Fret SNCF : le transport public des marchandises liquidé par Bruxelles

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Fret SNCF : le transport public des marchandises liquidé par Bruxelles

Le 23 mai, une réunion tripartite regroupant l’État, la direction et les organisations syndicales de la SNCF semble avoir scellé le sort du fret ferroviaire français. Le ministre chargé des Transports Clément Beaune y a annoncé qu’un accord avait été trouvé entre le gouvernement et la Commission européenne. Celui-ci signe la liquidation de la filiale Fret SNCF, aux dépens de ses salariés, mais aussi d’un service public efficace et écologique.

Les cheminots ne comptent pas se laisser faire. Le 28 mai, ceux-ci ont lancé un appel visant à « sauver le fret ferroviaire », signé par de multiples syndicats, associations et partis politiques dont la CGT et le Parti communiste français.

L’intersyndicale cheminote a également lancé une pétition pour s’opposer à la liquidation du Fret SNCF et réclamer la sortie du transport de marchandises de la logique marchande.

Le fret public dans le viseur de Bruxelles

Déficitaire pendant de longues années, ne devant sa survie qu’au soutien du groupe public SNCF, la principale société de fret ferroviaire est dans le viseur de Bruxelles. 

Pour éviter de s’acquitter d’une somme de 5 milliards d’euros, elle risque bien de devoir disparaître pour laisser sa place à de nouvelles structures de tailles beaucoup plus petites. Un scénario connu en 2021 par la compagnie d’État italienne Alitalia, sacrifiée pour donner naissance à ITA Airways. 

Depuis janvier dernier, la Commission européenne a ouvert une enquête pour des aides présumées illégales de l’État français à destination de la filiale fret du groupe SNCF, principale entité de son pôle Rail Logistics Europe. 

Si l’inquiétude est si vive, c’est qu’il s’agit d’une véritable épée de Damoclès, pesant plus de 5 milliards d’euros, qui est suspendue au-dessus de la tête de Fret SNCF. 5 milliards, c’est la somme de la dette accumulée par la société entre 2007 et 2019. Fret SNCF étant incapable de la supporter, elle a fini par être consolidée dans la dette du groupe SNCF (dont le capital est entièrement détenu par l’État). C’est cette manœuvre qui est aujourd’hui considérée comme une aide d’État illégale par Bruxelles, qui pourrait exiger le remboursement de la somme. Ce dont est incapable Fret SNCF. 

Bien que bénéficiaire deux années consécutives, dans un contexte de crise sanitaire qui a dopé les activités de transports de marchandises, elle est loin d’avoir la surface financière pour répondre à une telle exigence.

Le gouvernement trahit l’entreprise publique

Le 23 mai, le ministre délégué chargé des Transports Clément Beaune a annoncé qu’un accord avait été trouvé avec la Commission européenne. Celui-ci signe la liquidation de la filiale, l’abandon de 30 % des trafics au profit des opérateurs privés, la suppression de 10 % des effectifs (soit environ 500 postes), la création de deux filiales de droits privés qui conduira au transfert des cheminots restants, la cession de 53 locomotives aux opérateurs reprenant le trafic cédé…

Bruxelles a poussé le fret ferroviaire français à s’ouvrir à la logique marchande. Les travailleurs en lutte ne comptent pas abandonner.

Cette solution est loin de satisfaire les représentants syndicaux, qui ont exprimé leur vive opposition face à tout démantèlement de l’activité fret. Ils ont pointé les conséquences pour l’emploi, expliquant que les effectifs de Fret SNCF sont déjà passés de 15 000 à 5 000 en dix ans. Mais aussi pour l’environnement. 

La riposte des cheminots

Selon un avis partagé au-delà des syndicats, l’affaiblissement de la principale société de fret ferroviaire de France conduirait probablement à un report modal vers la route. Une perte d’activité qui serait dès lors très dure à récupérer. 

En témoigne la difficulté du train à augmenter ses parts de marché face aux camions malgré la volonté affichée par la SNCF et l’État de doubler la part modale du fret ferroviaire. En 2020 la répartition des modes de transport de marchandises en France est de 88,5 % pour le routier, 9,6 % par le rail et 1,6 % pour le fluvial.

