Rwanda : les enseignements du rapport Duclert

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Rwanda : les enseignements du rapport Duclert

Il y a 27 ans, le 6 avril 1994 la “radio des milles collines” diffuse un appel au meurtre des Tutsis, cet évènement marque le début du génocide des Tusti au Rwanda. 

Depuis, le 7 avril a été marqué par l’ONU comme “Journée internationale de réflexion sur le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994”.  Une commémoration particulière en cette année 2021 alors que le rapport de la mission Duclert, tant attendu, sur la responsabilité de la France au Rwanda a été remis au président le 26 mars dernier. 

Les enjeux du rapport Duclert

Les historiens ont montré comment la politique raciste menée par les différents colons établis au Rwanda, Allemands puis Belges, a mené au génocide. La responsabilité des différents Etats dans la mise en place des conditions du massacre, dans la complicité du génocide et dans la fuite des génocidaires est, elle, toujours en cours d’investigations par les historiens et la justice. 

Établir les différents niveaux de responsabilité des politiques et des entreprises en France est d’autant plus compliqué que, vingt sept ans plus tard, une partie des protagonistes est toujours en poste. En témoigne par exemple la découverte d’une note pointant le fait que le quai d’Orsay, alors sous la direction d’Alain Juppé, a donné l’ordre de laisser les génocidaires s’enfuir. Il est aujourd’hui membre du conseil constitutionnel. 

C’est aussi le fait que les protagonistes soient toujours en poste et une partie des criminels toujours en fuite qui rend ces investigations d’autant plus importantes. Il est encore temps que justice soit rendue et, pour la politique français, que celles et ceux qui ont contribué à un crime contre l’humanité ne puissent plus accéder au pouvoir. Enfin, quand la théorie “des deux génocides” ou la vision coloniale d’une Afrique qui ne serait vouée qu’à des massacres barbares, argument raciste qui a servi à justifier les actions de la France, quand les thèses négationnistes ou minimisantes sont monnaie courante, c’est l’occasion de réaffirmer la vérité historique.

La méthode de travail

Ce rapport fait suite à deux ans de travaux réalisés par treize historiennes et historiens, emmené par le chercheur Vincent Duclert qui a donné son nom à la commission. Ils ont pu accéder à un grand nombre d’archives pour certaines jusque-là confidentielles et bénéficier d’un cadre de travail confortable. 

C’est d’ailleurs l’un des premiers reproches qui est faite au rapport : la France en créant cette mission n’a pas déclassifié l’ensemble des archives, dont de fait probablement les plus sensibles. D’autres part, des historiens notent que certains outils n’ont pas été utilisés comme les témoignages, seules les archives venant de l’État français ont été examinées et font l’objet du rapport. La commission elle-même reconnaît qu’il s’agit d’un premier travail qui sera utile à des recherches futures. 

“Des responsabilités lourdes et accablantes” 

Le rapport conclut sur les responsabilités lourdes et accablantes de l’état major et qualifie même l’opération de “faillite de la France”. Le rapport pointe d’abord une analyse ethniciste complètement erronée de la situation due à la vision raciste des enjeux du conflit héritée de la colonisation. A l’image de la phrase qu’aurait prononcé Mitterand “dans ces pays là un génocide, c’est pas trop important”, le président de l’époque qui serait au centre des décisions selon le rapport.

Dès le départ, l’analyse étant mauvaise, la réponse ne pouvait être la bonne. Le soutien sans discontinuer à un pouvoir raciste, violent, sous prétexte de “stabilité” est lui aussi dénoncé. Le soutien resta entier alors même que tous les éléments avançaient une issue tragique, des éléments dont étaient pleinement conscients les dignitaires français puisque la commission pointe que plusieurs d’entre eux ont alerté, sans conséquences. 

En cause notamment la formation par la France des forces armées jusqu’à début 1994, alors même que l’existence de massacre de Tutsi avait été remontée par un colonel à Paris dès 1990. La complicité de la France à l’égard du régime génocidaire prend même la forme de soutien politique direct, le document cite des pratiques illégales, ayant pour but le soutien à une propagande contre le FPR (Front patriotique rwandais, qui combattait alors le régime en place). 

