du Bernard de la Villardière “Cannabis, excès de vitesse, passager armé : le rappeur JUL en garde à vue”.

Pour les articles, il ne faut pas s’attendre à grand chose au delà du titre, outre que cela soit une simple histoire assez banale, nous étions loin ce week-end du traitement réservé aux autres personnalités en dehors du monde du rap concernées par des faits similaires ou proches. En effet, comme le souligne très bien le média Hip-HOP http://reaphit.com/  “Dans tout ce bruit nauséabond une cloche retentit, un écho du passé, le traitement d’une autre affaire, plus grave, plus vite oubliée.

Il y a quelques mois Benoît Magimel, était conduit au poste de police à l’issue d’une course poursuite. Après avoir renversé une grand-mère et pris la fuite il était parti se calmer comme le font les grands de ce monde, avec un peu d’héroïne et de cocaïne… Avant de se faire arrêter par la BAC, lui aussi. On avait alors dressé le portrait d’un homme descendu aux enfers dont le salut devenait la croisade des médias.

De la même manière, la chanteuse Jennifer, placée deux fois en garde vue ou l’actrice Elsa Zylber­stein également entendue pour avoir renversé une dame au volant de sa voiture ont pu avoir le droit à un autre traitement. Comprendre ce qui les a poussées à agir ainsi, les interroger, publier des lettres d’excuses, semble être monnaie courante lorsque certains se retrouvent épinglés, moins dans d’autre cas. Il semblerait que pour les rappeurs, comme pour les footballeurs, ce qui n’est peut être pas une coïncidence, le traitement ne soit pas de cet ordre.

Une fois ces constats posés, il est possible de constater que ceux-ci ne sont pas nouveaux et qu’on assiste finalement à la démonstration dans les faits du fonctionnement de notre société médiatique, détenue en grande partie par des puissants et qui laisse entrevoir à chaque occasion possible des éclairs de mépris de classe durs à dissimuler surtout s’agissant du rap.

Le constat est amer, après des décennies d’existence et même, concernant JUL, une victoire de la musique qui devrait pourtant bien correspondre à ce petit monde, le RAP n’est toujours pas considéré. Il est toujours source de mépris, d’exotisation avec au fond de beaucoup de ceux qui mettent cette théorie en pratique un doux rêve qui rampe encore “Ca ne durera pas”…

Mais cette fois-ci il y eu comme un grain de sable dans la machine qui poussa tout ce système à aller encore plus loin dans le mépris à dépasser ses propres contradictions par une attaque révélatrice d’un véritable aveu de faiblesse sur la compréhension et l’intérêt qu’ils portent aux cultures populaires et particulièrement au Hip-Hop.

Le scénario était parfait, un rappeur adoré des jeunes, apprécié de nombreuses personnes jeunes ou moins jeunes d’ailleurs, victoire de la musique, qui remplit Bercy, créateur d’un signe qui s’est répendu de manière virale dans de nombreuses sphères de la société, des mouvements sociaux à Zidane en passant par les cours de collèges et les coulisses du cinéma, cela ne pouvait pas durer, il y avait un hic… “c’est gagné c’est un voyou” !

A contrario, lors de sa sortie de garde à vue c’est dans une toute autre optique que le rappeur JUL a souhaité s’exprimer. Un peu penaud et conscient de l’impact de sa notoriété, notamment sur les plus jeunes, il a décidé de s’excuser en publiant ce message :

https://www.facebook.com/julOfficial/posts/1230373337064713

Alors là rien ne va plus ! Déjà que Fianso après avoir reconnu qu’il avait déconné en bloquant l’autoroute et avoir eu honte aux côtés de son père à la télévision passe pour un mec bien, normal, si JUL s’y met aussi le Figaro et autres ne s’en sortiront plus….

Dans ces cas là il reste toujours une bonne technique déjà utilisée notamment contre le groupe SNIPER il y a un peu plus de dix ans. Ben oui Sniper, ce groupe dont personne parmi les dominants ne supportait la popularité alors que par l’intermédiaire du Rap ils véhiculaient la fierté de leur origine, des messages politiques et un appel à la prise de conscience.

Après les avoir attaqué en procès et essayer de censurer plusieurs de leurs morceaux il a fallu trouvé une méthode et cette méthode beaucoup s’en souviennent. Gravé dans la roche explose tous les records, les trois rappeurs du 95 sont en pleine explosion et le discours pour les faire taire ou les décrédibiliser est inaudible même…auprès des parents !

Heureusement, en écoutant leur morceau phare, une anomalie avait attiré l’attention des Zemmour, Riollo, Finkelkraut, de l’époque. “Ce serait mentir si j’dirais que c’est pareil”, par ces mots, Aketo, par ailleurs aujourd’hui auteur d’un blog bien écrit et très fourni en écriture, avait donné malgré lui l’angle d’attaque. La langue Française, la fameuse, celle dont on sait qu’elle n’est pas accessible à tous, celle dont on sait que l’école qui l’apprend est en échec sur plein d’aspects, celle que l’on utilise comme arme psychologique lorsque l’on veut assumer son mépris de classe.

Hier, c’est cette arme que l’on utilise depuis longtemps maintenant contre le rap (cf la dernière interview rap de Thierry Ardisson) qui a été utilisée contre JUL.

La machine s’est lancée et de nouveau c’est tous les gros titres quotidiens ou les porteurs d’une certaine légitimité de la culture, qui à défaut de comprendre JUL de s’intéresser à sa musique, y compris d’y formuler des critiques recevables, de comprendre ce qu’il véhicule, d’où il vient, ce qu’il représente, qui l’écoute, etc se sont une nouvelle fois jetés sur l’occasion pour saisir “le buzz”.

Et même dans le milieu des auditeurs de rap, voir de milieu Hip-Hop en général certaines réactions furent assez décevantes, jouant le jeu de ceux qui véhiculent tout un tas de critiques et de mépris contre cette musique et ce qu’elle représente. Entre la volonté de faire son petit tweet qui va buzzer, le besoin inconditionnel de donner son avis en hurlant avec les loups ou bien la frustration de beaucoup de gens du milieu Hip-Hop ont participé à cette mascarade.

Pour la frustration, c’est même assez risible de voir que tous ceux qui critiquent JUL depuis très longtemps mais on été obligés soit de reconnaître un certain talent, soit de constater son succès et l’impact de son travail, ont profité de cette occasion pour attaquer de nouveau. Ce n’est pas s’en rappeler les déchaînements de commentaires après le “bug” de vocoder de PNL en plein concert qui avait permis à tous les sceptiques de trouver une brèche pour les attaquer de nouveau alors qu’ils s’étaient imposés comme des pointures dans le milieu.

A l’inverse de nombreux rappeurs/rappeuses ou beaucoup d’auditeurs et auditrices ont réagi en soutien à JUL et de manière assez large puisqu’on a pu constater des prises de position moins attendues que d’autres comme celle du rappeur Vîrus par exemple qui dans son style à participer à contrer l’offensive.

Finalement c’est certainement cet aveu de faiblesse qu’il faut retenir, montrant une fois de plus que le mouvement Hip-Hop, la culture Hip-Hop, le rap en son sein, dérange encore, inquiète peut être mais est surtout bien installé et continue de jour en jour à progresser et à imprégner pleinement notre société.

En attendant si vous avez passé une mauvaise journée, JUL a sorti aujourd’hui un son du même nom qui, que vous soyez pro ou anti JUL, mérite peut-être au moins d’être écouté…comme tout le reste.


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