Quel traitement policier et pénal de la délinquance ?

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Quel traitement policier et pénal de la délinquance ?

Depuis les années 1990, on assiste à un durcissement des textes en matière de répression pénale qui correspond à une volonté de réduire la violence chez les jeunes. Bien qu’elle représente moins de 10 % de la population, on observe une montée de la délinquance chez les jeunes au cours de ces dix dernières années. Notre analyse de ce phénomène ne doit pas se restreindre à ce simple constat. Il est nécessaire d’en analyser les causes profondes.

Délinquance et précarité économique et sociale

D’abord, cette montée sans précédent de la délinquance s’accompagne d’une précarisation toujours plus importante de la population, notamment dans les quartiers les plus défavorisés. Cette précarité touche particulièrement les jeunes chez qui le taux de chômage ne cesse d’augmenter. En octobre 2016, plus de 25% des 15-24 ans est touché par la chômage, et presque le double dans les zones urbaines sensibles .
De nombreuses études en sciences humaines et sociales ont tenté de trouver des explications sociales, culturelles, voire psychologiques au passage à l’acte. Elles ont ainsi démontré un lien étroit entre la précarité et l’entrée dans la délinquance. La nature des infractions à la loi évolue en phase avec le taux de chômage des jeunes, qui touche davantage les jeunes sans diplômes . C’est donc la situation des plus démunis – sur le plan social, économique et scolaire – qui va favoriser les passages à l’acte délictuel.
Dans un soucis de justifier le renforcement des politiques pénales, certains politiques vont jusqu’à affirmer une baisse de la délinquance. Au contraire, celle-ci n’a pas diminué précisément parce que les facteurs qui la stimulent n’ont pas évolué, ou ont empiré.
Cette analyse socio-économique de la délinquance, que certains appellent « la culture de l’excuse » est fragilisée et délégitimé par un discours sécuritaire soutenu par de nombreux dirigeants politiques et relayé par la quasi totalité des médias français.

Une dérive sécuritaire sans fin

Après plusieurs mois de débat, la loi relative à la « sécurité publique » du 28 février 2017 modifiant les régimes d’usage des armes de différents agents publics armés, a été votée. Cette loi, qui concerne l’usage légal des armes par les forces de l’ordre dans les cas de légitime défense, s’applique pour les gendarmes et les policiers nationaux, et s’étend désormais aux agents de police municipale. Cette loi intervient dans un contexte de lutte contre le terrorisme, que nous pouvons légitimement questionner. En effet, cet argument avancé lors de la mise en place de l’État d’urgence, il y a plus un an, a déjà montré ses limites et surtout ses dérives.
Il est grand temps de dénoncer cette course à l’armement qui s’ajoute aux contrôles abusifs, aux arrestations arbitraires et aux violences policières. Ces agissements d’un État policier sont ancrés dans le quotidien des jeunes des quartiers populaires, qui subissent de surcroît un acharnement judiciaire. On en trouve un exemple récent dans l’affaire Adama Traore, mort l’été dernier suite à une violente interpellation à Beaumont-sur-Oise. Après avoir perdu leur frère dans des circonstances d’abord cachées, et qui traînent désormais à être révélées, la famille du jeune de 22 ans continue à subir l’acharnement de la justice. Que penser d’une justice qui, comme ici, défend les coupables et condamne les victimes ?

En France, une justice à deux vitesses

Médias, responsables politiques, voisins, collègues, ils et elles sont nombreux et nombreuses à taxer la justice de laxisme, notamment concernant la petite délinquance. Mais qu’en est-il vraiment ?
Dans les faits, cette justice « laxiste » ne s’applique vraiment qu’à certaines personnes, ces membres de la classe dominante, mis en examen ou jugés pour fraude fiscale, abus de bien sociaux, ou détournement d’argent public. Très récemment, la condamnation de Christine Lagarde, ancienne directrice du FMI et ancienne ministre de l’économie, qui a été reconnue coupable de négligences dans sa gestion de l’arbitrage Tapie en tant que ministre des Finances, mais dispensée de peine. Sans oublier que cette condamnation ne sera pas inscrite dans le casier judiciaire de Mme Lagarde, faveur rarement accordée aux auteur.es de délits. En effet, ce dénouement est assez exceptionnel dans la justice française où plus des ¾ des auteurs de délits sont condamnés à des peines (emprisonnement, amendes, peines de substitution).
Ce laxisme judiciaire apparaît également dans les affaires de viols ou violences conjugales. Deux exemples marquants lorsqu’on les met en comparaison : celui de Bertrand Cantat et de Jacqueline Sauvage. En 2003, Bertrand Cantat tue sa compagne en la frappant à mort à plusieurs reprises. En 2013, Jacqueline Sauvage tue son mari qui la battait et la violait elle et ses filles. Il est condamné à une peine de 8 ans de prison, il en fera 4. Elle est condamnée à 10 ans de prison ferme, elle en fera 4 avant de se voir accorder la grâce présidentielle. Ces deux exemples nous rappellent que la justice peut être laxiste, mais toujours en faveur des dominants (sociaux, économiques, politiques). Au contraire pour les plus démuni.es, elle est très loin d’être laxiste.
Par ailleurs, on aurait tendance à penser que ce que certains qualifie de « laxisme », n’est autre que les conséquences d’un des principes fondateurs de la justice français qui permet le droit à l’oubli et à l’évolution pour les personnes condamnées. Droit souvent inappliqué et inapplicable tant la réinsertion est difficile, notamment pour les personnes condamnées à des peines de prisons fermes.

