Orelsan –  La fête est finie : Retour vers le présent

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Orelsan –  La fête est finie : Retour vers le présent

Attendu, c’est le premier mot qui vient lorsqu’il s’agit de parler de l’album Orelsan.
Sorti du remous des polémiques et de son procès depuis lequel il a fait du chemin, sorti de ses projets cinématographiques ou de séries, éloigné de Gringe le temps de cet album, Orelsan est revenu se coller à la vitre pour nous regarder dans les yeux avec cet album, troisième volet de la trilogie selon lui, qui sonne la fin de la fête.

Sur un pont en chantier, serré dans un wagon de métro ou dans les rues de Caen sous la pluie, une chose est sûre, Orelsan s’est levé du canapé de Bloqués pour regarder droit dans les yeux l’horloge qui tourne et nous ballade au sein de son propre cadran. Car c’est bien le temps le fil conducteur de ce projet.

Et comme dans toutes les horloges il y a deux aiguille. Une grande, au dessus,  qui avance un peu plus vite et qui en toute légèreté glisse de manière détachée sur le cadran. En dessous, une petite qui avance plus lentement mais qui chaque fois qu’elle bouge marque une étape plus conséquente que la grande.

Pour parler de cet album à partir de cette image il y aurait deux types de morceaux qui, quoiqu’ayant une manière d’évoluer différente, servent la même cause, celle de se confronter au temps, qui passe, stagne, vient.

La grande aiguille

Dans la catégorie de la grande aiguille on pourrait ranger les morceaux où Orelsan joue au mieux de sa nonchalance et de la mise en scène de son aigreur pour asséner des couplets cyniques, des tableaux aux traits accentués voire exagérés de sa perception du monde.

Ces morceaux, comme la grande aiguille avancent si vite et de manière détachée qu’ils nous ramènent rapidement au même endroit en ayant fait le tour du cadran sans l’avoir mesuré.

Parmi ceux-là on pourrait y retrouver Tout va bien où sur fond de berceuse comme pour enjoliver l’horreur qu’il veut dépeindre, Orelsan retrouve un de ses exercices préférés, l’exagération du mensonge, au milieu d’un cynisme assumé pour aborder en 2m20 ce qui le fait gerber. Et probablement lui trotte dans la tête à un âge où le temps passé et restant pousse à se dire qu’on aura peut-être besoin de l’expliquer à quelqu’un un jour — un enfant peut-être.

La grande aiguille tournant, elle nous projette directement vers Défaite de famille. Comme un retour à la réalité pesante du temps qui passe, du fait de grandir et de le comprendre. Un décor terne. Le tableau complet de l’angoisse. Du vieil oncle dégueulasse à Nico le seul sur qui il comptait mais qui lui aussi l’a laissé tomber pour rejoindre les autres. Ces autres sur lesquels il projette les pires scénarios, comme pour les exorciser ; bien loin de la vie d’adulte qu’il aurait voulu kiffer dans Le chant des Sirène, à défaut d’avoir aimé l’adolescence comme il le clamait Ici, on passe de l’entrée au dessert sans avoir le temps de prendre une bouchée. Juste peut-être d’imaginer un sourire esquissé à sa mamie en guise de compensation. Cette fameuse mamie qui est devenue un personnage de son univers, qui fait ici le pont avec Comment c’est Loin. Film d’ailleurs bien présent tout au long du projet avec une série de références bien dissimulées et habilement distillées pour ne pas s’y enfermer. Un discret “mamie je t’aime” ponctue le morceau et contraste avec le mépris généralisé de tous les autres. Et pour ceux-là,  Orelsan avait besoin de s’épandre à nouveaux dans un cliché d’artiste un peu maudit qui fuit la notoriété avec Quand est-ce que ça s’arrête?. Comme si le besoin de rappeler qu’il ne sait gérer ni la notoriété ni les relations sociales venait redonner du corps à son personnage de loser détaché peut-être un peu égratigné par d’autres morceaux.  Il affectionne le détachement même pour les moments heureux, dans Lumière, c’est encore dans l’ombre qu’il se situe comme habité d’une volonté d’être extérieur à la scène, à ce qu’il se passe, comme si c’était plaisant d’être dépossédé aussi bien par le ton que par les paroles de son propre morceau.

Enfin, on retrouve le Caennais dans sa Zone aux côtés de Nekfeu et Dizzee Rascal. Loin d’être un mauvais morceau, le featuring tant attendu avec Nekfeu, bien que rendu particulièrement énergique avec Dizzee Rascal, ne vient pas non plus marquer l’histoire du rap français. La production efficace ne suffit pas à cacher le côté un peu “à l’arrache” des deux Mc’s pourtant excellents lorsqu’il s’agit de kicker à plusieurs. On aurait pu attendre de ces deux plumes du rap français un morceaux plus marquant mais il a le mérite d’emmener Nekfeu dans un univers un peu différent – au risque de “faire du Orelsan” la où Nekfeu n’est jamais aussi bon que quand il est pleinement lui même, cf Cyborg – et de lancer une collaboration qui pourrait se reproduire.

La petite aiguille

Ici se trouvent des morceaux plus lourds, plus symboliques des évolutions de l’homme et de l’artiste. Des marqueurs de cap passés à chaque fois que la petite aiguille change de repère.

