Une journée banale

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Une journée banale

Mise en garde

Cet article fait état de violences sexuelles, sa lecture peut être difficile.


Le matin tu te lèves, tu allumes ton téléphone, ouvre ton compte Instagram. Après quelques coups de pouce, entre les vidéos de recettes de cuisine ou d’animaux, tu tombes sur les chiffres des féminicides. Encore 2 rien qu’en une soirée. La journée commence bien.

Avant de partir, tu choisis bien ta paire de chaussures parce que ce soir, tu vas au bar et les talons ce n’est pas pratique dans le cas où en rentrant il faudrait accélérer le pas ou même courir. 

« Ne surtout pas oublier la batterie externe pour ce soir, pas question de rentrer sans téléphone ! »

Dans la rue pour aller au métro, tu passes devant un bar, seulement des mecs en terrasse, ça sent la clope, mais tu sens surtout tous les regards te suivre sur ton passage. 

Dans tes oreilles, la musique défile au rythme des stations de métro, tu passes le morceau de rap énervé et dérangeant où le rappeur passe son temps à décrire les meufs comme des objets, ça t’énerve. 

Un mec s’assoit à côté de toi, tu te fais plus petite. 

Sur le trajet pour aller au boulot, tu penses à ce collègue qui a tendance à te draguer lourdement entre deux cafés. Avec de la chance, il sera absent. 

La journée passe, les dossiers s’enchaînent. Le midi, tu vas faire attention à ce qu’il y a dans ton assiette, la dernière fois que tu as pris des frites, le cuisinier t’a fait une réflexion en rigolant : « Attention, ça finira directement sur les hanches ! ». Pas question que ça se reproduise. 

Tu sors du boulot à 17 h 30, d’habitude tu pars plus tard que tout le monde, dans l’espoir d’avoir cette promotion. 

Rien à signaler pour la soirée, tout se passe bien, tu réussis même à rentrer chez toi sans te faire siffler, presque un miracle. 

Chez toi, ton mec est rentré aussi, il te demande pourquoi tu rentres si tard, il s’énerve. Il n’aime pas quand tu ne le préviens pas, tu le sais pourtant, mais tu as oublié de lui envoyer le message. Quand vous allez vous coucher, il veut de l’attention, tu n’as pas envie, mais après l’altercation de tout à l’heure tu cèdes par peur qu’il s’énerve ou te fasse culpabiliser, tu n’as pas l’énergie. 

Le lendemain, il reviendra sûrement vers toi en voulant se faire pardonner, mais toi, abîmée par la nuit, tu ne sauras plus quoi lui répondre. 

Tu te lèveras, allumeras ton téléphone, ouvriras ton compte Instagram…

Vous avez l’impression que cette histoire est improbable ? Irréelle ? Pourtant, selon le rapport du Haut conseil à l’égalité, il n’y a rien d’hors du commun dans ces mots et ces situations. 


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