Incendies : la nécessité d’écouter les travailleurs

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Incendies : la nécessité d’écouter les travailleurs

La France retiendra de cet été 2022 une sécheresse historique et plus de 60 000 hectares de forêts parties en fumée. Alors que neuf incendies sur dix sont d’origine humaine, personne ne pourrait affirmer que cette situation était évitable. Pour autant, les salariés et leurs syndicats alertent depuis des années le gouvernement et les directions sur l’augmentation du risque de mégafeux.

Réduire le risque de mégafeux : l’entretien des forêts

La gestion forestière joue un rôle majeur dans la prévention des incendies. Dans cette optique, la question du statut de ces forêts se pose. 

En France, toute forêt privée de plus de 25 hectares doit faire l’objet d’un plan de gestion au même titre que les forêts nationales et communales dépendantes de l’Office Nationale des Forêts (ONF). 

Ces plans de gestion impliquent notamment le débroussaillage, la surveillance des départs de feux et du risque incendie. À ce sujet, André Chassaigne, président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine à l’Assemblée, donnait dans un article pour l’Humanité du 17 août dernier une information très instructive :

« La forêt de La Teste, d’où est parti un des incendies, est une forêt usagère, un cas particulier et unique. Elle est soumise à un droit qui date du XVe siècle, avec des propriétaires et des usagers qui ne se sont pas mis d’accord sur un plan de gestion clair. Il y a quelque chose d’irrésolu sur ce point. »

Il faut bien observer que l’histoire de la gestion forestière en France est pluriséculaire. Si l’ONF n’a à sa charge que 25 % de la forêt française, la raison prend sa source à la Révolution française. Entre 1790 et 1793, les forêts autrefois possédées par nobles et clercs ont été nationalisées. Ce qui produit des disparités sur le territoire ; à titre d’exemple, « en Lorraine, l’ONF gère 66 % de la forêt parce qu’énormément de domaines de ce type ont été nationalisés. L’ouest de la France, a contrario, ne comptait presque plus de forêt au XVIIIe siècle », rappelle Véronique Delleaux, responsable CGT dans la Nouvelle Vie ouvrière (NVO).

L’ONF et le désengagement de l’État

Au même titre que l’ensemble des services publics — santé, énergie, transport, éducation, sécurité, etc. —, l’ONF subit le désengagement de l’État dans sa mission et les coupes budgétaires. 

La Fédération agroalimentaire et forestière de la CGT rappelait le 23 août dernier que depuis des années elle dénonce le « projet réactionnaire, austéritaire et climaticide de démantèlement de l’ONF qui sacrifie des milliers d’emplois, casse les statuts et les couvertures conventionnelles. Cette stratégie signifie la mort du service public forestier, de l’entretien et de la maîtrise de nos forêts ».

Dans la pure logique libérale de démantèlement de la puissance publique, ce sont 500 emplois qui furent supprimés en 2021, à y ajouter le non-remplacement des départs à la retraite et les différents plans prévoyant d’ores et déjà de futures réductions d’effectifs. 

Si les travailleurs de l’ONF et leurs syndicats ont lutté contre ces suppressions de poste et ces différents projets austéritaire, c’est non seulement pour préserver les emplois et obtenir des avancées sociales, mais aussi pour prévenir ce danger omniprésent d’incendies, qui, ils le savent, doit faire l’objet « d’une politique forestière nationale forte et ambitieuse ».

La situation de l’ONF est symbolique puisqu’elle représente un cas unique en France. Auparavant, ses missions étaient à charge de l’Administration des eaux et forêts, démantelée en 1964 pour laisser place à un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) : l’ONF, donc. À l’époque, la CGT et les salariés se sont battus bec et ongle et ont obtenu le maintien du statut de fonctionnaire. Il représente donc l’unique EPIC dont les travailleurs sont toujours sous le statut de la fonction publique.

Luttes pour la défense d’un service public des forêts

La lutte organisée des personnels de la gestion forestière n’est pas nouvelle. Outre une longue histoire et l’épisode marquant de 1964, les mouvements s’accentuent depuis des années. 

