Méga-camions, méga-aberration

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Méga-camions, méga-aberration

Le 12 mars dernier, le Parlement européen a approuvé la modification de la directive “Poids et dimensions” des véhicules routiers, qui permet désormais aux “méga-camions” d’accéder aux routes des pays membres. Une très mauvaise nouvelle pour le transport de marchandises en Europe, qui s’enfonce tête baissée dans une logique pro-route sans avenir.

L’objet du crime

Ils mesurent jusqu’à 25,5 mètres de long et pèsent jusqu’à 60 tonnes. Des dimensions qui font penser aux monstres des routes australiennes, ces fameux trains routiers destinés à sillonner d’interminables lignes droites perdues au milieu du désert.

Le Parlement de Strasbourg a approuvé l’arrivée de ces engins sur les routes européennes en plaidant de potentielles économies de carburant. Elles permettraient, à terme, de réduire de 1,2 % les émissions du transport de marchandises sur le continent, grâce à la meilleure capacité de chargement de ces véhicules.

Une aubaine, en réalité, pour les transporteurs routiers qui, selon Bruxelles, économiseraient jusqu’à 45 milliards d’euros sur la période 2025-2050. Les méga-camions contribueraient significativement à réduire le nombre de trajets, et l’harmonisation des normes entre les États membres généraliseraient l’efficacité du mode de transport à l’ensemble de l’Union.

Avant le vote des eurodéputés, certains États comme l’Allemagne ou les Pays-Bas autorisaient déjà la circulation de ces camions sur leurs routes. Ainsi, la modification de cette directive vise à fluidifier le trafic au sein de l’espace communautaire, en vue de généraliser le surcroît d’efficacité permis par ces camions.

L’ampleur du crime

Toutefois, les belles promesses transportées par les méga-camions se révèlent toutes fausses, ou du moins, bourrées d’effets négatifs.

La taille délirante de ces nouveaux poids lourds pose un premier problème relatif aux infrastructures. En effet, les routes européennes ont peu de choses à voir avec celles où évoluent habituellement les méga-camions. Des professionnels du milieu s’inquiètent de voir les “gigaliners” emprunter des ronds-points et des routes nationales où le passage des semi-remorques est déjà tortueux.

Le cabinet allemand D-Fine estime d’ailleurs qu’il faudra dépenser 1,15 milliards d’euros supplémentaires pour entretenir les routes. Il indique “des détériorations disproportionnées” causées par les camions dépassant les 40 tonnes, qui viennent s’ajouter aux risques liés à la sécurité des autres usagers de la route, si un véhicule de ce type venait à être impliqué dans un accident.

Le gain écologique permis n’est pas non plus avéré. Une pareille arrivée sur les routes entraînerait une intensification de la concurrence face au fret ferroviaire, le plus écologique de tous les modes de transport de marchandises. Le cabinet D-Fine prédit que les méga-camions vont détourner près de 21 % des trajets réalisés sur le rail en direction de la route, soit des millions d’allers-retours en plus en camions.

Le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, s’agaçait à ce sujet face à Apolline de Malherbe, dénonçant l’incohérence de l’UE… promotrice du “Green Deal” et, en même temps, du secteur routier face à un ferroviaire en difficulté.

Il faut aussi noter, outre le manque à gagner pour le fret ferroviaire, qu’une meilleure utilisation de l’énergie entraîne rarement une réduction de son utilisation. Les transporteurs vont sans doute profiter de la nouvelle législation pour intensifier l’usage des camions, sans qu’aucun bénéfice écologique ne soit tiré.


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