Un aveuglement et des actes 

Non seulement le rapport pointe la mauvaise analyse et le soutien au régime en amont du génocide mais il dénonce aussi la responsabilité de la France durant le génocide. Sur la responsabilité de la France dans la fin du génocide le texte est clair : « Certes, le nombre de Tutsis encore menacés fin juin, extraits de situations dangereuses et sauvés, se compte en milliers, mais la France, longtemps aveugle devant la réalité du génocide, est intervenue trop tard pour des centaines de milliers d’autres ». 

L’action humanitaire aurait elle aussi été détournée de son but, ayant toujours selon le texte bénéficié en majorité aux populations hutu et parmi elles, à des commanditaires du génocide. Surtout, la France n’a aucunement agit alors qu’elle en avait les moyens pour permettre d’identifier les génocidaires et de les arrêter. Des remontées du terrain disent connaître leur position exacte et être en capacité d’agir, l’ordre de Paris ne sera jamais donné, pire ces hésitations ont permis aux responsables de s’échapper. Des fuites corroborées par la découverte l’année dernière de deux hauts dignitaires du régime en 2020 qui ont pu reconstruire leurs vies en France. Cet élément est absent du rapport qui se tient aux faits passés. 

Le jugement est-il un travail d’historien ? Regarder faire est-il une complicité ? 

Malgré la gravité des actes dénoncés, les associations dénoncent un rapport qui élude certaines parties de l’histoire, par manque de sources ou par omission politique. C’est notamment le cas de l’association Survie qui dénonce un rapport partiel, surtout la mise en accusation d’un homme en particulier : le président Mitterrand, une accusation en forme de bouc émissaire puisque celui-ci ne peut plus être jugé. 

Le jugement, c’est bien la question centrale de ce rapport. Si l’Elysée assure vouloir tout faire pour rétablir la justice, le Rwanda a adressé 48 demandes d’extraditions à Paris sans réponse. Côté responsables français, Hubert Védrine, l’un des principaux mis en cause de ce rapport, salue “l’honnêteté” du rapport, qui, en écartant toute complicité de la France, le met à l’abri ainsi que ses anciens collègues. Car s’il n’était pas du ressort de la commission de condamner, le rapport était attendu dans une quête de mise à jour des chaînes de commandement et les responsabilités d’un État qui n’a jamais reconnu son implication. 

Le rapport écarte la notion de “complicité de génocide”, car la commission estime que la France ne partageait pas les intentions des génocidaires. Finalement en choisissant cette définition, la commission fait le choix de blanchir la France, comme si ce génocide était “inéductable”, quelque soit l’action dîplomatique. Or, que la France partage ou pas les intentions génocidaires, ces implications ont été très concrètes : renforcer le pouvoir des commanditaires du massacres, former les armées, livrer des armes, empêcher la justice d’avoir cours même après que l’enfer a eu lieu. D’une part, le laisser faire aurait été en soi, un choix politique, d’autre part, il ne s’agit pas ici de laisser faire, mais bien de volontairement choisir un camp.

A raison, l’association Survie pointe aussi la non prise en compte du néo-colonialisme et de la françafrique qui n’étaient pas le simple fait de quelques conseillers entêtés mais qui imprègnent la totalité du système de politique étrangère. Ce système est toujours en vigueur, vingt sept ans étant une goutte d’eau à l’échelle humaine. C’est pourquoi son analyse aurait été d’autant plus importante. La France, comme de nombreux pays occidentaux, doit regarder ce passé si récent en face, afin de pouvoir changer de paradigme. Il ne s’agit pas seulement de désigner des coupables mais de ne pas laisser la possibilité de reproduire l’horreur. 

Il s’agit aujourd’hui de rendre justice, d’une part en condamnant, mais pas seulement : en offrant surtout un monde où les relations diplomatiques ne se font plus sous la domination économique et le racisme mais dans la reconnaissance de la souveraineté des peuples et dans la solidarité internationale. 


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