Le pouvoir en place, figé dans sa logique libérale et considérant que le marché est le seul régulateur efficace de l’économie, y compris pour le transport, n’envisage toujours pas un équilibre des modes et ne fixe aucun objectif de report de la route vers le rail. Il ratifie ainsi l’hégémonie du mode routier sur des critères uniquement liés à la rentabilité à court terme, dans le mépris le plus total des besoins de la population.

Les cheminots réclament l’abandon par l’UE et l’État français de cette funeste procédure, la mise en place de réels moyens visant à développer le fret public, la déclaration d’utilité publique du fret, la fin du dogme de la concurrence ainsi que la préservation des emplois et des conditions sociales des travailleurs de Fret SNCF. Les syndicats ont également prévu de multiples actions contre la liquidation dans les semaines qui approchent.

Pourquoi sauver le fret ferroviaire ?

Mode de transport vertueux, le fret ferroviaire a pourtant tout pour devenir un acteur majeur d’une croissance respectueuse de l’environnement en apportant de nouvelles alternatives économiques.

D’abord, l’impact du transport sur l’environnement est considérable. Il est, à lui seul, responsable de 30 % des émissions de gaz à effet de serre et la principale cause de pollution devant l’industrie (26 %), l’agriculture (19 %) et l’énergie (11 %). 

Si, dans le transport des marchandises, la part du train était aujourd’hui de 25 % au lieu de 10 %, la France diminuerait ses émissions de CO2 de 5 milliards de tonnes. Le fret ferroviaire est en effet 20 fois moins polluant que les poids lourds. En soulageant les axes routiers, il améliore aussi les flux de circulation et la qualité de l’air. 

Or, le fait de privilégier le mode routier ne fait qu’accentuer la pollution : les poids lourds de transport de marchandises émettent 21,3 % des gaz à effet de serre, les trains n’en émettent que 0,4 % (marchandises, voyageurs).

Le train est aussi un outil vital d’aménagement du territoire, favorisant l’implantation et la création d’activités économiques. Prenons l’exemple du bois dont le transport a été quasiment abandonné depuis 2003 avec la dérégulation et la concurrence. Or, la France dispose d’une forêt importante. La reprise du transport via le fret SNCF permettrait de relocaliser la production papetière que notre pays consomme et de réimplanter ou de développer l’emploi dans les territoires ruraux. 

L’aide à la relance du transport public ferroviaire pourrait donc s’appliquer à ce secteur, mais aussi à beaucoup d’autres, délaissés ou délocalisés faute de dessertes de proximité.

Face au capital, un contre-projet d’envergure

Le développement du fret ferroviaire ne pourra se faire que par la SNCF, entreprise publique unique, seule à même de garantir les investissements à long terme et les intérêts économiques de la Nation.

Le maintien de Fret SNCF sous le statut d’entreprise publique est indispensable pour sa pérennité.

Tout d’abord, le rôle d’une entreprise publique est de gérer son activité au-delà du court terme et de la penser au service de l’intérêt général sur la durée, ce que lui permet l’État en assurant son financement et en protégeant son activité. 

A contrario, l’ouverture à la concurrence et la privatisation du secteur favorisent les stratégies à court terme en privilégiant une rentabilité immédiate. C’est pourtant ce sur quoi ont misé les pouvoirs publics, en voulant faire de Fret SNCF une entreprise comme les autres, soumise aux règles de marché et à la concurrence. 

Le résultat, nous ne le connaissons que trop bien : le secteur est devenu moribond. Il faut garantir les investissements pour créer une nouvelle desserte ferroviaire, il faut investir des dizaines de millions d’euros pour le matériel roulant et les infrastructures. Il faut développer le réseau.

La CGT propose que la SNCF ait pour mission de développer le fret partout où il ne l’est pas actuellement et que les nouvelles dessertes fassent l’objet d’un monopole d’exploitation publique pour une durée minimum de 40 ans. Cela permettra à l’entreprise d’amortir les investissements nécessaires au développement de cette activité.

L’entièreté du plan de développement pour le Fret SNCF proposé par la CGT est consultable ci-dessous :

https://www.cheminotcgt.fr/dossiers/transport-de-marchandises/redynamiser-le-fret-ferroviaire/


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