Argentine : Comment Milei a-t-il fait son trou ?

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Argentine : Comment Milei a-t-il fait son trou ?

Le 19 novembre 2023, 35 millions d’Argentins ont été appelés aux urnes pour le second tour des élections présidentielles. Dans un contexte de grave crise économique, les électeurs ont élu Javier Milei, candidat « anarcho-capitaliste ». El loco annonce du sang et des larmes pour réformer le pays détruit selon lui par des années de “socialisme”.

Deux bulletins, sur l’un, Sergio Massa, dernier ministre de l’Économie du gouvernement d’Alberto Fernández, à la tête d’une large coalition allant du centre droit péroniste jusqu’à la gauche communiste ; sur le second bulletin, Javier Gerardo Milei. Économiste de formation, il est à la tête d’une coalition de partis de la droite libérale et d’extrême droite, libertarien et autoproclamé anti-système. Le résultat est sans appel : Milei remporte 55 % des voix, la plus large majorité depuis le retour à la démocratie. 

Entre répression et ravages libéraux

En 1976, un coup d’État militaire renverse le gouvernement populiste mené par Isabelle Péron. Jusqu’en 1983, l’Argentine connaît un régime de répression sanglante avec plus de 30 000 disparus, des milliers d’assassinats et des millions d’exilés. 

D’obédience national-catholique et anticommuniste, la junte militaire est aussi inspirée par les thèses néolibérales et les applique tel l’évangile. Privatisation d’entreprises nationales, vente au rabais des droits d’exploitation des ressources naturelles, fin du protectionnisme économique, répression brutale contre les syndicats et les partis politiques de gauche : l’Argentine a été un terrain d’expérimentation pour le néolibéralisme. Résultat : destruction de l’industrie nationale, explosion de l’inflation et une guerre désastreuse contre le Royaume-Uni. 

En 1983, après l’échec militaire aux Malouines, la junte, plus impopulaire que jamais, initie la transition démocratique. Le pays est alors plongé dans une profonde crise économique qui est accentuée par les politiques néo-libérales des gouvernements successifs et du FMI. Les gouvernements se suivent sans jamais parvenir à résoudre la crise économique et sociale qui secoue le pays. Dans les années 2001, face à des manifestations de très grande ampleur qui viennent encercler la Casa Rosada, le palais présidentiel, Fernando de la Rúa est obligé de fuir en hélicoptère. 

Un péronisme de gauche en rupture avec le néolibéralisme

Au bord du défaut sur sa dette nationale en 2003, Néstor Kirchner est élu président à la tête du Parti Justicialiste (péroniste). Sa politique est en rupture avec les politiques précédentes. Il refuse de payer la dette nationale contractée auprès du FMI. Largement soutenu par la population, son gouvernement parvient à négocier des conditions de remboursement plus justes. De là, il met en place un plan de relance économique par de larges investissements publics dans les infrastructures et la mise en place d’un État social moderne. Le gouvernement de Kirchner revient aussi sur la période de la dictature, il annule l’amnistie des militaires poursuivis pour les crimes de la dictature et désavoue les militaires responsables de la répression qualifiée de génocide d’État.

À l’international, le président de centre gauche s’éloigne des partenaires occidentaux, en s’orientant vers une coopération régionale, notamment à travers le MERCOSUR (Marché commun du Sud).

Macri, le Macron argentin et Alberto Fernández, le social démocrate mou

La politique d’investissement public mise en place par Néstor Kirchner se poursuit durant le mandat de sa femme, Cristina Kirchner. Son gouvernement est attaqué par la droite sur des supposées affaires de corruption, massivement relayées par les grands groupes de presse liés à la droite. En 2015, c’est donc le retour de la droite libérale, en la personne de Mauricio Macri. C’est un retour aux réformes libérales de dérégulation et aux prêts prédateurs du FMI en échange de la réduction des dépenses publiques. Les résultats sont clairs, l’inflation explose encore une fois et près de 40 % des Argentins sont plongés dans la pauvreté. Macri est battu en 2019 par une coalition menée par Alberto Fernández rassemblant de la gauche au centre droit.

Son gouvernement hérite d’une situation économique catastrophique et subit la pandémie de covid. Ce nouveau gouvernement de gauche va beaucoup décevoir par la mollesse de sa politique, notamment vis-à-vis de la dette contractée auprès du FMI. L’inflation continue de s’envoler et les réformes structurelles nécessaires à la stabilisation de l’économie du pays ne sont pas menées, à cause notamment des pressions exercées par l’aile libérale du Parti Justicialiste (au pouvoir jusqu’en 2023). Il se développe dans la population argentine une profonde lassitude des crises successives et un ressentiment vis-à-vis des partis traditionnels. Cette colère est exploitée par les forces réactionnaires à travers les grands groupes de presse, en mettant en avant un candidat qui n’a d’anti-système que le nom : Javier Milei.


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