Le 25 novembre 2021, une grande manifestation s’était tenue devant le siège de l’Office puis devant Bercy, intersyndicale et ONG réunies contre la casse de cette institution garante de nos espaces forestiers. Un message clair : alors que le dérèglement climatique impose le renforcement des effectifs, des moyens financiers et matériels, une plus large gestion, les choix qui sont faits sont tout autres, avec près de 5000 postes supprimés en un peu plus de 20 ans.

Ce « lien intime » entre progrès social et protection de l’environnement est intrinsèque à leur lutte, à raison. Revendiquer une forte ambition nationale en la matière semble d’une logique implacable. Pourtant le processus est inverse : la privatisation des espaces forestiers s’étend, jusqu’à représenter aujourd’hui 11 milliards d’hectares sur les 15 que comprend la France métropolitaine.

Prenant la mesure des ambitions libérales du gouvernement en place, sa volonté d’accélérer le démantèlement de l’Office paraît cohérente. Cohérente certes, mais définitivement coupée des besoins de notre pays pour faire face à cette situation critique.  

Double crise

Ce que les travailleurs redoutaient est arrivé. Des mégafeux ont ravagé la forêt française en quelques semaines. Il y a indéniablement une crise de la gestion forestière qui ne peut être coupée de la crise générée par le désengagement de l’État vis-à-vis de la sécurité civile. 

Il y a même une double crise dans la crise selon André Chassaigne qui expliquait dans ce même article de l’Humanité :

« Oui, il y a une double crise. D’abord, du volontariat : il y a de moins en moins de volontaires, ils sont actuellement un peu moins de 200 000 (la Fédération ­nationale des sapeurs-pompiers estime qu’il en faudrait au moins 50 000 de plus — NDLR). Mais il faut aussi plus de pompiers professionnels pour les encadrer ».

Tout comme pour la gestion forestière, l’incohérence des gouvernements successifs se fait voir au grand jour sur la question des pompiers. La CGT des agents des Services départementaux d’incendies et de secours (SDIS) rappelait dans un communiqué du 11 août dernier que « les sapeurs-pompiers professionnels qui souhaitent partir dans d’autres départements pour lutter contre les Feux de Forêt doivent poser des congés et accepter d’être placés sous statut volontaire ».

Zéro anticipation

Les sapeurs-pompiers et leurs syndicats peuvent affirmer qu’il y eut un manque absolu d’anticipation de la part de l’État, tant les sonnettes d’alarme sont tirées depuis des années. Alertant sur les manques cuisants de moyens humains et matériels s’accentuant au fil des ans. 

La question matérielle est au cœur du sujet. Le Président Macron affirme que la flotte aérienne chargée de lutter contre les incendies avait été jusqu’à présent suffisante, alors même que les personnels signalaient l’insuffisance, le vieillissement et la dégradation des appareils.

Pour preuve de cette incohérence, « on constate la suppression de 1000 Camions-Citernes de lutte contre les feux de forêt (CCF) depuis 2006. L’entretien de ces camions coûte cher, ils ne sont utilisés que pour des interventions ponctuelles. Les camions sont soumis aux taxes sur les véhicules pollueurs et les SDIS ne perçoivent aucune compensation pour faire face à cette augmentation des dépenses. Les SDIS font donc des choix, préfèrent diminuer le nombre de CCF et miser sur la mutualisation ».

Quelle réponse gouvernementale ?

Dans sa grande mansuétude, le gouvernement félicite les « héros absolus », réagit à coup de grands discours jonchés de promesses. Mais les personnels de l’ONF, comme les sapeurs-pompiers, exigent des mesures concrètes pour ne plus revivre ces situations désastreuses. 

Parmi ces mesures, beaucoup ont été effleurées ci-dessus, mais il s’agit aussi de visée politique. La France a besoin d’un engagement total des forces de la nation en matière de sécurité civile qui doit se penser, s’anticiper et s’établir au quotidien.

La logique de rentabilité à court terme intrinsèque au capitalisme ne permet pas l’anticipation nécessaire à la gestion de ces crises qui s’annoncent et se multiplient.


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