« Parcoursup vient numériser les inégalités »

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« Parcoursup vient numériser les inégalités »

Dans « Parlez-vous le Parcoursup », publié au Seuil, l’auteur et professeur Johan Faerber livre une charge stimulante contre la plateforme de sélection. Rencontre. 

Les lycéens ont du mal à imaginer un monde sans Parcoursup. À entendre le gouvernement, le système précédent était pire. Il s’agit pour vous d’une « fake news ».  

Pour justifier Parcoursup, le gouvernement a inventé une fable. Cette fable, c’est de dire que le système précédent (ABP) créait des injustices, puisque 16 000 étudiants environ par an ne trouvaient pas de formations. À l’époque, les ministres faisaient le tour des plateaux, la larme à l’œil, pour dénoncer l’injustice d’une pratique qui se faisait très à la marge : le tirage au sort. Et c’est là que se fait la « fake news » : on a pris quelque chose qui était très rare, le tirage au sort, et on a dit que c’était la pratique généralisée. Or, c’est faux, tout simplement. C’était exceptionnel. 

Pour les lycéens, l’angoisse et le stress sont les mots qui reviennent sans cesse. Mais pour vous, ce ne sont pas des conséquences fâcheuses, mais voulues. 

C’est une manière de gouverner par la peur. Avant Parcoursup, si vous étiez sérieux, que vous travailliez régulièrement, vous obteniez votre bac, et donc vous pouviez aller à l’université. Maintenant, vous pouvez être un excellent élève, vous n’êtes pas certains d’obtenir ce que vous voulez. Et donc, cela crée un stress très important. Donc le stress n’est pas une conséquence, c’est au cœur du fonctionnement de Parcoursup. Cela va tellement loin qu’en fin d’année, certains élèves sont dans de réelles situations de « burn-out ». 

De la même manière, vous expliquez que l’opacité des algorithmes arrange le gouvernement. En d’autres termes, ce n’est pas un problème, mais une solution pour eux. 

ll est évident que par rapport à l’ancien système, Parcoursup discrimine les élèves de banlieues. Je le constate concrètement dans mon expérience puisque j’enseigne dans le 93. Avant, mes excellents élèves arrivaient à intégrer par exemple le lycée Henri IV à Paris en prépa. C’est beaucoup plus variable aujourd’hui. Donc, rendre publics les algorithmes, lever l’opacité, cela reviendrait à révéler la supercherie de Parcoursup. Les élèves de banlieue sont déjà très maltraités par l’institution scolaire et par l’État, et Parcoursup, au lieu de lutter contre cela, vient numériser ces inégalités. 

Pour vous, Parcoursup est une expérience « d’humiliation » que vous comparez à celle que vivent les chômeurs. 

C’est la question de l’illusion du choix qui est posée. C’est le problème de Pôle emploi qui vous propose n’importe quoi et qui à l’arrivée vous dit « ah ben vous n’avez pas voulu prendre le job ». Et bien comme le chômeur, le néo-bachelier a l’impression qu’il est devant une possibilité infinie de choix, mais que c’est lui qui n’est pas assez bon pour y accéder. Mais ce choix n’existe pas. L’étudiant, comme le chômeur, n’est pas responsable de son sort, il le subit. Mais Parcoursup vient le rendre responsable individuellement.  

Pour finir sur une touche d’optimisme, comment imaginer la fin de Parcoursup et un système plus juste ?  

Si on veut être optimistes pour demain, il faut de l’argent. Il faut énormément d’argent pour investir dans les services publics. Le problème de Parcoursup, c’est un faux problème, qui vient du manque de places dans les universités. Il faut donc construire des universités à la mesure des besoins, c’est la seule solution. La France est un pays extrêmement riche. Et bien qu’elle utilise son argent pour former les élèves plutôt que d’exonérer les milliardaires.

Retrouvez la suite de cette interview sur lavantgarde.fr 


Les chiffres de la sélection

627 000 

Nombre d’élèves de terminale scolarisés en France en 2022 et inscrits sur Parcoursup.

28 % 

Part des candidats qui se disaient  insatisfaits des réponses obtenues sur Parcoursup.

94 000 

Nombre de lycéen.e.s ayant quitté la plateforme sans formation. 7300 jeunes ayant quitté la plateforme sans aucune proposition.

24 heures

Nombre d’heures qu’auront les étudiants pour répondre à une offre de formation en master.

1165 

Nombre de places supprimées en master pour la rentrée 2022 selon Vite Mon Master. Les places créées viendront juste équilibrer avec les places fermées. N’offrant aucune augmentation des capacités générales d’accueil. 


Faut-il plus ou moins de stages en bac pro ? 

Léo Garcia

Emmanuel Macron a dû abandonner son projet d’augmentation de 50 % de la durée des stages dans les lycées professionnels face à la contestation des syndicats enseignants. Pour le gouvernement, une telle augmentation devait permettre une meilleure préprofessionnalisation des élèves en leur permettant d’apprendre directement en situation professionnelle. 

Mais derrière ce mythe de l’apprentissage « sur le tas » se cache une réalité : la plupart du temps, les tâches confiées aux stagiaires en bac pro ne sont pas celles qu’ils effectueront dans leur métier. Prenez l’exemple d’un élève qui se prépare à devenir mécanicien automobile. Les enseignements qui lui sont dispensés en cours visent à faire un diagnostic sur une voiture, effectuer des réparations variées, établir un devis… Pourtant, dans son stage, celui-ci sera cantonné à changer des roues toute la journée. Bien loin, donc, de l’apprentissage du métier. 

Par ailleurs, l’idée selon laquelle on pourrait apprendre un métier en stage relève au mieux d’une méconnaissance du sujet, au pire d’un mépris de classe. Apprendre un métier, c’est maîtriser des connaissances, des compétences, qu’il s’agit de mettre en lien pour devenir un professionnel. De la même manière que l’on ne devient pas ingénieur en regardant faire un ingénieur, on ne devient pas vendeur en regardant faire une vendeuse. 

La question n’est alors pas tant de faire plus ou moins de stages, mais de savoir ce qu’on y fait. Si le gouvernement veut rendre les stages utiles, qu’il en encadre fortement le contenu, afin que ceux-ci permettent à un élève d’appliquer sur le terrain les connaissances et compétences vues en atelier. Mais cela suppose de considérer les stagiaires comme des jeunes à former, et non comme une main-d’œuvre bon marché pour le patronat. 


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