Dans le morceau éponyme de l’album, La Fête est finie, Orelsan s’ “écrase et atterrit dans la vraie vie”. Les accents cyniques sont encore là, mais c’est l’évolution du morceau qui lui donne en fait toute sa puissance. Cette fois le MC tourne en rond, coincé dans le cadran d’une montre, comme si le reflet qu’il se renvoyait était aussi inspirant qu’angoissant. Il pose à travers ce morceau les deux pieds dans un réel bien palpable où les rêves n’ont pas vocation à être balayés mais à être réinterrogés en permanence.

C’est dans cet état d’esprit que suit Basique. Morceau sorti en premier en guise de lancement d’une promo éclair qui a porté ses fruits, accompagné d’un clip à la réalisation plutôt impressionnante, Basique pose une question : et si le Orelsan de Suicide Social avait lâché l’envie d’en finir pour poser les constats de manière “simple, basique” et avancer, comme en témoigne le clip ? La prod entraînante pousse à croire que c’est bien l’effet recherché, qu’une fois tout ça mis sur la table, on va pouvoir parler du reste. Et sur le reste justement, le caennais en a des histoires à raconter.

L’aiguille marque un nouvel avancement lorsqu’il s’agit d’aborder les femmes en général dans l’album. Sans pour autant tomber dans le cliché de l’excuse plate en guise de pardon, certainement attendu par nombre de ceux qui ont participé à la polémique qui a marqué une bonne partie de sa carrière,  Bonne meuf est à mi-chemin entre la retranscription de ce qu’il perçoit de ce que vivent de nombreuses femmes et la continuité de son univers artistique. De quoi remettre quelques points sur les i pour beaucoup de gens. Le regard et l’interprétation, utilisation, de son oeuvre par les gens, il en est aussi question dans Christophe. Dans ce morceau, le “rappeur blanc” originaire de Caen, dépourvu de street-cred, et star du 3ème âge, décide de devancer ce que pourrait être une éventuelle interview d’Ardisson. Avec en guest un Maître Gim’s en forme olympique il pose avec brio son appartenance au rap, à la culture hip-hop et en jouant de tout ce qui pourrait être utilisé. Un pari réussi, qui sur une prod efficace et festive donne un ton politique mêlé à l’humour. Ponctué de références, à propos de “la musique de Noir” – qui peut aussi bien attaquer Henri De Lesquen qu’être un hommage au morceau de Kery James, Youssoupha et Lino-  ou encore le choix de maître Gim’s d’évoquer Georges Moustaki, ce morceaux est aussi léger que profond ce qui lui donne un rôle incontournable dans le projet.

Difficile de parler des morceaux révélateurs de son évolution artistique et personnelle sans mentionner les deux morceaux au sujet de sa ville, Caen. Toujours en arrière-plan de ses projets, la ville du Calvados est bien présente dans l’album. Avec, Dans ma ville, on traîne Orelsan nous offre un tableau personnel et intime de sa ville, tout en lui déclarant un attachement particulier, de son rare soleil, à la grisaille des parkings vides des zones industrielles. C’est à travers  son amour pour sa ville, de ses artères qu’il aime et connaît par coeur comme de ses défauts, que la maturité d’Orelsan frappe le plus. De manière encore plus audacieuse dans La pluie en featuring avec Stromae ( dont la patte artistique s’étend bien au delà de ce morceau) il relie Caen, sa famille, ses origines, sa “classe moyenne, moyennement classe” avec comme fil conducteur le temps toujours, mais pas que celui qui passe. Il est aussi question de celui qui donne les rares rayon de soleil “40 jours par an “ ou le crachin habituel qui signifie que sa ville “n’est même pas foutu de pleuvoir correctement”.

Comme si les nuages étaient en guest dans l’album, pour parler de pluie ou bien évoquer un Hypothétique Paradis. Si le morceau flirtant avec la chanson française peut sembler étrange à la première écoute, alors qu’on attend le moment ou l’aigreur va l’emporter, une nouvelle fois la petite aiguille bascule avec force sur le sujet de l’amour cette fois. Sur une mélodie bien inspirée et samplée avec talent, il pose la question du temps et de la durée, ici en amour, sous plusieurs angles en les maîtrisant de bout en bout. Un surprenant cri d’authenticité et d’honnêteté qui a certainement autant bouleversé les auditeurs qui s’y retrouvent (ou non d’ailleurs) que lui même.

San qui vient en ouverture de cet opus est clairement le parfait mélange de la petite et de la grande aiguille . De multiples flows dans le même morceau sur une prod envoûtante,  comme une lettre de motivation qui introduit le Orelsan – cru 2017, cette introduction est une ouverture millimétrée de l’album qui embarque directement l’auditeur dans ce voyage à travers le temps. Puis en guise de retour vers le futur, les quelques Notes pour trop tard qui viennent clore l’album et avec habileté répondre à beaucoup de contradictions posées, au fil des morceaux. Elles viennent dissoudre les aigreurs de l’artiste comme un maalox le ferait sur celles d’estomac. Une conclusion qui force à regarder avec lui,  dans un rétroviseur équipé d’une longue vue.

Difficile de dire si ces morceaux relèvent de la grande ou de la petite aiguille à moins de considérer que comme sur le cadran d’une horloge il y a toujours un moment au début et à la fin de l’heure où celles ci se chevauchent. C’est peut être sur ces deux morceaux que cela a lieu.

Dans ce projet Orelsan a pris le temps de finir le jeu. Mais comme dans San, le caennais reste “dans le premier Mario, A chaque fois je crois que j’ai fini le jeu, Ça repart à zéro” . Il faut donc croire que si ce projet est présenté comme la fin d’une trilogie, il s’annonce surtout comme une étape de plus pour celui qui estime n’en être « qu’à la moitié du début de sa carrière » .


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