Immigration : à quand l’application du principe d’égalité ?

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Immigration : à quand l’application du principe d’égalité ?

En 2022, la place des immigrés dans la société a été plus questionnée que jamais. Érigée pratiquement en thème central de la dernière campagne présidentielle, l’immigration s’impose toujours dans le top 5 des préoccupations des Français. Mais la crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont récemment changé l’image renvoyée par les phénomènes migratoires : l’élan de solidarité en faveur des réfugiés ukrainiens pousse à s’interroger sur l’égalité des droits entre migrants et nationaux.

Depuis février, les Ukrainiens arrivant en France bénéficient de dispositifs spéciaux tels que la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour ou l’aide à l’insertion professionnelle via Pôle emploi. D’aucuns voudraient y voir un traitement de faveur en comparaison d’autres immigrés, orientaux ou africains, qui n’ont certainement pas bénéficié des mêmes dispositifs. Au contraire, c’est la normalité qu’il faut plutôt voir dans ces aides spéciales. 

L’anormalité réside dans le traitement inhumain réservé aux immigrés extraeuropéens qui n’ont droit qu’aux centres de rétention administrative (CRA), aux doubles peines et à la stigmatisation.

La société française se veut fondée sur des valeurs républicaines et humanistes, parmi lesquelles l’égalité. Dans un pays riche comme la France, ces principes devrait amener les pouvoirs publics à mettre les moyens à la hauteur des besoins en termes de gestion de l’immigration : accueil digne, insertion plutôt que répression, ouverture de certains droits civiques… Et travailler également à changer les mentalités sur la question.

Le Gouvernement activiste

Durant le premier quinquennat Macron, Gérald Darmanin a affiché sa volonté de lutter fermement contre l’immigration. Depuis son arrivée au ministère de l’Intérieur, il poursuit par exemple l’objectif assumé de multiplication des obligations de quitter le territoire français (OQTF, qui avaient baissé pendant la crise covid) et d’expulsion des délinquants et criminels étrangers.

L’exemple récent de Hassan Iquioussen est révélateur des objectifs de Darmanin. L’imam proche des milieux islamistes a fait l’objet d’une procédure d’expulsion annoncée fin juillet, alors même qu’il est né et a toujours vécu en France (sans avoir la nationalité cependant). Les propos d’Iquioussen sont incontestablement nauséabonds et n’ont pas leur place dans la République. Il demeure qu’un tel traitement n’est pas envisagé envers les évangélistes protestants (nationaux ou étrangers), et que les prêtres catholiques intégristes ne sont même pas inquiétés par des poursuites pénales.

Les dernières élections législatives n’ont rien fait pour arranger les choses. Avec une extrême droite plus forte que jamais, le Gouvernement est obligé de jouer des coudes pour se montrer « à la hauteur » sur la question migratoire. Dernièrement, l’ancien maire de Roubaix a proposé de « permettre l’expulsion de tout étranger reconnu coupable d’un acte grave par la justice, quelle que soit sa condition de présence sur le territoire national ». Proposition à laquelle Marine Le Pen « dit cent fois oui »… Si l’on ajoute à cela son projet de supprimer le droit du sol à Mayotte (créant une réelle rupture d’égalité sur le territoire), ou celui de proposer une loi sur l’immigration supprimant les restrictions à l’expulsion des étrangers, on ne peut que constater le chemin qu’il reste à faire pour humaniser la politique migratoire française.

Une égalité plus que nécessaire

Sur tous ces aspects, et dans un esprit de dignité humaine (on ne compte plus les condamnations de la France par la cour européenne des droits de l’homme, CEDH), il est indispensable d’appliquer un principe d’égalité renouvelé. 

L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen consacre l’égalité devant la loi entre tous les citoyens français. Il s’agit maintenant de dépasser cela en l’appliquant à tous les résidents sur le sol français.

Sur le plan judiciaire d’abord, les tribunaux sont plus enclins à déployer leur arsenal répressif sur les immigrés que sur les nationaux. Les étrangers sont en effet plus durement touchés par les comparutions immédiates, les mesures de détention provisoire ou encore les peines de prison ferme

Ils connaissent également ce que l’on appelle la « double peine » : la justice peut prononcer une interdiction du territoire français s’ajoutant à la peine infligée. Cela contrevient dans l’esprit au principe non bis in idem : pour une infraction donnée, il est impossible de prononcer des peines supplémentaires que celles prévues par la loi. La loi Defferre de 1981 a fait un pas, poursuivi en 2013, pour limiter les cas d’expulsions judiciaires et administratives. Alors que Darmanin souhaite supprimer ces restrictions, il faut au contraire appeler à les généraliser pour tous les étrangers en France.

Besoin de droits sociaux

Dans le domaine de la santé, les dispositifs de l’aide médicale d’État (AME) et de la protection universelle maladie (Puma) peuvent être évoqués. La Puma concerne toutes les personnes en situation régulière dans le pays, y compris les étrangers et demandeurs d’asile. C’est la couverture santé de droit commun. 

Parallèlement, l’AME concerne les immigrés en situation irrégulière : elle est valable pendant un an sous condition de ressources. S’il est difficile de faire bénéficier de la Puma à cette catégorie de population, il est nécessaire de réclamer une prolongation de l’AME pour les immigrés durablement installés, et ce sans condition de ressources. 

Concernant l’insertion par le travail, Pôle emploi accompagne les étrangers munis de titres de séjour. Nombre d’immigrés peinent à en obtenir lorsqu’ils s’installent en France : la mobilisation pour faciliter leur délivrance doit être menée. C’est d’autant plus vrai depuis que l’État a mis en place l’autorisation provisoire de séjour, délivrée automatiquement aux réfugiés ukrainiens.

L’égalité par la nationalité

Les droits civiques sont un autre terrain majeur sur lequel persistent les inégalités entre nationaux et étrangers (et même entre étrangers). 

En effet, les ressortissants d’États membres de l’Union européenne peuvent voter et être élus aux municipales et aux européennes dans d’autres États membres de l’UE, à condition qu’ils y résident. À l’inverse, des étrangers résidant de façon permanente en France, participant de fait à l’activité de la cité et de l’entreprise, ne disposent d’aucun droit électif. Il est urgent de permettre l’accession aux droits civiques au moins pour les élections locales et européennes.

Cette question est intimement liée à celle de la nationalité. Comment expliquer que des étrangers vivant sur le territoire depuis des années, tout comme leurs enfants nés en France, ne peuvent accéder à la nationalité sans entamer de longues démarches mettant à l’épreuve leurs connaissances et leur amour inconditionnels pour l’histoire et la culture françaises ? 

La nationalité est un profond vecteur d’égalité des droits dans une population. C’est un moyen de lutter contre le repli communautaire, mais surtout de se rapprocher d’un idéal de fraternité et d’humanisme dans lequel beaucoup croient encore.


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