De la détention à la réinsertion : le calvaire des personnes condamnées

Loin d’être « restaurative » , la justice est ancrée dans une démarche de fichage. En effet, chaque lien à un passé délinquant, récent ou lointain, freine la réinsertion sociale et professionnelle des personnes condamnées, les empêchant de sortir de cette dynamique pénale sans issues. Depuis les lois Perben du 9 septembre 2002 et du 9 mars 2004 – qui modifient notamment le casier judiciaire pour les mineurs – les condamnations sont désormais systématiquement enregistrées à ce casier et son effacement automatique à la majorité disparaît. Ces mesures réduisent de fait les possibilités de réinsertion pour ces jeunes, puisque de nombreux métiers (par exemple, dans le domaine de la sécurité) exigent l’absence de casier.

On peine à percevoir l’aspect laxiste de cette justice qui semble au contraire inscrite dans une dynamique de plus en plus répressive. « Dire que la Justice est laxiste à l’égard des délinquants […] est injuste. La durée moyenne des peines de prison a augmenté en France. Le nombre de détenus a explosé depuis 2007. Notre pays compte aujourd’hui 69.000 personnes sous les verrous pour 60.000 places. » .

Avec un taux d’incarcération de presque 120 %, la France est un des premiers pays d’Europe en matière de surpopulation carcérale. Les conséquences se font sentir directement sur les détenu.es. Dans certains établissements pénitenciers, les détenu.es sont 3 ou 4 dans des cellules de 12m². Le manque de moyens se traduit par des conditions de détentions déplorables : mobilier vétuste, lits superposés, parfois des matelas à même le sol… les détenu.es se marchent presque dessus. Aux cellules bondées s’ajoute le manque de personnel nécessaire au bon fonctionnement des établissements. Ce sous effectif de personnel, nuit à leur travail, notamment sur la prévention de la récidive.
Confrontés aux mêmes manque de moyens, les services d’insertion et de probation (SPIP) sont démunis. Depuis leur création en 1999, les SPIP accompagnent les personnes détenues dans leur parcours d’exécution de peines (emprisonnements ou peines de substitution). Leur rôle est central en matière de prévention de la récidive et de réinsertion qui constitue leurs missions principales. Depuis plusieurs années, les personnels dénoncent l’impossibilité de mener à bien leur travail et l’absence de reconnaissance de leur services. Dans ces conditions, la réinsertion des détenus est mise à mal et rendue quasi impossible.
A l’approche des présidentielles, les candidats commencent à se positionner sur la question des prisons. Des promesses de réinvestissement se font entendre. On ne peut que déplorer les motivations sécuritaires de tels discours qui négligent bien d’autres questions, notamment en terme d’insertion. « Celui qui ouvre une porte d’école, ferme une prison. » Cette citation de Victor Hugo montre que les responsables politiques actuels prennent le problème à l’envers et rappelle que l’urgence est dans l’éducation et l’insertion professionnelle, encore loin d’être à la hauteur des attentes de la jeunesse.
[1]« Le chômage dans les zones urbaines sensibles », Observatoire des inégalités, 11 mars 2014
[1]Hugues LAGRANGE, Crimes et précarité économique et sociale, CNRS
[1]La justice dite « restaurative » a pour but d’associer l’auteur.e et la victime pour tenter de passer l’acte en vue de rétablir une paix sociale. Pour les majeurs elle prend la forme de mesures de médiation pénale (à titre d’alternative aux poursuites), pour les mineurs, on parle de mesures de réparation pénale.
[1]Anaïs Vrain, secrétaire nationale du syndicat de la Magistrature, dans une interview pour Les Échos, 25 octobre 2016


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